Arnaud Leclercq - Le Russie puissance d'Eurasie ; Histoire géopolitique des origines à Poutine - Chap. 4 L'Empire eurasiatique fait la synthèse et ouvre sur le monde - I. La construction d'un empire eurasiatique - pp. 135 à 137 - aux éditions ellipses
Rien ne permettrait d'imaginer ce qu'allaient être les destinées de la Moscovie, tard venue dans l'espace des principautés du nord-est, dont certaines auraient pu prétendre jouer le premier rôle dans le rassemblement des terres russes. Ville-État dotée d'institutions originales, "Novgorod la Grande" était beaucoup plus riche et le territoire qu'elle commandait s'étendait jusqu'à l'Oural à l'est et jusqu'aux rives du lac Ladoga au nord. Souzdal ou Vladimir pouvaient également apparaître comme des redoutables rivales, dont la puissance était plus anciennement établie, la première mention de Moscou n'apparaissant qu'en 1147. Le prince de Vladimir-Souzdal, Iouri Dolgorouki, y établit un premier Kremlin doté d'une enceinte de bois mais la ville est prise et entièrement détruite par les Mongols en 1237. Ces débuts difficiles sont cependant suivis d'une période correspondant à une lente montée en puissance, qui va faire de Moscou l'interlocutrice privilégiée des khans mongols et le siège métropolitain de l’Église orthodoxe russe. Moscou bénéficia d'abord d'une situation géographique favorable. Etablie sur les rives de la Moskova et non loin du cous supérieur du Don, une position favorable au commerce, notamment celui qu'entretenait Novgorod au nord et Riazan au sud. Cet atout ne pouvait cependant prendre toute sa dimension qu'à la condition d'être exploité par un pouvoir politique fort, en mesure d'agir dans la continuité.
C'est Daniel, le fils cadet d'Alexandre Nevski - prince de 1276 à 1303 - qui, alors que la principauté ne s'étend encore que sur 20 000 km², va être l'artisan d'une première extension territoriale. Prince de Moscou de 1325 à 1341, Ivan Ier Kalita - Jean l'Escarcelle - n'accroît pas son territoire mais s'impose, en lui manifestant une fidélité totale, comme l'interlocuteur du khan mongol, qui lui est reconnaissant de conduire contre Tver, réticente à payer le tribut, une expédition punitive. Un engagement qui vaut à Ivan de recevoir de son suzerain le titre de grand-prince et se voir confier la charge de collecter le tribut dans toutes les principautés russes. Le grand-prince de Moscou disposait ainsi désormais d'un droit de regard sur les autres principautés et devenait l'intermédiaire unique entre celles-ci et le pouvoir mongol, qui prit soin d'épargner à Moscou les pillages et les razzias qui s'abattaient régulièrement sur les autres régions russes. Le soutien apporté à Moscou par l’Église orthodoxe s'est avéré également décisif. Épargnée par les Mongols qui lui laissent une totale autonomie, l’Église orthodoxe va s'identifier progressivement avec la cause "nationale" russe. En 1328, le déplacement du métropolite Théognoste de Vladimir à Moscou fait de la ville la capitale religieuse de la Russie et lui donne une dimension qui va contribuer à l'affirmation de son autorité politique, renforcée également par le rayonnement du monastère de la Trinité, héritier de l'ermitage établi par Saint-Serge en 1336 au nord-est de la ville.
Devenu grand-prince en 1359, Dimitri Donskoï s'empare en 1364 de la principauté de Vladimir et celles d'Ouglitch, de Kostroma et de Galitch, avant d'annexer également, vers la fin de son règne, celle de Kalouga. La principauté de Tver fut également soumise. Dimitri va être le premier prince de Moscou à se dresser ouvertement contre la puissance mongole. Après une première victoire obtenue en 1378 contre l'ennemi tatar, il remporte deux ans plus tard, au confluent de la Népriadva et du Don, la victoire de Koulikovo - "le Champ des Bécasses" - qui lui vaut son surnom de Donskoï. Le long règne de Vassili Ier - 1389-1425 - vit l'acquisition de Nijni-Novgorod, au confluent de l'Oka et de la Volga, mais Moscou devait encore compter avec la menace que faisait peser la Horde d'or - les Tatars, furieux de se voir refuser le versement du tribut qu'ils estiment toujours leur être dû, ravagent le territoire moscovite en 1408. Après un début de règne marqué par les querelles de successions, Vassili II - 1425-1462 - peut s'emparer de nouveaux territoires. Il annexe ainsi la principauté de Souzdal, puis Toula et, devançant un projet d'alliance entre Novgorod et les Lituaniens, il impose à la ville du nord un droit de regard dans ses affaires. C'est durant son règne qu'intervient la dissolution de la Horde d'or. Moscou a dés lors acquis une indépendance de fait par rapport à la puissance tatare et de nombreux petits princes mongols prêtent même désormais allégeances au souverain moscovite. Le règne très long d'Ivan III - 1462-1505 -, fils aîné de Vassili II, revêt ensuite pour la Russie une importance capitale. Associé au pouvoir par son père, le nouveau prince impose son autorité à ses frères et à l'ensemble des princes russes. Il poursuit également les conquêtes en annexant en 1472 la région de Perm et en 1489 celle de Viatka, des territoires qui, occupés par des populations finno-ougriennes, n'avaient jamais fait partie de la première Russie kièvienne, pas plus que l'espace russe considéré dans son ensemble. (à suivre...)
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