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samedi 19 novembre 2016

Primaires à droite : Fillon peut-il changer la donne ?



Alors que Juppé et Sarkozy, installés dans leur face à face meurtrier depuis le début, s’apprêtaient à se donner l’un l’autre le coup de grâce, un nouveau venu s’invite dans le sprint final. François Fillon bouscule la droite comme Macron bouscule la gauche.

François Fillon accèdera-t-il au second tour de la primaire ? C’est le suspense politique de la semaine et sa résolution jouera à n’en point douter un rôle déterminant dans la liste finale des partants pour le premier tour de l’élection présidentielle, et, par voie de conséquence, dans les deux noms qui resteront pour le second tour de 2017.






Candidature surprise de Macron


Emmanuel Macron ne s’y est pas trompé, qui a décidé d’éclabousser le bel ordonnancement de la séquence programmée par la droite en annonçant sa candidature à la présidence de la République précisément mercredi, veille du dernier débat entre les sept concurrents de la droite et à quelques jours du premier tour qui va les départager et éclaircir la situation pour la suite.

Qu’est-ce que Macron pense gagner en adoptant ce timing ? Il s’agit d’abord de gêner au maximum des adversaires potentiels de gauche comme de droite compte tenu de son discours sur la « libéralisation des énergies » intimement associé à la « protection des plus faibles » à travers un socle de « solidarité collective et de régulation ». Ainsi que le résume fort bien un article de l’IREF :
« Il n’a pas compris que le libéralisme consiste à permettre la liberté pour que la liberté fasse le reste. »

La liberté, c’est bien, et Emmanuel Macron n’est certes pas avare de tous les mots de la même famille. Encore faut-il qu’elle soit bien orientée, et ça, c’est typiquement socialiste. Comme l’explique Hayek dans La route de la servitude, être libre selon la tradition libérale veut dire être dégagé de tout pouvoir arbitraire exercé par autrui, mais pour le socialisme, il s’agit au contraire d’obtenir le plus de pouvoir possible afin de procéder à une répartition autoritaire des richesses.

Emmanuel Macron propose donc un mix très « deuxième gauche » qui pourrait séduire les Français avides de changement dans la continuité de l’action de l’État, et entamer le crédit des Juppé, Hollande et Bayrou qui évoluent sur un terrain faussement libéral très similaire au sien.

Il s’agit ensuite clairement de tirer la couverture médiatique à lui, comme il le fait régulièrement depuis le début de son aventure, en distillant ses projets au compte-gouttes et en cherchant à créer une nouvelle fraîcheur inédite à chacune de ses interventions, histoire de monopoliser l’attention des électeurs sur la plus longue durée possible.

Depuis hier, on n’imagine pas un journaliste interroger un homme politique sans lui demander son avis à propos de la candidature Macron. C’est par exemple ce qu’a fait Elisabeth Martichoux sur RTL avec François Fillon. Sur un entretien de douze minutes, elle est arrivée à maintenir d’entrée le sujet Macron pendant trois minutes et demi, soit 30 % du temps

Cela revient à accorder à l’ancien ministre de François Hollande une attention qui dépasse largement la nouveauté contenue dans l’officialisation de sa candidature. Tout ce qu’il a fait jusqu’à présent, c’est-à-dire l’ambiguïté savamment entretenue sur des totems de gauche tels que les 35 heures ou le statut des fonctionnaires, puis la création d’un mouvement politique et enfin sa démission du gouvernement, tout pointait à l’évidence vers cette issue, ce qui me fait dire qu’elle a déjà été largement anticipée par les électeurs. Car rappelons-nous, ce sont les électeurs qui votent, pas les journaux.

De plus, pour 2017, les électeurs sont confrontés au choix Macron depuis le début de l’année par les sondeurs qui l’ont systématiquement inclus dans leurs tests, tandis que François Fillon apparait de façon beaucoup plus épisodique. Si l’on s’en tient aux sondages publiés en septembre et octobre 2016, Fillon n’apparait qu’une fois alors que Macron apparait partout. Il est possible que l’effet d’annonce donne provisoirement un peu plus de relief à Macron, mais je ne crois pas qu’il suffise à bouleverser la donne, et certainement pas la primaire de ce week-end.

C’est du reste aussi l’avis de François Fillon qui a fait de son mieux dans l’interview citée plus haut pour reléguer la fausse surprise de la candidature Macron dans les affres de la décomposition de l’autorité de François Hollande sur la gauche et sur le gouvernement. En revanche, le débat d’hier soir pourrait se révéler décisif et faire bouger des lignes.


L’émergence de François Fillon


J’en viens donc maintenant spécifiquement au cas de François Fillon. Début septembre, dans un article intitulé « Quel second tour pour 2017 », je considérais que la primaire de droite se solderait par la victoire de Juppé ou celle de Sarkozy. À l’époque, les sondages suggéraient à la fois un rapprochement des scores de ces deux candidats aux alentours de 34% chacun par baisse de Juppé et remontée de Sarkozy et un écart irrémédiable avec les suivants, Fillon n’arrivant qu’en 4ème position avec 9% des intentions de vote. Je n’avais même pas jugé utile de le citer.

Depuis, le premier débat de la primaire de droite a eu lieu, et il est apparu évident que seul François Fillon avait pris la mesure de ce dont la France avait besoin. Comme je l’ai rapporté alors, il sortait nettement du lot de ses concurrents, car loin de pinailler à l’année près sur un âge de départ en retraite ou sur un nombre précis de policiers à embaucher, il avait compris que les réformettes à la marge dictées par les circonstances n’étaient pas envisageables un quinquennat de plus.

« Je ne veux pas réformer, je veux faire une véritable transformation » a-t-il expliqué.

Manifestement, son ton à la fois posé et réaliste a su atteindre une part non négligeable de téléspectateurs.

Il est vrai qu’après quatre ans de Hollande, les Français n’ignorent plus rien ni des chiffres du chômage qui ne se retournent pas vraiment, ni du déficit public qui ne veut pas repasser docilement sous les 3% comme promis, n’en déplaise à Jean-Christophe Cambadélis, secrétaire général du PS, qui fait semblant de croire que « tout n’est pas parfait, mais tout n’est pas mauvais ». Disons que quand on inclut, comme il le fait, le tiers-payant et l’encadrement des loyers dans les bons résultats, alors que ces deux mesures sont emblématiques de la dévalorisation de la médecine d’une part et de la destruction du marché de l’immobilier d’autre part, on voit mal ce qui pourrait passer pour mauvais.





Le constat de Fillon sur l’état de la France


En 2007, François Fillon alors Premier ministre avait déjà fait un constat peu glorieux de la situation de la France. Il avait qualifié le pays d’État en faillite, arrachant des cris de protestation à la gauche comme à la droite, ce qui l’avait obligé à revenir quelque peu sur ses propos en disant que c’était une image. Et la crise de 2008 n’était même pas encore passée par là.

« Je suis à la tête d’un État qui est en situation de faillite sur le plan financier, je suis à la tête d’un État qui est depuis 15 ans en déficit chronique, je suis à la tête d’un État qui n’a jamais voté un budget en équilibre depuis 25 ans, ça ne peut pas durer. » (Fillon, sept 2007)

En 2016, tout est pire. La dette publique représentait 64% du PIB en 2007, elle culmine à plus de 98% aujourd’hui. La dépense publique atteignait 52% du PIB, elle est à 57%. Les chômeurs en catégorie A étaient 2,1 millions, ils sont maintenant 3,5 millions.
Aussi lucide qu’il fut en 2007, aussi lucide qu’il soit en 2016, il est cependant difficile d’oublier que François Fillon occupa le poste de Premier ministre de Nicolas Sarkozy pendant 5 ans. Qu’est-ce qui le qualifierait plus que son ancien patron pour la fonction suprême ?
Au-delà de son programme qui reflète sa compréhension des problèmes de la France et son souci de la mettre sur une trajectoire de liberté au vrai sens libéral du terme, on peut aussi dire qu’il fut en 2010 le promoteur d’une réforme des retraites extrêmement contestée, mais bel et bien votée, qui consista à repousser l’âge légal de départ en retraite de 60 à 62 ans. Beau travail, car le retour à 60 ans figure aujourd’hui dans les programmes de la plupart des candidats de gauche et dans celui de Marine Le Pen, preuve qu’il est inutile de chercher des solutions du côté des collectivistes.
Sur ce point précis des retraites, Alain Juppé est assez mal placé pour se moquer de « ceux qui se sont montrés les plus pusillanimes quand ils étaient au pouvoir, et qui gonflent aujourd’hui leurs biceps » car on sait qu’en 1995 il a dû abandonner son projet d’alignement des retraites du public sur le privé. Vous m’objecterez que le recul fut le fait de Jacques Chirac plus que le sien, mais comme Juppé proclame maintenant, et c’est franchement inquiétant, qu’il veut « poursuivre l’œuvre de Jacques Chirac », l’objection tombe définitivement.

Et pour ce qui est de Nicolas Sarkozy, il est bien évident qu’on peut le créditer aussi de la réforme des retraites de 2010, mais son programme actuel, tiraillé en tous sens à chaque nouvel élément de l’actualité selon sa mauvaise habitude, manque de cohérence et donne une part beaucoup trop importante aux aspects sécuritaires et identitaires par rapport aux aspects économiques.

De plus, challengé de près par son ancien Premier ministre, Sarkozy n’a pas manqué de rappeler qu’entre 2007 et 2012 c’était lui le patron, ce qui a aussi pour effet de détacher Fillon des piètres résultats du quinquennat Sarkozy :

« Lorsque j’étais président de la République, je décidais d’un certain nombre de réformes que François Fillon mettait en œuvre. »
 — Sarkozy, 15/11/16, RTL.
Toujours est-il que depuis le premier débat qui s’est tenu mi-octobre 2016, loin de stagner à 9% des intentions de vote, François Fillon a vu sa cote augmenter en continu jusqu’à remettre sérieusement en cause le résultat annoncé du premier tour de la primaire. Un sondage Opinionway publié par le site Atlantico mardi 15 novembre lui accorde 25% à égalité avec Sarkozy et place Juppé en tête avec 33%. Un autre sondage paru mercredi dans l’Opinion donne 34% à Juppé, 30% à Sarkozy et 21% à Fillon.

Soulignons que les marges d’erreur sont importantes et que beaucoup dépend de l’amplitude de l’électorat qui se déplacera pour voter à la primaire. S’il est restreint au champ LR, Sarkozy domine. S’il s’élargit au centre, Juppé domine, mais Fillon y trouve aussi son compte, car son positionnement de libéral conservateur colle finalement très bien avec les valeurs de la droite dans son ensemble.

Ce qui reste constant de sondage en sondage, c’est que Juppé, favori peu disposé à prendre des risques, semble victime d’une campagne trop incolore dont les propositions ne tranchent guère avec la politique menée par le gouvernement actuel ou par un Jacques Chirac en son temps. En conséquence, il perd régulièrement du terrain, tandis que Sarkozy résiste et que Fillon grimpe.

Alors que Juppé et Sarkozy, installés dans leur face à face meurtrier depuis le début, s’apprêtaient à se donner l’un l’autre le coup de grâce, un nouveau venu qu’on n’attendait pas, qu’on avait même totalement oublié, et qu’on s’efforce maintenant de renvoyer à son humble statut de « collaborateur », arrive du fond de nulle part, apostrophe les deux favoris et s’invite dans le sprint final.


Enfer et damnation ! Stupeur et tremblement ! Fin du suspense, dimanche soir.


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