Dominique Albertini
Interview : Manuel Valls a accusé Michel Onfray
de défendre Alain de Benoist, «philosophe de la Nouvelle Droite» qui
aurait «façonné la matrice idéologique du FN». Qu'en est-il exactement ?
Réponse avec le politologue Stéphane François.
Omniprésent dans la campagne des départementales, Manuel Valls a fait du Front national le premier adversaire de son camp. Et si bien creusé le filon qu’il est tombé sur un fossile politique : la «Nouvelle Droite». Dimanche, le Premier ministre s’en est pris au philosophe Michel Onfray, l’accusant de contribuer à une «perte des repères» face à l’extrême droite. «Quand un philosophe connu […], Michel Onfray, explique qu’Alain de Benoist - qui était le philosophe de la Nouvelle Droite dans les années 70 et 80, qui d’une certaine manière a façonné la matrice idéologique du Front national, avec le Club de l’Horloge, le Grece - […] vaut mieux que Bernard-Henri Lévy, ça veut dire qu’on perd les repères», a jugé Manuel Valls - quitte à déformer les propos de Michel Onfray.
De quoi s’agit-il au juste ? Eléments de réponse avec Stéphane François, historien et politologue spécialiste des droites radicales.
Qu’est-ce que cette Nouvelle Droite dont a parlé Manuel Valls ?
Pour faire simple, c’est un courant de pensée de la droite radicale né en 1968. L’étiquette «Nouvelle Droite» lui a été appliquée en 1979, à l’occasion d’une campagne de presse contre lui. A l’origine, la Nouvelle Droite est pro-occidentale et assez raciste ; elle est favorable à l’unité européenne et défend la race blanche partout où elle se trouve. Elle se construit autour de deux institutions principales : le Club de l’Horloge et le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (Grece). Fondateur de ce dernier, Alain de Benoist n’y participe plus depuis les années 80, tout en restant une figure importante de la mouvance.
A partir du début des années 80, le Grece va évoluer vers un discours antilibéral, fortement anti-américain et différentialiste – soit, dans la perspective de Claude Lévi-Strauss, l’idée de mettre les cultures sous cloches pour éviter qu’elles ne se métissent et ne disparaissent. Enfin, dans une période plus récente, le Grece a développé les thèmes régionalistes, écologistes et populistes. Il s’agit donc d’une mouvance très plastique.
L’autre caractéristique de la Nouvelle Droite, c’est d’avoir voulu faire de la «métapolitique». C’est-à-dire d’avoir jugé qu’avant de faire de la politique électorale, il faut gagner sur le terrain des idées, décider des termes du débat. C’est ainsi que l’on a retrouvé beaucoup de représentants de la Nouvelle Droite dans la presse, et notamment au Figaro, dans les années 70. Cette stratégie s’est cependant conclue par un échec, dont la Nouvelle Droite ne s’est jamais vraiment relevée.
La Nouvelle Droite a-t-elle joué un rôle de «matrice» pour le FN ?
Très clairement, ce n’est pas le cas pour Alain de Benoist, qui n’a rien à voir avec le FN. Il est vrai toutefois qu’une certaine partie de la Nouvelle Droite, sa tendance la plus identitaire, a joué un rôle au Front national. Quand Alain de Benoist s’est détourné des thèmes fondateurs de la Nouvelle Droite, certains membres de la tendance identitaire du Grece ont rejoint le parti, comme certains représentants du Club de l’Horloge, tels que Bruno Mégret. Ce petit monde restera au FN du milieu des années 80 à la fin des années 90, où il le quittera derrière Bruno Mégret. Les néodroitiers ont contribué à structurer le FN ; pour autant, on ne peut dire qu’ils en ont été la «matrice». Aujourd’hui, on ne trouve plus guère de représentants de la Nouvelle Droite au Front national – à une ou deux exceptions près, comme le conseiller personnel de Marion Maréchal-Le Pen.
La Nouvelle Droite est-elle une mouvance d’extrême droite ?
Au départ, oui, très clairement. Aujourd’hui, les choses sont plus complexes. On y trouve des militants identitaires, mais aussi des gens qui sont là pour d’autres raisons et n’ont pas grand-chose à voir avec l’extrême droite. Alain de Benoist ne cache pas son intérêt pour Marine Le Pen, mais il conteste le jacobinisme et l’islamophobie du Front national. Cela dit, à la lecture du magazine Elements, qui reste la publication de référence pour cette mouvance, je dirais que l’on peut toujours parler d’extrême droite – la coloration des articles étant de plus en plus identitaire. Et le différentialisme de la Nouvelle Droite reste profondément ambigu. Réagissant aux propos de Manuel Valls, De Benoist a dit se sentir «plus à gauche» que lui. Pourquoi pas, mais l’on n’oubliera pas que tout un pan de la droite radicale est anticapitaliste, dans la lignée de la révolution conservatrice allemande des années 20 et du national-bolchévisme.
Omniprésent dans la campagne des départementales, Manuel Valls a fait du Front national le premier adversaire de son camp. Et si bien creusé le filon qu’il est tombé sur un fossile politique : la «Nouvelle Droite». Dimanche, le Premier ministre s’en est pris au philosophe Michel Onfray, l’accusant de contribuer à une «perte des repères» face à l’extrême droite. «Quand un philosophe connu […], Michel Onfray, explique qu’Alain de Benoist - qui était le philosophe de la Nouvelle Droite dans les années 70 et 80, qui d’une certaine manière a façonné la matrice idéologique du Front national, avec le Club de l’Horloge, le Grece - […] vaut mieux que Bernard-Henri Lévy, ça veut dire qu’on perd les repères», a jugé Manuel Valls - quitte à déformer les propos de Michel Onfray.
De quoi s’agit-il au juste ? Eléments de réponse avec Stéphane François, historien et politologue spécialiste des droites radicales.
Qu’est-ce que cette Nouvelle Droite dont a parlé Manuel Valls ?
Pour faire simple, c’est un courant de pensée de la droite radicale né en 1968. L’étiquette «Nouvelle Droite» lui a été appliquée en 1979, à l’occasion d’une campagne de presse contre lui. A l’origine, la Nouvelle Droite est pro-occidentale et assez raciste ; elle est favorable à l’unité européenne et défend la race blanche partout où elle se trouve. Elle se construit autour de deux institutions principales : le Club de l’Horloge et le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (Grece). Fondateur de ce dernier, Alain de Benoist n’y participe plus depuis les années 80, tout en restant une figure importante de la mouvance.
A partir du début des années 80, le Grece va évoluer vers un discours antilibéral, fortement anti-américain et différentialiste – soit, dans la perspective de Claude Lévi-Strauss, l’idée de mettre les cultures sous cloches pour éviter qu’elles ne se métissent et ne disparaissent. Enfin, dans une période plus récente, le Grece a développé les thèmes régionalistes, écologistes et populistes. Il s’agit donc d’une mouvance très plastique.
L’autre caractéristique de la Nouvelle Droite, c’est d’avoir voulu faire de la «métapolitique». C’est-à-dire d’avoir jugé qu’avant de faire de la politique électorale, il faut gagner sur le terrain des idées, décider des termes du débat. C’est ainsi que l’on a retrouvé beaucoup de représentants de la Nouvelle Droite dans la presse, et notamment au Figaro, dans les années 70. Cette stratégie s’est cependant conclue par un échec, dont la Nouvelle Droite ne s’est jamais vraiment relevée.
La Nouvelle Droite a-t-elle joué un rôle de «matrice» pour le FN ?
Très clairement, ce n’est pas le cas pour Alain de Benoist, qui n’a rien à voir avec le FN. Il est vrai toutefois qu’une certaine partie de la Nouvelle Droite, sa tendance la plus identitaire, a joué un rôle au Front national. Quand Alain de Benoist s’est détourné des thèmes fondateurs de la Nouvelle Droite, certains membres de la tendance identitaire du Grece ont rejoint le parti, comme certains représentants du Club de l’Horloge, tels que Bruno Mégret. Ce petit monde restera au FN du milieu des années 80 à la fin des années 90, où il le quittera derrière Bruno Mégret. Les néodroitiers ont contribué à structurer le FN ; pour autant, on ne peut dire qu’ils en ont été la «matrice». Aujourd’hui, on ne trouve plus guère de représentants de la Nouvelle Droite au Front national – à une ou deux exceptions près, comme le conseiller personnel de Marion Maréchal-Le Pen.
La Nouvelle Droite est-elle une mouvance d’extrême droite ?
Au départ, oui, très clairement. Aujourd’hui, les choses sont plus complexes. On y trouve des militants identitaires, mais aussi des gens qui sont là pour d’autres raisons et n’ont pas grand-chose à voir avec l’extrême droite. Alain de Benoist ne cache pas son intérêt pour Marine Le Pen, mais il conteste le jacobinisme et l’islamophobie du Front national. Cela dit, à la lecture du magazine Elements, qui reste la publication de référence pour cette mouvance, je dirais que l’on peut toujours parler d’extrême droite – la coloration des articles étant de plus en plus identitaire. Et le différentialisme de la Nouvelle Droite reste profondément ambigu. Réagissant aux propos de Manuel Valls, De Benoist a dit se sentir «plus à gauche» que lui. Pourquoi pas, mais l’on n’oubliera pas que tout un pan de la droite radicale est anticapitaliste, dans la lignée de la révolution conservatrice allemande des années 20 et du national-bolchévisme.
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Libération