René Naba
Par trois fois en un siècle, le monde arabe a
perdu la bataille de la modernité et du décollage économique,
perpétuant durablement sa sujétion.
Par trois fois en un siècle, le monde arabe a perdu la bataille de la modernité et du décollage économique, perpétuant durablement sa sujétion :
Au XIXe siècle, sous Mohamad Ali, à l’époque de l’essor de l’industrie manufacturière.
Au moment de l’indépendance des pays arabes, à l’époque de la guerre froide soviéto-américaine et des conflits inter-arabes subséquents à l’instrumentalisation de l’Islam comme arme de combat contre le nationalisme arabe.
Pendant le dernier quart du XXe siècle, à la faveur du boom pétrolier qui transforma précocement bon nombre de jeunes pétromonarchies en «état rentier» dispendieux.
A l’image du monde arabe, la confrérie des Frères musulmans, a, par trois fois, raté sa course vers le pouvoir, la première fois, sous la monarchie, la deuxième fois, sous Gamal Abdel Nasser, en 1953, la troisième fois, sous Abdel Fattah Sissi, son successeur militaire, en 2013, soixante ans plus tard, le ratage le plus douloureux en ce qu’il a été le fait de l’Arabie saoudite, son incubateur absolu pendant près d’un demi-siècle.
En 86 ans d’existence, malgré revers et déboires, souvent de son fait et du fait de ses alliés, la plus importante et la plus ancienne formation transarabe, fondée en 1928, paraît laminée en ce qu’elle n’a jamais conçu un projet de société autre que la propulsion de l’interdit comme mode de gouvernement, corrélativement à l’enfouissement du corps et surtout de l’esprit.
Plutôt que de veiller au dépassement des clivages ethnico-religieux, les avatars de l’ère Mohamad Morsi en Égypte ont déblayé la voie à la proclamation d’un califat nouveau, sur les rives de l’Euphrate et de la Mésopotamie, faisant planer le risque d’anéantissement de l’unique mouvement de résistance nationale sunnite du monde arabe, qui plus est de sensibilité des Frères musulmans, le Hamas, miraculeusement rescapé de l’enfer israélien par la bravoure des défenseurs de Gaza et le soutien exclusif des renégats de l’Islam – l’Iran la Syrie et le Hezbollah – le plus important camouflet infligé à la sphère sunnite.
Principal vecteur d’accompagnement de la stratégie américaine en vue de la soumission du monde arabe à l’ordre atlantiste, la confrérie, aura été, de surcroît, la matrice de la totalité des déclinaisons dégénératives du djihadisme planétaire d’Al Qaida à Da’ech. Fonctionnant selon un mode opératoire unique fondé sur l’articulation de l’international sur le local, la source exclusive de son impulsion, -particulièrement leur articulation sur le camp pro-occidental au Liban, notamment les phalangistes, les milices chrétiennes libanaises-, ainsi que de leur propagande outrancièrement fantaisiste, à l’origine de leur discrédit durable, sa connivence souterraine sur le plan opérationnel avec les groupements takfiristes, lors de la bataille de Syrie (2011-2014), a frappé de caducité le discours novateur de son programme politique en ce que sa duplicité en le dévoilant, l’a dévoyé, le fourvoyant face à son ultime excroissance pathologique.
Par leurs errances et leurs déviances, sur fond de démagogie inépuisable, les Frères musulmans auront affligé le monde arabe d’un handicap aussi lourd que les adversaires dont ils se voulaient le substitut.L’histoire retiendra que les Frères musulmans auront été poignardés par un Etat se réclamant de la même religiosité rigoriste qu’eux, et non par des nationalistes républicains qu’ils ont éperdument combattu. L’histoire retiendra aussi que les Frères musulmans auront été les plus parfaits idiots utiles de la stratégie atlantiste dans l’espace arabe, au détriment de leur propre cause et de la cause de l’Islam qu’ils sont supposés promouvoir.
Mohamad Morsi, premier président néo-islamiste démocratiquement élu du plus grand pays arabe, l’Égypte, auparavant accrédité sécurité nationale américaine pour le compte de la NASA, c’est-à-dire un homme qui prône l’Islam comme référence absolue, son univers indépassable, qui consent néanmoins à prêter serment de loyauté et de fidélité aux États-Unis, Bourhane Ghalioune, salarié français de l’administration française, premier président de l’opposition off shore syrienne, de même que sa porte-parole Basma Kodmani…, Akila, la secrétaire particulière de Tareq Aziz, ancien ministre irakien des Affaires étrangères pendant trente ans, qui convole avec le naufrageur de l’Irak, Paul Bremer, sans la moindre requête en grâce pour son ancien mentor en longue détention et cancéreux, une dame de la grande bourgeoisie libyenne en positionnement embedded avec Paul Wolfowitz, le naufrageur du Moyen orient pour le compte d’Israël…. la caste intellectuelle arabe de la diaspora occidentale pâtit lourdement d’un phénomène de désorientation, la marque typique de l’acculturation, sur fond d’une décompression psychologique et d’une déperdition intellectuelle morale. Un naufrage humain.
La quête du savoir technologique et l’accession à la modernisation économique ne sauraient être compatibles avec un autoritarisme bureaucratique, monarchique ou républicain, qu’il soit. De même que la personnalisation du pouvoir ne saurait, à elle seule, servir de panacées à tous les maux de la société arabe, ni la déclamation tenir lieu de substitut à l’impérieuse nécessité d’une maîtrise de la complexité de la modernité.
Ce qui implique une nécessaire mais salutaire remise en cause de la «culture de gouvernement» dans les pays arabes. Ce qui présuppose pour le pouvoir, une refonte de ses pratiques, «une révolution dans la sphère culturelle», au sens où l’entend Jacques Berque, c’est -à- dire «l’action d’une société quand elle se cherche un sens et une expression». Pour l’intellectuel, un réinvestissement du champ du débat par sa contribution à la production des valeurs et au développement de l’esprit critique. Pour le citoyen, la conquête de nouveaux espaces de liberté. Pour le monde arabe, la prise en compte de ses diverses composantes, notamment ses minorités culturelles et religieuses, et, surtout, dernière et non la moindre des conditions, le dépassement de ses divisions.
En un mot, une rupture avec la fatalité du déclin, tant il est vrai qu’un réconciliation interarabe demeure le préalable indispensable à toute re-mobilisation psychologique du monde arabe, en vue de son redressement politique. Le préalable absolu à son repositionnement international.
Sauf à se résoudre à un déclin irrémédiable, les pays arabes ne sauraient faire l’économie d'une réflexion approfondie de leur approche stratégique des défis du monde contemporain, car le plus grand danger qui guette le monde arabe au XXIe siècle sera, non la modernité, mais l’artifice de la modernité, l’amalgame entre modernité et archaïsme, et, sous couvert de synthèse, de mettre la modernité au service de l’archaïsme, mettre une technologie du XXIe siècle au service d’une idéologie passéiste pour le plus grand bénéfice des équipes dirigeantes, avec en prime le risque probable d’une plus grande régression arabe.
Strategic Foresight Group (SFG), chiffrait, quant à lui, à douze mille milliards de dollars la somme perdue du fait des guerres qui ensanglantent l’ensemble du Proche-Orient depuis 1991. Ce coût englobant aussi bien les pertes humaines que les dégâts infligés à l’écologie, aux répercussions sur l’eau, le climat, l’agriculture, en passant par la croissance démographique, le chômage, l’émigration, la hausse des loyers, le prix du pétrole, voire même l’éducation. Ce chiffre ne tient pas compte des débours pétro-monarchiques en vue de la déstabilisation du monde arabe à la faveur du mal nommé «printemps arabe», et du coût de la reconstruction tant de la Syrie, que de la Libye, que de l’Égypte que de l’Irak, de l’ordre de 500 milliards de dollars.
Plus de cinquante experts d’Israël, des territoires palestiniens, d’Irak, du Liban, de Jordanie, d’Égypte, du Qatar, du Koweït et de la Ligue arabe ont participé à cette étude menée par ce groupe de réflexion basé en Inde et soutenu par la Suisse, la Norvège, le Qatar et la Turquie. Le rapport de 170 pages, publié en 2010, pointe par exemple les centaines de milliers d’heures de travail perdues par les Palestiniens aux check points (barrages israéliens). Il révèle aussi que 91% des Israéliens vivent dans un perpétuel sentiment de peur et d’insécurité.
Sauf à entraîner le monde arabe dans un déclin irrémédiable, une claire rupture avec la logique de la vassalité s’impose, alors que la scène internationale s’achemine vers un choc entre le leader en devenir (la Chine) et la puissance déclinante (les États-Unis), impliquant une vaste redistribution des cartes géopolitiques à l’échelle planétaire.
Sauf à vouloir provoquer l’exode final des chrétiens arabes, le leadership chrétien libanais, en particulier maronite, serait avisé de se vivre non comme la pointe avancée de l’Occident en terre arabe, mais plutôt comme exerçant son pouvoir symboliquement par délégation des autres communautés chrétiennes du monde arabe, et de prendre la mesure du fait que ses options se répercutent d’une manière ou d’une autre sur ses coreligionnaires.
Sauf à considérer la chrétienté comme relevant du patrimoine exclusif de l’Occident, la vocation première des chrétiens arabes est d’être partie pleinement prenante au combat national arabe pour la restauration de la dignité et de la souveraineté nationale de l’espace arabe, et non comme le fer de lance du combat pour leur soumission à l’ordre américain, une fonction dévolue traditionnellement à Israël dont ils seraient à nouveau les supplétifs déconsidérés. La démocratisation de la vie arabe sera l’œuvre des Arabes ou ne sera pas. En aucun cas elle ne devra se faire à l’ombre des baïonnettes américaines. En tout cas certainement pas avec les chrétiens arabes dans le rôle de contremaîtres.
L’histoire du monde arabe abonde de ces exemples de « fusibles » magnifiés dans le « martyr », victimes sacrificielles d’une politique de puissance dont ils auront été, les partenaires jamais, les exécutants fidèles, toujours. Dans les périodes de bouleversement géostratégique, les dépassements de seuil ne sauraient se franchir dans le monde arabe sans déclencher des répliques punitives.
Le roi Abdallah 1er de Jordanie, assassiné en 1948, le Premier ministre irakien Noury Saïd, lynché par la population 10 ans après à Bagdad, en 1958, ainsi que son compère jordanien Wasfi Tall, tué en 1971, le président égyptien Anouar Al-Sadate en 1981, le président libanais Bachir Gemayel, dynamité à la veille de sa prise du pouvoir en 1982, de même que l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri en 2005, l’ancien premier ministre du Pakistan Benazir Bhutto en 2007, enfin, constituent à cet égard les plus illustres témoins posthumes de cette règle non écrite des lois de la polémologie si particulière du Moyen-Orient. Tel pourrait être l’enseignement majeur de cette séquence dont la victime principale aura été l’espérance.
La plus grande erreur de l’Occident est d’avoir toujours voulu coexister avec des «Arabes domestiqués» dans la plus grande tradition coloniale.
De Nasser, comme auparavant Mohamad Mossadegh en Iran, en 1953, l’Occident a réagi à l’émergence de dirigeants nationalistes arabes ou musulmans par leur diabolisation, débouchant sur une radicalisation du combat. Nasser comme Arafat ont été comparés à Hitler, et, par mouvement symétrique, le nationalisme a cédé la place à l’islamisme, Nasser à Oussama Ben Laden, Mossadegh à l’Imam Khomeiny, guide suprême de la révolution islamique iranienne, Arafat au Hamas et au Jihad islamique et les fédayine, ces combattants palestiniens politisés, aux volontaires de la mort, ces désespérés d’une vie sublimée par le sacrifice dans la croyance en une foi idéologisée.
Pour avoir mené dans toute sa rigueur une «Carbon democracy», bafouant les plus hautes valeurs démocratiques au profit des lois implacables du marché, en alliance avec les pays les plus répressifs et les plus rétrogrades du Monde arabe, les pays occidentaux ont été conduits à rechercher des interlocuteurs non plus de la stature de Gamal Abel Nasser ou de Yasser Arafat, mais au delà, dans les franges les plus extrêmes du radicalisme islamique et au fur et à mesure que les occasions se ratent, Cheikh Ahmad Yassine et Abdel Aziz Rantissi, les deux chefs historiques du mouvement islamique palestinien Hamas, -tués au printemps 2004 par les assassinats extra judiciaires du gouvernement d’Ariel Sharon-, paraitront, rétrospectivement, de bien raisonnables et respectable partenaires.
Il est des blessures qui s’ulcèrent avec le temps au lieu de se cicatriser. L’histoire est comptable des comportements désinvoltes lourds toutefois de servitudes futures. Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui ruse avec ces principes est une civilisation moribonde (Aimé Césaire).
Cent ans après le début de la première guerre mondiale et des bouleversements stratégiques qui se sont ensuivis au Moyen-Orient, de l’accord Sykes-Picot portant partage de la zone en sphère d’influence Franco-britannique, à la promesse Balfour créant un «foyer national juif» en Palestine, aux massacres des Arméniens par la Turquie, premier génocide du XX me siècle, il est temps que les Arabes prennent conscience des défis qui se posent à eux et d se donner les moyens de les relever.
Par trois fois en un siècle, le monde arabe a perdu la bataille de la modernité et du décollage économique, perpétuant durablement sa sujétion :
Au XIXe siècle, sous Mohamad Ali, à l’époque de l’essor de l’industrie manufacturière.
Au moment de l’indépendance des pays arabes, à l’époque de la guerre froide soviéto-américaine et des conflits inter-arabes subséquents à l’instrumentalisation de l’Islam comme arme de combat contre le nationalisme arabe.
Pendant le dernier quart du XXe siècle, à la faveur du boom pétrolier qui transforma précocement bon nombre de jeunes pétromonarchies en «état rentier» dispendieux.
A l’image du monde arabe, la confrérie des Frères musulmans, a, par trois fois, raté sa course vers le pouvoir, la première fois, sous la monarchie, la deuxième fois, sous Gamal Abdel Nasser, en 1953, la troisième fois, sous Abdel Fattah Sissi, son successeur militaire, en 2013, soixante ans plus tard, le ratage le plus douloureux en ce qu’il a été le fait de l’Arabie saoudite, son incubateur absolu pendant près d’un demi-siècle.
En 86 ans d’existence, malgré revers et déboires, souvent de son fait et du fait de ses alliés, la plus importante et la plus ancienne formation transarabe, fondée en 1928, paraît laminée en ce qu’elle n’a jamais conçu un projet de société autre que la propulsion de l’interdit comme mode de gouvernement, corrélativement à l’enfouissement du corps et surtout de l’esprit.
Plutôt que de veiller au dépassement des clivages ethnico-religieux, les avatars de l’ère Mohamad Morsi en Égypte ont déblayé la voie à la proclamation d’un califat nouveau, sur les rives de l’Euphrate et de la Mésopotamie, faisant planer le risque d’anéantissement de l’unique mouvement de résistance nationale sunnite du monde arabe, qui plus est de sensibilité des Frères musulmans, le Hamas, miraculeusement rescapé de l’enfer israélien par la bravoure des défenseurs de Gaza et le soutien exclusif des renégats de l’Islam – l’Iran la Syrie et le Hezbollah – le plus important camouflet infligé à la sphère sunnite.
Principal vecteur d’accompagnement de la stratégie américaine en vue de la soumission du monde arabe à l’ordre atlantiste, la confrérie, aura été, de surcroît, la matrice de la totalité des déclinaisons dégénératives du djihadisme planétaire d’Al Qaida à Da’ech. Fonctionnant selon un mode opératoire unique fondé sur l’articulation de l’international sur le local, la source exclusive de son impulsion, -particulièrement leur articulation sur le camp pro-occidental au Liban, notamment les phalangistes, les milices chrétiennes libanaises-, ainsi que de leur propagande outrancièrement fantaisiste, à l’origine de leur discrédit durable, sa connivence souterraine sur le plan opérationnel avec les groupements takfiristes, lors de la bataille de Syrie (2011-2014), a frappé de caducité le discours novateur de son programme politique en ce que sa duplicité en le dévoilant, l’a dévoyé, le fourvoyant face à son ultime excroissance pathologique.
Par leurs errances et leurs déviances, sur fond de démagogie inépuisable, les Frères musulmans auront affligé le monde arabe d’un handicap aussi lourd que les adversaires dont ils se voulaient le substitut.L’histoire retiendra que les Frères musulmans auront été poignardés par un Etat se réclamant de la même religiosité rigoriste qu’eux, et non par des nationalistes républicains qu’ils ont éperdument combattu. L’histoire retiendra aussi que les Frères musulmans auront été les plus parfaits idiots utiles de la stratégie atlantiste dans l’espace arabe, au détriment de leur propre cause et de la cause de l’Islam qu’ils sont supposés promouvoir.
Mohamad Morsi, premier président néo-islamiste démocratiquement élu du plus grand pays arabe, l’Égypte, auparavant accrédité sécurité nationale américaine pour le compte de la NASA, c’est-à-dire un homme qui prône l’Islam comme référence absolue, son univers indépassable, qui consent néanmoins à prêter serment de loyauté et de fidélité aux États-Unis, Bourhane Ghalioune, salarié français de l’administration française, premier président de l’opposition off shore syrienne, de même que sa porte-parole Basma Kodmani…, Akila, la secrétaire particulière de Tareq Aziz, ancien ministre irakien des Affaires étrangères pendant trente ans, qui convole avec le naufrageur de l’Irak, Paul Bremer, sans la moindre requête en grâce pour son ancien mentor en longue détention et cancéreux, une dame de la grande bourgeoisie libyenne en positionnement embedded avec Paul Wolfowitz, le naufrageur du Moyen orient pour le compte d’Israël…. la caste intellectuelle arabe de la diaspora occidentale pâtit lourdement d’un phénomène de désorientation, la marque typique de l’acculturation, sur fond d’une décompression psychologique et d’une déperdition intellectuelle morale. Un naufrage humain.
La quête du savoir technologique et l’accession à la modernisation économique ne sauraient être compatibles avec un autoritarisme bureaucratique, monarchique ou républicain, qu’il soit. De même que la personnalisation du pouvoir ne saurait, à elle seule, servir de panacées à tous les maux de la société arabe, ni la déclamation tenir lieu de substitut à l’impérieuse nécessité d’une maîtrise de la complexité de la modernité.
Ce qui implique une nécessaire mais salutaire remise en cause de la «culture de gouvernement» dans les pays arabes. Ce qui présuppose pour le pouvoir, une refonte de ses pratiques, «une révolution dans la sphère culturelle», au sens où l’entend Jacques Berque, c’est -à- dire «l’action d’une société quand elle se cherche un sens et une expression». Pour l’intellectuel, un réinvestissement du champ du débat par sa contribution à la production des valeurs et au développement de l’esprit critique. Pour le citoyen, la conquête de nouveaux espaces de liberté. Pour le monde arabe, la prise en compte de ses diverses composantes, notamment ses minorités culturelles et religieuses, et, surtout, dernière et non la moindre des conditions, le dépassement de ses divisions.
En un mot, une rupture avec la fatalité du déclin, tant il est vrai qu’un réconciliation interarabe demeure le préalable indispensable à toute re-mobilisation psychologique du monde arabe, en vue de son redressement politique. Le préalable absolu à son repositionnement international.
Sauf à se résoudre à un déclin irrémédiable, les pays arabes ne sauraient faire l’économie d'une réflexion approfondie de leur approche stratégique des défis du monde contemporain, car le plus grand danger qui guette le monde arabe au XXIe siècle sera, non la modernité, mais l’artifice de la modernité, l’amalgame entre modernité et archaïsme, et, sous couvert de synthèse, de mettre la modernité au service de l’archaïsme, mettre une technologie du XXIe siècle au service d’une idéologie passéiste pour le plus grand bénéfice des équipes dirigeantes, avec en prime le risque probable d’une plus grande régression arabe.
Strategic Foresight Group (SFG), chiffrait, quant à lui, à douze mille milliards de dollars la somme perdue du fait des guerres qui ensanglantent l’ensemble du Proche-Orient depuis 1991. Ce coût englobant aussi bien les pertes humaines que les dégâts infligés à l’écologie, aux répercussions sur l’eau, le climat, l’agriculture, en passant par la croissance démographique, le chômage, l’émigration, la hausse des loyers, le prix du pétrole, voire même l’éducation. Ce chiffre ne tient pas compte des débours pétro-monarchiques en vue de la déstabilisation du monde arabe à la faveur du mal nommé «printemps arabe», et du coût de la reconstruction tant de la Syrie, que de la Libye, que de l’Égypte que de l’Irak, de l’ordre de 500 milliards de dollars.
Plus de cinquante experts d’Israël, des territoires palestiniens, d’Irak, du Liban, de Jordanie, d’Égypte, du Qatar, du Koweït et de la Ligue arabe ont participé à cette étude menée par ce groupe de réflexion basé en Inde et soutenu par la Suisse, la Norvège, le Qatar et la Turquie. Le rapport de 170 pages, publié en 2010, pointe par exemple les centaines de milliers d’heures de travail perdues par les Palestiniens aux check points (barrages israéliens). Il révèle aussi que 91% des Israéliens vivent dans un perpétuel sentiment de peur et d’insécurité.
Sauf à entraîner le monde arabe dans un déclin irrémédiable, une claire rupture avec la logique de la vassalité s’impose, alors que la scène internationale s’achemine vers un choc entre le leader en devenir (la Chine) et la puissance déclinante (les États-Unis), impliquant une vaste redistribution des cartes géopolitiques à l’échelle planétaire.
Sauf à vouloir provoquer l’exode final des chrétiens arabes, le leadership chrétien libanais, en particulier maronite, serait avisé de se vivre non comme la pointe avancée de l’Occident en terre arabe, mais plutôt comme exerçant son pouvoir symboliquement par délégation des autres communautés chrétiennes du monde arabe, et de prendre la mesure du fait que ses options se répercutent d’une manière ou d’une autre sur ses coreligionnaires.
Sauf à considérer la chrétienté comme relevant du patrimoine exclusif de l’Occident, la vocation première des chrétiens arabes est d’être partie pleinement prenante au combat national arabe pour la restauration de la dignité et de la souveraineté nationale de l’espace arabe, et non comme le fer de lance du combat pour leur soumission à l’ordre américain, une fonction dévolue traditionnellement à Israël dont ils seraient à nouveau les supplétifs déconsidérés. La démocratisation de la vie arabe sera l’œuvre des Arabes ou ne sera pas. En aucun cas elle ne devra se faire à l’ombre des baïonnettes américaines. En tout cas certainement pas avec les chrétiens arabes dans le rôle de contremaîtres.
L’histoire du monde arabe abonde de ces exemples de « fusibles » magnifiés dans le « martyr », victimes sacrificielles d’une politique de puissance dont ils auront été, les partenaires jamais, les exécutants fidèles, toujours. Dans les périodes de bouleversement géostratégique, les dépassements de seuil ne sauraient se franchir dans le monde arabe sans déclencher des répliques punitives.
Le roi Abdallah 1er de Jordanie, assassiné en 1948, le Premier ministre irakien Noury Saïd, lynché par la population 10 ans après à Bagdad, en 1958, ainsi que son compère jordanien Wasfi Tall, tué en 1971, le président égyptien Anouar Al-Sadate en 1981, le président libanais Bachir Gemayel, dynamité à la veille de sa prise du pouvoir en 1982, de même que l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri en 2005, l’ancien premier ministre du Pakistan Benazir Bhutto en 2007, enfin, constituent à cet égard les plus illustres témoins posthumes de cette règle non écrite des lois de la polémologie si particulière du Moyen-Orient. Tel pourrait être l’enseignement majeur de cette séquence dont la victime principale aura été l’espérance.
La plus grande erreur de l’Occident est d’avoir toujours voulu coexister avec des «Arabes domestiqués» dans la plus grande tradition coloniale.
De Nasser, comme auparavant Mohamad Mossadegh en Iran, en 1953, l’Occident a réagi à l’émergence de dirigeants nationalistes arabes ou musulmans par leur diabolisation, débouchant sur une radicalisation du combat. Nasser comme Arafat ont été comparés à Hitler, et, par mouvement symétrique, le nationalisme a cédé la place à l’islamisme, Nasser à Oussama Ben Laden, Mossadegh à l’Imam Khomeiny, guide suprême de la révolution islamique iranienne, Arafat au Hamas et au Jihad islamique et les fédayine, ces combattants palestiniens politisés, aux volontaires de la mort, ces désespérés d’une vie sublimée par le sacrifice dans la croyance en une foi idéologisée.
Pour avoir mené dans toute sa rigueur une «Carbon democracy», bafouant les plus hautes valeurs démocratiques au profit des lois implacables du marché, en alliance avec les pays les plus répressifs et les plus rétrogrades du Monde arabe, les pays occidentaux ont été conduits à rechercher des interlocuteurs non plus de la stature de Gamal Abel Nasser ou de Yasser Arafat, mais au delà, dans les franges les plus extrêmes du radicalisme islamique et au fur et à mesure que les occasions se ratent, Cheikh Ahmad Yassine et Abdel Aziz Rantissi, les deux chefs historiques du mouvement islamique palestinien Hamas, -tués au printemps 2004 par les assassinats extra judiciaires du gouvernement d’Ariel Sharon-, paraitront, rétrospectivement, de bien raisonnables et respectable partenaires.
Il est des blessures qui s’ulcèrent avec le temps au lieu de se cicatriser. L’histoire est comptable des comportements désinvoltes lourds toutefois de servitudes futures. Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui ruse avec ces principes est une civilisation moribonde (Aimé Césaire).
Cent ans après le début de la première guerre mondiale et des bouleversements stratégiques qui se sont ensuivis au Moyen-Orient, de l’accord Sykes-Picot portant partage de la zone en sphère d’influence Franco-britannique, à la promesse Balfour créant un «foyer national juif» en Palestine, aux massacres des Arméniens par la Turquie, premier génocide du XX me siècle, il est temps que les Arabes prennent conscience des défis qui se posent à eux et d se donner les moyens de les relever.
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oumma.com