Matthias HELLNER:
L’occupation de la Ruhr en 1923
Lorsque
les Français sont entrés dans la Ruhr, les ouvriers ont déclenché la
résistance passive et l’inflation a pris des proportions calamiteuses
En
janvier 1923, les soldats français et belges occupent l’ensemble de la
région de la Ruhr. Une vague d’indignation secoue alors toutes les
couches de la population dans le Reich vaincu. Le Chancelier Cuno, en
poste depuis le 22 novembre 1922, déclare qu’il faut organiser la
résistance passive contre l’occupation. En France toutefois, les esprits
se divisent pour juger l’entrée des troupes en territoire allemand,
entrée justifiée par le retard d’une livraison de bois imposée par les
clauses de réparation. Les socialistes tentent de démontrer les dangers
d’une occupation. Clémenceau s’y opposait et le Maréchal Foch parlait
d’un “terrible nid de guêpes” où la France avait mis la main.
Par
l’appel à la résistance passive, toute la vie économique de la région
occupée fut paralysée. Les hauts fourneaux furent éteints et les mines
fermées. Les cheminots se mirent en grève et les fonctionnaires
allemands s’en tinrent à la convention prise, d’éviter tous contacts
avec les autorités occupantes. Pour transporter les minerais et le
charbon de la Ruhr vers la France, des milliers de techniciens et de
cheminots furent mobilisés pour travailler dans la région occupée. Mais
dès que les transports se remirent à rouler, des vétérans allemands,
dont d’anciens combattants des corps francs comme Heinz Oskar Hauenstein
et Albert Leo Schlageter, passèrent à la résistance active et
organisèrent des actions de sabotage. Ils firent sauter des ponts, des
lignes de chemin de fer et des canaux pour empêcher le transport vers
l’étranger des biens économiques allemands.
Les
autorités occupantes réagirent avec dureté. La région occupée fut
complètement verrouillée et la police allemande désarmée. Krupp et
d’autres industriels furent condamnés à quinze ans de prison. Partout
des confrontations sanglantes eurent lieu. En mars, quatorze ouvriers de
chez Krupp furent abattus; d’innombrables citoyens furent arrêtés ou
expulsés. Lorsque les Français arrêtèrent Schlageter suite à une
trahison, alors qu’il venait de faire sauter un pont près de Calkum,
tous les recours en grâce furent inutiles, les Français voulant faire un
exemple. L’officier de la Grande Guerre, âgé de 28 ans, fut fusillé le
26 mai. La résistance se poursuivit néanmoins sans discontinuer.
Fin
mai, le parti communiste tente un coup de force et les soulèvements
armés qu’il téléguidait furent anéantis par des volontaires armés. Au
même moment, les attentats contre les occupants se multipliaient. Ainsi,
le 10 juin à Dortmund, deux officiers français sont abattus en pleine
rue. La réaction des Français a coûté la vie à sept civils.
Les
tentatives françaises de détacher des régions rhénanes du Reich avec
l’aide de mouvements séparatistes ne connurent aucun succès. Des
attentats perpétrés contre des chefs séparatistes et la résistance de
toute la population ruinèrent ces tentatives. Le 26 septembre,
Stresemann, qui, le 13 août, avait remplacé Cuno au poste de Chancelier,
déclare que la résistance passive doit se terminer. A ce moment-là, 132
Allemands avaient été tués; onze d’entre eux avaient été condamnés à
mort mais un seul avait été exécuté. 150.000 personnes avaient été
expulsées de la région; d’innombrables autres avaient écopé d’amendes ou
avaient subi des peines de prison.
La
République de Weimar était dans un état de désolation épouvantable. Non
seulement elle avait dû renoncer au poids économique de la région de la
Ruhr mais elle avait dû aussi payer pour entretenir la population
paralysée par la résistance passive ordonnée par Cuno. L’inflation
galopante ne pouvait plus être arrêtée. Le 1 juillet un dollar américain
coûtait déjà 160.000 mark; le 1 août, le dollar valait 1.100.000 mark;
le 1 novembre 130.000.000.000 mark et le 30 novembre 4.200.000.000.000
mark!
Pour
stabiliser l’état de la République, il a fallu procéder à une réforme
monétaire et, simultanément, l’Allemagne accepte en août 1924 le Plan
Dawes lors de la Conférence de Londres, plan qui réglait le paiement des
réparations sur des bases nouvelles. En juillet et en août 1925, les
Français évacuent finalement une grande partie des régions occupées,
sous pression de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis. L’aventure de la
Ruhr était terminée.
Matthias HELLNER.
(article paru dans “zur Zeit”, Vienne, http://www.zurzeit.at , n°25/2013).