.

.

dimanche 13 novembre 2016

Brighelli – France, ton orthographe fout le camp !




« Le soir tombait. Papa et maman, inquiets, se demandaient pourquoi leurs quatre garçons n’étaient pas rentrés.
– Les gamins se sont certainement perdus, dit maman. S’ils n’ont pas encore retrouvé leur chemin, nous les verrons arriver très fatigués à la maison.
– Pourquoi ne pas téléphoner à Martine ? Elle les a peut-être vus !
Aussitôt dit, aussitôt fait ! À ce moment, le chien se mit à aboyer. »


Telle est la dictée que la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) a fait faire en 2015 – quelle audace ! – à un panel d’élèves de CM2. Elle avait déjà fait l’expérience avec le même texte en 1987 et en 2007. Les résultats sont sans appel. Les élèves ont fait en moyenne 17,8 erreurs en 2015, contre 14,3 en 2007 et 10,6 en 1987. Quand on regarde le détail des fautes (la totalité de l’étude est ici), on s’aperçoit que, globalement, ce sont les fautes de syntaxe (accords, conjugaisons, etc.) qui sont en nette augmentation. Ainsi, « tombait » était correctement orthographié par 87,1% des élèves en 1987 – et par 55,8% en 2015. Et « inquiets » n’est plus écrit sans faute que par 25,7% des heureux cobayes.

On applaudit bien fort. 17,8 fautes sur 5 lignes ! Par des élèves qui entrent en sixième à la fin de l’année, et qui ont bien peu de chances d’apprendre d’ici la troisième ce qu’ils n’ont pas appris depuis le CP. Splendide.

La faillite de la loi Jospin, déjà

 

L’expérience n’est pas nouvelle. L’association Sauver les lettres avait peu ou prou fait la même en 2004, avec une dictée de brevet de 1988 infligée à 2 300 élèves de seconde – agrémentée (ces gens sont des sadiques, d’ailleurs, j’ai été l’un des leurs) de questions de grammaire. Un extrait des Contes du lundi de Daudet – voir ici – fut alors proposé, et les résultats analysés en détail. Emmanuel Davidenkoff, qui rendait alors compte de l’expérience dans Libération, notait : « Les élèves qui ont composé cette année ont étudié la langue à partir des nouveaux programmes de 1995 à l’école primaire et au collège, lesquels imposaient de passer d’un travail analytique (le cours de grammaire n’est pas le cours de vocabulaire, qui n’est pas le cours d’analyse du texte, etc.) à un travail en séquence (on enchaîne tout, à partir du même texte, pendant la même séance), privilégiant l’observation réfléchie de la langue. Des décisions qui avaient été prises, entre autres, pour aider les élèves qui ne maîtrisent pas la langue, afin de privilégier une approche par le raisonnement, et non intuitive. » Contre-productif, selon Sauver les lettres : les élèves ne comprenant plus à l’école, « les parents qui en ont les moyens affluent [désormais] vers les écoles privées ».

Ces constats signaient déjà à l’époque la faillite de la loi Jospin et des programmes de 1995 acceptés par Bayrou (qui avait pourtant écrit La Décennie des mal-appris cinq ans auparavant), ministre grugé par les pédagogues qui avaient déjà noyauté le système.

L’Observation réfléchie de la langue, panacée des cancres

 

Les programmes Darcos en 2008 ont bien tenté de redresser la barre et d’abandonner cette « Observation réfléchie de la langue » qui prétendait faire de tous les élèves des grammairiens en herbe, leur laissant déduire tout seuls les règles fondamentales et « construire leurs propres savoirs ». Mais qui les a appliqués ? Faut-il rappeler que le SNUIpp, syndicat ultra-majoritaire chez les « professeurs des écoles », est vent debout depuis 2008 contre cette réforme, et a enfin obtenu de les abolir avec les nouveaux programmes (à la baisse ! toujours à la baisse !) de Mme Vallaud-Belkacem ? L’évaluation actuelle des élèves est aussi l’évaluation de celles et ceux qui, persuadés d’avoir raison, toujours raison, ont persisté à enseigner de l’oral sans comprendre qu’en français, l’oral même est de l’écrit : nous avons l’une des langues les plus écrites au monde – une langue où tout se voit de ce qui ne s’entend pas. En français, on ne parle pas – on lit un texte préalablement écrit dans sa tête. Du moins, quand on parle français, et non le patagouin.
À noter que l’abandon des cours le samedi matin, avec lequel je n’ai jamais été d’accord, entrait en conflit avec les programmes – mais Bercy prima, comme d’habitude, sur la Rue de Grenelle.
Il est temps, plus que temps, de réécrire les programmes dans le sens d’une plus grande exigence et de rétablir au moins trois heures de cours de plus au primaire : je suis sûr que le SNUIpp, qui, ces jours-ci, me reproche l’ère Darcos, sera d’accord pour travailler une demi-journée supplémentaire comme autrefois, au tarif d’autrefois. « 50 % du temps scolaire consacrés à l’apprentissage du français ! » clament divers politiques. Mais 50 % de quoi ? De 30 heures sur 223 jours de classe comme en 1894 ? 1 260 heures sur 210 jours comme en 1922 ? 1 128 heures sur 188 jours comme sous le Front populaire ? Ou 1 080 heures sur 180 jours comme aujourd’hui ? Olivier Guichard concède 27 heures de cours en primaire en 1969 – en 1989 ? Ce sera 26 heures. Et 24 heures depuis septembre 2007. Sans compter les récrés annexes dues aux « rythmes scolaires » chers à Vincent Peillon… 140 jours de classe désormais – contre 210 au Japon.

Des enseignants contaminés par l’épidémie dysorthographique

 

Le temps scolaire s’est donc raccourci – et les syndicats ont exigé des programmes en accord avec ce qui pouvait désormais se faire dans ce laps de temps en peau de chagrin. La dernière réforme les a entendus au-delà de leurs espérances. Tout pour l’oral !
Dans Le Monde, le ministre interrogé fait peser sur l’ancienne majorité la responsabilité du désastre – et le fait est que l’ex-UMP n’est pas exempt de reproches. « Grâce à la recherche scientifique, ces nouveaux programmes ont été pensés pour être plus cohérents, plus progressifs, et surtout mettre véritablement l’accent sur l’apprentissage et la consolidation du français », fait valoir Najat Vallaud-Belkacem, rappelant, entre autres, « l’instauration d’un exercice désormais quotidien de dictée ». Pur mensonge : de la dictée (qui n’est pas un exercice en soi, mais le thermomètre des capacités engrangées à force de cours, d’explications et d’exercices), il ne reste que des traces – ce que l’on écrit sur son cahier de textes, a-t-on récemment appris, est une dictée. Et la même commission qui constate le désastre orthographique note doctement : « Ainsi, d’après une étude de la DEPP de 2013, si parler correctement était le premier choix pour 49 % des enseignants, pour 41 % d’entre eux écrire correctement arrivait en deuxième choix. Si 67,4 % des enseignants interrogés déclaraient pratiquer souvent la dictée, un tiers révèle ne la pratiquer que de temps en temps, exceptionnellement ou jamais. »

Casser le thermomètre ?

 

Du coup, les plus modernistes envisagent sereinement de casser le thermomètre en modifiant les règles orthographiques. Le français est une langue si compliquée – si discriminante, comme on dit dans le vocabulaire politiquement correct à la mode ! Pour Viviane Youx, présidente de l’Association française des professeurs de français (Afef), interrogée par le Café pédagogique, cette baisse des performances orthographiques tient à « un système orthographique très complexe qui gagnerait à être simplifié et en parallèle une société française dans laquelle la vigilance orthographique baisse alors que l’exigence orthographique reste très forte. L’orthographe est encore largement enseignée par des règles à appliquer alors qu’il faudrait l’enseigner comme un système qui ait du sens pour les élèves. Les nouveaux programmes vont dans ce sens. » En clair, mettons la poussière sous le tapis et cassons le thermomètre.
Comment peut-on à ce point se moquer des enfants ? Sacrifier les générations de demain ? L’orthographe est l’un des critères majeurs dans l’obtention d’un emploi – d’autant que la révolution informatique nous amène à écrire constamment.

Il faut repenser totalement l’apprentissage du français, admettre une fois pour toutes que nous possédons une langue magnifique et complexe, et que les apprentissages systématiques – que demandent à grands cris les parents qui désormais lorgnent massivement vers le privé, censé maintenir la tradition, ce qui est loin d’être partout vrai – sont les seuls à même de permettre aux futurs adultes de demain de parler et d’écrire aussi bien que les belles âmes formées dans les années 1950 ou 1960 et qui aujourd’hui plaident pour un assouplissement des règles – plus bas, toujours plus bas.

Une dictée qui n’est pas politiquement correcte

 

Autant finir sur une note humoristique. L’un des commentateurs du site Néoprofs feint de s’insurger contre le texte de la dictée, et rend responsables de la catastrophe orthographique des concepteurs qui ne seraient plus en phase avec les réalités contemporaines. « Papa et maman, s’inquiète-t-il. Pourquoi papa est-il en premier ? Et quel manque de respect pour nos élèves qui ont deux papas ou deux mamans, voire deux et deux ! Pas étonnant que cette dictée ne les inspire plus. Je passe sur les quatre garçons, la probabilité d’une telle famille est plutôt faible, ce qui n’était pas autant le cas en 1987. Et téléphoner, vraiment ? À l’heure des SMS et de WhatsApp, plus personne ne ferait ça en première intention. Non, cette dictée n’est vraiment pas ancrée dans le quotidien des élèves. Rien d’étonnant à ce que le nombre de fautes augmente, comment voulez-vous qu’ils se sentent concernés par un texte qui leur est aussi étranger ! »

Oui, rions-en ensemble… l’humour est encore une fois la politesse du désespoir.


Source