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jeudi 17 novembre 2016

La guerre du Pacifique 1941-1945 / impérialisme militariste vs impérialisme économique


Pierre Le Vigan

Le 7 décembre 1941, le Japon attaquait la flotte américaine à Pearl Harbour, sans déclaration de guerre, comme face à la Russie en 1905. Gros succès de l’opération aéro-navale. Mais le Japon manque les portes avions US. Depuis le 6 décembre, devant Moscou, les Allemands sont contre-attaqués par les Russes. Et ils reculent. L’essentiel est là. Le Japon n’a pu dissuader l’Allemagne d’attaquer la Russie. Et il ne s’est pas ensuite résolu à menacer la Russie pour l’empêcher d’amener des renforts vers Moscou. L’Allemagne et la Russie ont mené mondialement deux guerres, mais pas une guerre mondiale. Les Etats-Unis ne feront pas cette erreur. Dés que l’assaut japonais sera endigué, ils se mobiliseront d’abord contre leur ennemi principal : l’Allemagne, grande puissance industrielle, ce que n’est pas alors le Japon.


On a dit souvent que le Japon avait été poussé à la guerre par l’embargo américain de 1941 sur le pétrole. Ce n’est pas si simple. Où en étions-nous en 1941 ? Depuis 50 ans, le Japon avait pu mener son expansion sans conflit majeur avec les puissances anglo-saxonne, la déclinante qu’était la Grande Bretagne, et la puissance montante qu’était les USA. Annexion de Formose, de la Corée, du sud de Sakhaline/Karafuto, des iles allemandes du Pacifique, puis création du protectorat de Mandchourie (1932).


A partir de 1937, les choses changent. Avec l’invasion de la Chine, un gros morceau de déjà 500 millions d’habitants, les Etats-Unis ne veulent plus laisser le champ livre à l’expansion japonaise. D’autant qu’ils sont très présents dans le Pacifique et tiennent à le rester, avec les Philippines qu’ils contrôlent, depuis qu’ils en ont chassé les Espagnols. La main mise japonaise sur l’Indochine française, à la faveur de la défaite française, tend encore plus les relations entre les deux grandes puissances du Pacifique.


Tout l’appareil politico-militaire japonais s’entraine lui-même dans une politique qui ne peut connaitre de recul, à la notable exception de Yamamoto, qui connait bien les USA, et appelle à la prudence. Mais les Japonais pensent pouvoir déstabiliser l’Amérique en frappant vite et fort, tant qu’ils ont encore des réserves de pétrole. Ils ne croient pas l’Amérique capable de se battre longtemps (alors que c’est le pays de la très dure Guerre de Sécession – ce qui aurait dû faire réfléchir). Ce que nous savons des rapports de force économiques de l’époque, ils le savent pourtant déjà : le Japon pèse, au tournant des années 1940, entre 5 et 10 fois moins que les USA en capacité de production industrielle. Avec un tel écart, toute action offensive est déraisonnable. Les militaires japonais choisissent pourtant la fuite en avant.


Yamamoto avait promis 18 mois d’enfer pour les Américains et une grande incertitude pour la suite quant au sort militaire du Japon. En fait, les succès japonais, impressionnants, ne durent que 6 mois. Le 4 juin 1942, à la bataille de Midway, la flotte japonaise et son aviation embarquée connaissent un des désastres militaires les plus complets de l’histoire. Bien que bénéficiant d’un rapport de force de 2 contre 1 (sauf dans le domaine aérien, plus équilibré), les Japonais, dans une opération trop compliquée, trop lourde, trop lente et trop subtile, dont les Américains avaient compris le sens général, perdent 4 grands porte-avions, nombre de leurs meilleurs pilotes, et ne coulent qu’un porte-avion US. Ils ont à partir de cette date déjà perdu la guerre.


Cette guerre dite du Pacifique fait des dizaines de millions de morts, s’étend jusqu’à l’océan Indien, les confins de l’Inde (surtout en 1944), et la Chine bien entendu. Le Japon prétend y mener une guerre de libération de l’Asie mais opprime la Chine, la traitant en colonie. Les Etats-Unis prétendent se battre pour la liberté, mais ils souhaitent avant tout refaire du Pacifique leur lac intérieur.
Les enjeux des affrontements sont énormes pour les peuples pris dans l’étau de la guerre. Nicolas Bernard réussi le tour de force de les relater sous tous les angles, aspects économiques, moral des peuples et des soldats, rôle des personnalités politiques et militaires d’un côté et de l’autre, stratégies navales, aériennes et terrestres. Durant la dernière année de la guerre, le Japon croit pouvoir contrecarrer la force matérielle américaine par le sens du sacrifice japonais. Mais les kamikazes ne sont pas la solution miracle attendue. On sait comment les Américains abrégeront la guerre. Par quelle bombe ouvrant, comme Albert Camus l’aura vu, une ère nouvelle et terrifiante. Mais, tout autant sinon plus que les deux bombes atomiques, c’est l’offensive à revers des Soviétiques qui enlève au Japon tout espoir de résister longtemps et d’arracher une paix de compromis.


Le résumé de l’affaire tient en quelques lignes. Du côté américain, il y a eu une vision globale de la guerre mondiale. D’abord, après avoir contenu le Japon, battre l’ennemi principal, l’Allemagne, en aidant la Russie, en aidant l’Angleterre, en débarquant en Afrique du nord, puis en préparant la grande invasion de la (si peu) « forteresse Europe », déjà investie en Italie.


Du côté du Japon et de l’Allemagne, pas de vision d’ensemble, un désynchronisme total. Un Japon qui rassure la Russie au moment où il faudrait l’inquiéter. Une Allemagne qui ne peut être efficace contre les anglo-américains si elle s’engage, en juin 1941, contre la Russie (après avoir envisagé de proposer à la Russie d’entrer dans l’Axe Berlin-Rome-Tokyo). Et peut-être un aspect idéologique. Les impérialismes allemand et japonais se sont donnés comme tels, les Américains ont su se donner le visage du combat pour la liberté. Sincère ? Insincère ? A ce stade, qu’importe. Efficace.


Nicolas Bernard, La guerre du Pacifique, 1941-1945, Tallandier, 811 pages, 29,90 €