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vendredi 9 mai 2014

La défense européenne, éloge d'une agonisante



La défense européenne, éloge d'une agonisante
 
 
 Jean Guisnel
 
 
L'Europe a mis des mois à envoyer quelques dizaines de soldats en RCA, et on voudrait qu'elle applique une politique de défense et de sécurité à la crise ukrainienne ? Soyons sérieux...



L'Europe de la défense est-elle autre chose qu'une incantation ? Pas sûr... Mise en avant depuis des décennies, l'idée ne peut fonctionner dans les faits que lorsqu'il s'agit de produire en commun des matériels qu'un État seul ne pourrait se payer. En réalité, les exemples sont légion de la fausseté de cet argument, dont les frégates Horizon, le chasseur Eurofighter Typhoon ou l'A400M Atlas sont des preuves vivantes.

On écarquille les yeux quand on lit les satisfecit des eurocrates constatant qu'après plusieurs mois de négociations tendues, l'Union européenne a réussi tant bien que mal à envoyer une force européenne en RCA, dont l'ossature est fournie par des Français s'y trouvant déjà et des Géorgiens n'appartenant pas à l'Union européenne. C'est pourquoi on se dit qu'on serait bien inspiré de répondre franchement "oui" quand Nicole Gnesotto, présidente de Notre Europe-Institut Jacques Delors, pose crûment la question "Faut-il enterrer la défense européenne ?".

Tant d'années de déception

Dans un petit ouvrage ainsi titré, l'auteur dresse un bilan de tant d'années de déception et ne manque pas de souligner les atouts que notre Vieux Continent pourrait mettre en avant, si seulement il le souhaitait. Et notamment sa "légitimité collective" plus forte que celle de toute nation isolée ou ses capacités militaires bien réelles. Par exemple, ses armées comptaient en 2011 près de deux millions d'hommes. Mais ces effectifs ne sont d'aucune utilité quand il faut des mois pour en envoyer quelques dizaines en RCA ou au Mali !

De plus, les effectifs ne sont rien sans les moyens d'équiper et de faire fonctionner ces armées. En 2011, chaque Européen a dépensé 387 euros pour sa défense. Contre 1 610 euros pour chaque Américain. La même année, chaque soldat européen a coûté 23 829 euros. Contre 102 264 pour un soldat américain... En fait, l'Europe a depuis longtemps baissé les bras et nul ne cherche réellement, ni en France ni ailleurs, à faire émerger une véritable défense européenne. Une année ou presque a été nécessaire pour que les Français montent l'opération Sangaris en Centrafrique. Ont-ils associé les Européens à sa préparation ? Non.

Constat d'échec

Même les symboles voulus dès leur conception pour être des emblèmes d'une volonté de défense et de sécurité communes, comme l'Eurocorps ou la brigade franco-allemande, ne sont que des objets de vitrine. Il existe bien sûr quelques initiatives réussies, comme celle de la mise en commun de moyens de transport aérien tactique et stratégique. Certes. Mais nous n'aurons pas la cruauté de rappeler combien de temps a été nécessaire pour obtenir des avions pour la seule mission européenne en RCA... Nicole Gnesotto est cruellement lucide quand elle écrit, à propos de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), qu'elle "n'est pas faite pour l'entrée en premier sur un théâtre de crise, mais plutôt pour le soutien en second". Il n'est nul besoin d'ajouter quoi que ce soit à ce constat d'échec.

Après avoir lu ce livre, on attendait une conclusion d'ouverture, mais en vain... La dernière phrase du livre est un constat d'échec : "Face à la crise économique mondiale, face à la révolution stratégique américaine, les Européens n'ont en effet pas d'autre choix que de reprendre en main leur destin." Dit comme ça... Le seul problème, c'est que la crise ukrainienne leur en donne une occasion parfaitement adaptée. À nos frontières, amputé par un voisin puissant, tout prêt à basculer dans la guerre civile, un État chancelle et l'Europe assiste impuissante à son naufrage. On sait que ce qui se passe en Centrafrique, au Mali ou en Afghanistan est lié à notre sécurité collective. C'est pour cela que nous y sommes intervenus. L'Ukraine, qui a sombré dans le chaos après avoir voulu se rapprocher de l'Europe, serait-elle plus loin encore ?

Nicole Gnesotto, Faut-il enterrer la défense européenne ? La Documentation française, 150 pages, 9 euros
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Le Point :: lien