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mercredi 9 novembre 2016

Hitler, Raeder et la défaite stratégique en Méditerranée




Ma conviction est qu’Hitler a perdu la guerre en 1940 ; et qu’il l’a perdue en Méditerranée. Dunkerque, Montoire, la prise de décision de Barbarossa (voir Bernard Plouvier), la liberté laissée à Mussolini de saboter le travail, l’abandon de sa flotte et de son empire colonial à la France, tout cela cumule un ensemble de mauvaises décisions, sans doute pas fortuites (la fascination pour le crépuscule des dieux…), qui compromettaient à moyen terme l’avenir. Car dès décembre 41 la guerre est perdue, sauf pour les stratèges amateurs et les propagandistes. Et elle a été perdue en Méditerranée, ce mare Nostrum qui lui eût permis de conquérir l’Afrique et l’occident de l’Asie, si riche en matières premières et pétrole. Il n’y avait de toute manière pas de place pour vingt millions de colons en Ukraine, et pas de cœur non plus chez les colons teutons pour y aller par millions : lisez l’Allemagne national-socialiste et l’Ukraine, publiée en 1986 par l’historien ukrainien Kozyk.
 
Pour bien comprendre les raisons de la défaite allemande en Méditerranée, c’est-à-dire les raisons de la défaite allemande tout court, je m’en remets à deux sources toutes simples : la guerre d’Hitler de David Irving, au moment où cet auteur était au pinacle de sa gloire (téléchargeable gratuitement sur le site de ce généreux et grand bosseur !) ; et le testament d’Adolf Hitler, consigné par Bormann, où le führer inspiré recense de mauvaise humeur les raisons de sa défaite.

Même s’il ne comprend toujours pas la gravité de son absence en Méditerranée, Hitler affirme que ce sont les puissances méditerranéennes européennes, les puissances latines, puissances a priori proches idéologiquement, qui l’ont fait perdre.
  • L’Italie tout d’abord qui déclare la guerre mi-juin à la France et empêche toute entente franco-italienne par la suite, et donc toute décision stratégique allemande dans la zone. Le comportement pitoyable de Mussolini et de ses armées, les défaites italiennes face une Angleterre pourtant très faible sur tous les fronts (Churchill : we are the mockery of the world !), l’incapacité de mener une campagne sérieuse en Libye, pourtant fief de l’Italie, tout cela va nuire considérablement à l’Allemagne. Sans compter la désastreuse campagne grecque du Duce qui fait perdre à l’Allemagne deux précieux mois avant Barbarossa, tout en l’obligeant à envahir des pays qui n’étaient a priori même pas hostiles (la Yougoslavie d’avant le Coup anglais, sans compter la Grèce elle-même).
  • L’Espagne : Franco devait tout à Hitler, et il était prêt à bouger, contrairement à la légende : je cite l’historien germano-américain Gehrard Weinberg. « Dictator General Francisco Franco decided to take advantage of the defeat of France and the widely expected defeat of Britain by entering the war on the Axis side« . Hitler estime pourtant dans son testament qu’en faisant entrer l’Espagne dans la guerre, il en eût fait une cible pour l’Angleterre. Mais l’Angleterre n’a pas attaqué, sinon de manière insignifiante (ou inopportune et inoffensive, comme à Dieppe), les côtes françaises pendant trois ans : En récupérant Gibraltar, il contrôlait définitivement la Méditerranée. Irving estime même qu’au printemps 42, et grâce d’héroïques hommes-torpilles italiens, la flotte anglaise n’a plus la suprématie en Méditerranée. Mais en haut lieu on ne le sait pas. On n’en profite pas.
  • La France : il est clair que là le führer a fait l’inverse de ce qu’il fallait faire, et il le reconnaîtra comme tous les fascistes français : il fallait occuper différemment le pays, installer un gouvernement vraiment ami, prendre la flotte française, tirer parti de l’Empire ou même donner l’indépendance à l’Algérie pour motiver le monde arabe contre l’Angleterre. C’est lui qui le dit en 45… les trahisons de Vichy auront finalement fait perdre à l’Allemagne un temps et surtout un espace formidables : le germanophobe Maurras en saura gré à Vichy d’ailleurs, pas les alliés… Dans son testament, Hitler dit aussi qu’il aurait dû libérer la classe ouvrière française et en finir avec la bourgeoisie anglomane, celle des clubs, du tennis et des cocktails. C’est aussi ce que pense Rebatet dans ses décombres, où il ne cesse de prouver que Vichy trahit l’Allemagne.
Irving m’a permis de comprendre une chose : Hitler avait bien pensé la Méditerranée avec le grand amiral Raeder. Ce grand homme méconnu lui a d’ailleurs recommandé de s’emparer la flotte française dès le 20 juin 40. Je cite dans le texte le passage qui a trait à cette fondamentale question. Je dis fondamentale question, car la démocratie a gagné la guerre et avec elle l’islamisme qui emporte l’Egypte, le Libye, la Tunisie et qui va bientôt nous emporter ici. Nous sommes en septembre 40 :
The impulse toward a peripheral solution was provided by Admiral Raeder. Early in September Raeder had examined with Hitler the strategic options open to Germany; by the twenty-sixth, when he came for a long private talk on the subject, he was convinced there were ways of pacifying Russia more elegant than brute force. Germany should throw the British out of the Mediterranean; it should provide assistance to Italy for the capture of the Suez Canal, and then advance through Palestine to Syria. Turkey would then be at Germany’s mercy. ‘Then the Russian problem would assume a very different aspect. Russia is basically frightened of Germany’ – a point on which Hitler agreed. ‘It is unlikely that any attack on Russia in the north would then be necessary.’

Hitler appeared to like this plan: they could then invite Russia to turn toward Persia and India – again on the British periphery – which were far more important to her than the Baltic. After the admiral left, the Fuehrer mentioned to his naval adjutant, Puttkamer, that the interview had been enlightening, as it had checked with his own views.
Nous étions donc tout près de la bonne décision (chapitre Molotov de l’opus d’Irving). On évitait les trente millions de morts européens du front de l’est et surtout le désastre final. On récupérait Suez et Malte, et Gibraltar. Il est connu qu’après la prise de la Crète (en dépit de l’Oracle, qui ici encore montra sa réduite utilité) Churchill était (presque) prêt à jeter l’éponge. Quelques divisions de plus en Libye et l’affaire était close au Caire, sans que l’Amérique puisse bouger : comme l’a montré Philippe Masson, le soldat anglais ne faisait pas le poids (pour le troupier de Rommel, seules les rations alimentaires britanniques faisaient le poids !). Hitler aurait récupéré le pétrole au Moyen-Orient et laissé la Russie avaler la baleine british en Afghanistan ou en Inde. Franco même était près à entrer dans la danse. Mais les conditions allemandes (on réclamait les îles Canaries, pas l’amiral hélas –sic) lui déplurent. Il paraît incroyable alors que l’on sait que les anglo-saxons sont passés par l’Afrique du Nord et l’Italie, de penser que l’empire colonial français, l’Italie, l’Espagne, même l’équipée allemande aient été incapables d’emporter la décision en méditerranée.
Les dissensions entre puissances latines qu’Hitler estime dégénérées dans son testament suffisent très partiellement à expliquer ce colossal échec ; mais une belle conférence aurait pu les régler. L’échec de Montoire accéléra bien sûr la prise de la mauvaise décision : l’attaque de la Russie pour soi-disant installer des colons en Ukraine (on pensait même, dit Kozyk, aller rechercher des colons parmi les allemands d’Amérique du Sud !!!) ou lutter contre le bolchévisme, qui était pourtant maintenu par un solide cordon sanitaire anticommuniste en Europe centrale. Hitler reconnaît avec Raeder à cette époque qu’il fait peur à la Russie, ce qui infirme quelque peu le prétexte ultérieur de la guerre préventive des soviets, nombreux et très armés, mais tellement moins efficaces…
Allons à la cause psychologique : il y a le crépuscule des dieux bien sûr, mais Goebbels a parlé de l’hydrophobie d’Hitler. Je cite par Irving son journal en anglais : Invasion not planned for the time being. Air supremacy necessary first. Hydrophobia. And he is not one for taking risks if things are possible without them. Devant la mer le führer a toujours été paralysé, comme inhibé, préférant filer dans les steppes glacées de la Russie plutôt que de franchir la Manche, alors qu’il contrôle tous les pays côtiers et dispose d’une aviation encore performante, que ses U-boot sont au top. L’Allemagne a toujours eu son complexe d’infériorité par rapport à l’Angleterre jugée nordique et maritime, impériale une fois pour toutes : Rebatet remarque qu’à Berlin on embellit les prisonniers british pour en faire des surhommes, alors que l’on affame et couvre de guenilles les slaves pour démontrer leur infériorité. Je préfère citer notre fasciste français préféré : Toute corvée, tout maniement d’armes leur sont épargnés. On les conserve amoureusement sans qu’un pli de leurs beaux uniformes neufs, soit dérangé.

Merci au coco Houston Stewart Chamberlain dont le neveu ou cousin déclara la guerre au führer… sur ses théories catastrophiques, Lothrop Stoddard a tout dit en une phrase dans son meilleur opus, et ce en 1920. Thinking of Germany as the Nordic fatherland is both a danger and an absurdity.

L’anglophilie matinée d’hydrophobie a justifié toutes les mauvaises décisions à commencer par Dunkerque. Dans son testament Hitler s’en rend compte, voir en Churchill le fossoyeur de l’Empire et se découvre une vocation paradoxale de leader nationaliste tiers-mondiste, s’appuyant sur les Chinois, les japonais et les Arabes, les arabes dit-il, « qui eussent été pour nous de loyaux partenaires ». Les japonais lui auront d’ailleurs coûté aussi cher que l’Italie : c’est pour eux qu’il déclare la guerre à Roosevelt ; mais que n’ont-ils pris à revers la Russie pour s’emparer de la Sibérie et de ses richesses au lieu d’aller défier anglais et américains dans le Pacifique et l’océan indien, à six mille kilomètres de chez eux ? On croit encore rêver.


Pourquoi ces réflexions ?


Je ne comprendrai jamais cette défaite : c’est notre premier point.
Ensuite : trois quarts de siècle plus tard, alors que l’on voit que la Russie, que voulaient par atavisme envahir les junkers prussiens héritiers des teutoniques mais pas de Bismarck, qui furent d’ailleurs les hommes du 20 juillet, est le seul pays sain de l’Europe (ce qui explique que les russes se soient défendus comme cela – Masson, toujours), et avec la catastrophe qui s’annonce venant du sud méditerranéen, catastrophe certes créée par « nos » soins, nos agents, nos traîtres, notre ineptie totale, je ne peux m’empêcher de revenir sur ces épisodes qui sont encore plus bêtes que douloureux. Depuis Mahomet, la Méditerranée est notre enjeu fatal. Et depuis le dix-septième siècle, le deuxième enjeu est la défaite de l’Angleterre et de son empire méphitique, modèle de l’ordre mondial actuel, ploutocratique, destructif et tartuffe.