.

.

dimanche 13 novembre 2016

Ce que les élections US apprennent sur les élections françaises



Les systèmes politiques étasuniens et français sont bien évidemment très différents et les attentes des électeurs ne sont pas les mêmes. On peut toutefois relever des similarités : ceux qui rêvent de l’Élysée feraient bien d’en retenir les leçons.


À l’issue d’une campagne électorale particulièrement nauséabonde, Donald Trump a donc été élu Président des États-Unis. Au-delà des programmes, on peut tirer de cette victoire trois principaux enseignements en vue de la présidentielle française de 2017 : l’importance de la personnalité du candidat, le discrédit des intermédiaires de l’opinion et le pouvoir des réseaux sociaux.


La personnalité du candidat est plus importante que ses idées


Qui connaît le programme de Donald Trump ? À part construire un mur sur la frontière avec le Mexique, mettre en place des barrières douanières avec la Chine et interdire provisoirement les musulmans sur le territoire national ? Peut-être même pas lui-même. Les trois débats qui l’ont opposé à Hillary Clinton n’ont pas permis d’en savoir plus, au-delà de nombreuses déclarations d’intentions, à commencer par le fait de retrouver la grandeur passée du pays : « make America great again ». Sur la manière dont il entend procéder, son projet reste extrêmement flou.

Mais ce n’est pas le plus important pour ses électeurs. Le plus important, c’est le personnage qu’il est censé incarner : le fossoyeur du « système », celui qui dit ce qu’il pense sans prendre de pincettes avec le politiquement correct, l’homme d’affaires à succès qui manie à merveille l’art du deal. Peu importe que ce personnage soit plus ou moins éloigné de la réalité, ou qu’il se soit distingué par son arrogance, son imprévisibilité, son manque de respect pour les autres ou pour la vérité.

Face à lui, Hillary Clinton a souffert de son terrible manque de charisme et de son image de femme malhonnête. Le fait que son programme soit plus précis et consensuel, qu’elle ait une expérience incomparable pour le poste de Président ou qu’elle représente le choix le plus « raisonnable » ne l’aura pas sauvée, à une époque où les électeurs demandent avant tout un héros inspirant et du changement.

Cela peut être une leçon pour un candidat comme Alain Juppé, qui ne soulève pas spécialement les foules et défend des positions modérées, réfléchies : lui aussi est relativement consensuel, lui aussi a une grande expérience, lui aussi est le choix le plus raisonnable. Ces « qualités » pourraient en réalité le desservir. A contrario, cela peut être un encouragement pour Marine Le Pen comme pour Jean-Luc Mélenchon, leur forte personnalité et leur qualité oratoire leur permettant de défendre des programmes confus et hasardeux.


Les intermédiaires de l’opinion sont discrédités


Le lien direct qui s’établit entre la personne du candidat et son électorat marginalise les intermédiaires, à commencer par le vaisseau-amiral habituel des élections : le parti. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Donald Trump n’était pas prévu dans le casting de départ du parti républicain, au vu de la distance respectable que les pontes du mouvement ont conservé par rapport à sa campagne, certains appelant même à lui retirer son investiture. Mais le modèle de primaire ouverte a disqualifié ces voix discordantes, le vote direct des électeurs ayant incontestablement désigné le milliardaire new-yorkais.

Le discrédit concerne également les « leaders d’opinion » : l’immense majorité des titres de presse étasuniens, des « experts » en tout genre et des célébrités ont soutenu Hillary Clinton contre son rival républicain. Mais chaque nouvel appel à voter pour la candidate démocrate a été une preuve supplémentaire de son appartenance à l’« élite » médiatique, honnie par une partie de l’électorat. « The Donald » a ainsi pu représenter le choix du peuple face à celui des puissants.

Enfin, il convient de souligner l’incroyable raté des instituts de sondage, qui donnaient unanimement Hillary Clinton gagnante avec une marge confortable. Comme lors du référendum sur le Brexit, c’est l’inverse qui s’est produit. Au vu de l’impact des enquêtes d’opinion sur l’électorat, que ce soit sur sa motivation à se déplacer, ou sur son choix d’un candidat dans le cadre d’une primaire, les votants favorisant celui qui a le plus de chance de gagner, cela pose question.

Pour faire un parallèle avec la France, c’est une nouvelle fois Alain Juppé qui pourrait être en danger : déjà installé à l’Élysée selon les sondages, adoubé par la plupart des personnalités de son parti, l’élection pourrait s’avérer beaucoup plus serrée que prévu. On pourrait également voir une surprise sortir de la primaire socialiste, tant le rejet de François Hollande est fort et les chances de voir un candidat PS au second tour de l’élection présidentielle semblent faibles : quelle meilleure occasion pour une candidature atypique, de « témoignage », issue par exemple des frondeurs ?


Les réseaux sociaux permettent une campagne moins onéreuse


Soyons clairs : la campagne de 2016 est la plus chère de toute l’histoire, avec une dépense totale des partis et des candidats pour la course à la Maison-Blanche s’élevant à 3 milliards de dollars, contre un « modeste » 2,3 milliards de dollars il y a quatre ans (qui était déjà un record). Ceci posé, le budget de campagne n’a pas fait le vainqueur : Hillary Clinton a levé près du double de son concurrent, avec 687 millions de dollars contre 307 millions de dollars, ce qui n’a pas empêché Donald Trump de l’emporter.
La comparaison peut être affinée en se concentrant sur les dépenses de publicité, massivement utilisées dans la politique aux États-Unis : 110 millions de dollars pour l’ancienne Secrétaire d’État, face à seulement 20 millions de dollars pour le milliardaire new-yorkais. L’investissement dans les spots télévisés et autres formes de publicité n’a donc pas été déterminant.

L’élection présidentielle de 2016 consacre en revanche le rôle des réseaux sociaux : quand on peut s’adresser directement à ses 13 millions de fans Facebook et 13,5 millions de followers Twitter comme Donald Trump (contre respectivement 8,6 et 10,5 millions pour sa rivale démocrate), pourquoi dépenser des fortunes à la télévision ? Le Président élu a bien compris que ces nouveaux médias lui permettaient de créer un sentiment de proximité entre la personne du candidat et ses électeurs, d’être extrêmement réactif face aux événements, le tout pour un prix imbattable.

Les candidats à l’élection présidentielle française du printemps prochain pourront s’en inspirer, même si les dépenses électorales sont bien plus limitées de ce côté de l’Atlantique, notamment ceux dont la cagnotte pour faire campagne sera maigre, du fait de leur soutien par un « petit » parti, voire pas de parti du tout : Emmanuel Macron, Rama Yade, la demi-douzaine de postulants représentant la gauche de la gauche, etc. À condition d’être déjà un minimum connus du grand public, sans quoi leur audience risque de demeurer limitée. Cela peut encore une fois être un avertissement pour Alain Juppé, François Hollande (le cas échéant) ou d’autres candidats moins à l’aise avec ces nouveaux médias : ils ont tout intérêt à recruter un bon community manager car la machine de guerre de leur parti ne les aidera pas forcément.

Les systèmes politiques étasuniens et français sont bien évidemment très différents et les attentes des électeurs ne sont pas les mêmes. On peut toutefois relever des similarités : rejet des « élites » notamment politiques, avec la tentation de soutenir un candidat qui va « retourner la table » ; journaux subventionnés détachés du quotidien des Français, plus intéressés par les « petites phrases » et pseudo-scandales des candidats que par leurs projets ; popularité des différents candidats se déclarant « hors-système », à commencer par Marine Le Pen. Ceux qui rêvent de l’Élysée feraient bien d’en retenir les leçons.

Source