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samedi 13 septembre 2014

La formation des cadres, socle de la conquête


 Valérie Igounet
 
 
Cela fait un bon moment que l'objectif du Front national est clairement affiché : parvenir au pouvoir. Dans cette perspective, le parti d'extrême droite doit revêtir les habits d'un interlocuteur présentable ainsi qu'exiger un travail de fond sur ses idées… En somme, être crédible et rassurer pour gagner de nouveaux électeurs.
Chateau


Depuis 2011, le parti de Marine Le Pen pourrait être comparé à une entreprise de reconstruction, ayant connu pendant la décennie antérieure une période de crise électorale, militante et financière. Aujourd'hui, le Front national revendique plus de 70 000 adhérents. Une bonne partie d'entre eux sont jeunes, inexpérimentés en politique, comme le sont la plupart des cadres du FN. Ses passerelles au sein de la société civile lui font cruellement défaut. La formation des militants et cadres – futurs élus et principaux relais d'influence – et la mise en place de structures et nouveaux thèmes d'accroche sont essentiels, l'enjeu étant de constituer un appareil expérimenté et de créer un substrat intellectuel et socioprofessionnel afin de montrer sa capacité à gouverner.

La formation représente, pour le FN, un des éléments-clés de la conquête du pouvoir. Si une sorte de formation continue se fait par l'intermédiaire des grands rendez-vous du parti, la formation stricto sensu – technique et politique – a recommencé au début de l'année dans la perspective des municipales, considérées comme la première étape de la route vers le pouvoir.

L'édifice en train de se construire « fait partie de la valorisation de tout notre travail de formation et de captation d'un certain nombre de compétences », confirme Louis Aliot, vice-président du FN et chargé de la formation et des manifestations. Il s'inscrit dans la triple stratégie dédiabolisation-professionnalisation-normalisation inhérente à l'émergence et à la mise en avant d'un « nouveau » FN et de visages jusqu'alors méconnus, étrangers au paysage de l'extrême droite.

APPRENDRE À PENSER ET À PARLER FRONT NATIONAL

« Ce chantier de la formation est très certainement le chantier le plus important du Front national pour l'avenir, explique Marine Le Pen. L'implantation locale et la réussite de nos futurs dirigeants locaux dépendront de notre capacité à former nos cadres dans tous les secteurs de l'action publique et des idées politiques. » La formation dispensée par le FN s'intègre, à l'évidence, dans un travail de restructuration idéologique dans le cadre de son unification doctrinale. Il s'agit d'apprendre à penser et à parler Front national.

La création de think tanks et de collectifs présentés comme des cercles de réflexion met au jour la pénétration du FN dans certains milieux de la société civile où le parti n'est pas – ou peu – représenté. Elle est consubstantielle à un élargissement du discours frontiste et à son adaptation au contexte. D'où le collectif Racine, présenté comme un groupement d'enseignants « patriotes portant les valeurs républicaines », qui se fixe pour objectif le redressement de l'école de la République.

Son petit frère, le collectif Marianne, vise à devenir le « porte-voix de la jeunesse patriote » ; un regroupement étudiant qui cherche à s'implanter au sein des universités et grandes écoles pour recruter ses futurs cadres. Le collectif Audace (jeunes actifs) et la branche lycée de Racine viennent d'être lancés à Fréjus. D'autres créations, sur des sujets porteurs comme l'écologie, sont annoncées.

Certaines de ces structures restent, il est vrai, à l'état embryonnaire. L'important n'est pas là. Ces collectifs participent d'une recherche de visibilité et de légitimité dans la société. Aucun ne reprend le sigle FN. Celui du RBM (Rassemblement Bleu Marine) y est, lui, systématiquement accolé. Il s'agit de rompre avec le FN historique. La prospection et l'appropriation de nouveaux terrains sémantiques et politiques assoient le parti de Marine Le Pen sur diverses thématiques et évitent à ses adhérents de s'encarter systématiquement au FN.

La stratégie de recrutement frontiste s'est toujours inscrite dans cette dualité : ramener en son sein, sous une autre étiquette que celle du parti originel, des personnes extérieures, issues de divers courants de pensée et formations politiques. La phase de normalisation vise à rassembler, sans la marque de fabrique, comme aux temps des premières structures frontistes des années 1970 et des suivantes.

Sous l'ère de Bruno Mégret (délégué général du FN de 1989 à 1998), la formation des militants devenait une des préoccupations majeures.

« NOUS AVONS UNE DIMENSION INTELLECTUELLE »

Dans une note interne de la délégation générale, on pouvait également lire ceci : « Même si la compétence n'est pas un argument essentiel pour le grand public, il est capital pour les relais d'opinion. Il nous faut donc apporter progressivement la preuve de notre aptitude à exercer des responsabilités. Il faut aussi faire comprendre que nous avons une dimension intellectuelle et que si nous sommes un mouvement politique, nous sommes aussi un courant de pensée. Cette crédibilité doit se construire selon plusieurs paliers. Faire venir à nous et valoriser en direction de l'extérieur des personnalités de haut niveau reconnues pour leur compétence. Faire la preuve de notre aptitude à prendre position sur tous les problèmes, y compris sur des questions techniques. Montrer que nous sommes capables d'exercer avec succès des responsabilités de gestion, notamment dans les collectivités territoriales. »

« (…) Le Front national doit briser son isolement. Il doit chercher à le faire en direction des milieux d'influence et des relais d'opinion, notamment les milieux intellectuels et universitaires, les milieux économiques et professionnels. Cette démarche doit se faire par une politique active de relations publiques au plus haut niveau. Elle doit se faire aussi par le développement, la structuration et une meilleure utilisation de tout le réseau de clubs, d'associations de toutes sortes, existant ou à créer à la périphérie du Front national. L'objectif du Front national doit être clairement affiché : il est de prendre le pouvoir dans notre pays pour mettre en oeuvre le projet de redressement national qui est le nôtre. » Une vingtaine d'années plus tard, ces mots acquièrent une résonance particulière.

« Il n'y a plus de plafond de verre qui empêcherait notre victoire électorale », annonçait Marine Le Pen à Fréjus. Après plus de quarante années d'existence politique, le FN affiche et assume son ambition d'aller seul au pouvoir. D'un vote protestataire, le vote FN serait-il en train de passer à un vote d'adhésion « assumé, plein d'espoir » ? Pour s'avancer en parti de gouvernement, la présidente du FN sait qu'il lui faut gagner la bataille des idées. Comme Bruno Mégret, elle fait sienne le concept d'hégémonie culturelle du théoricien marxiste italien Antonio Gramsci (1891-1937), pour qui la conquête de la culture précède celle du pouvoir.
 
Notes

Valérie Igounet est historienne, chercheuse associée à l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS), est l’auteure du Front national de 1972 à nos jours. Le parti, les hommes, les idées, Seuil, 2014.  

Source

Le Monde