« Si Obama avait pu espérer un moment que l’élimination du terroriste le plus recherché de la planète serait le fait saillant que l’on retiendrait de sa présidence, il se serait trompé », écrit Gideon Rachman, le chef de la rubrique Affaires étrangères du Financial Times, dans son nouveau livre Easternisation – War and Peace in the Asian Century. Quoi que le Président des États-Unis en ait dit dans son discours sur l’état de l’Union en 2012 (« anyone who tells you that America is in decline, doesn’t know what they are talking about »), il faut bien admettre que ses huit années de présidence constitueront, aux yeux de beaucoup, aux États-Unis et en dehors, une période pendant laquelle la puissance américaine fut contestée partout dans le monde et, particulièrement, en Asie de l’Est, en Russie et au Moyen-Orient.
Les siècles d’hégémonie occidentale s’appuyaient sur la puissance économique de l’Europe, puis des États-Unis, explique Rachman. Ce fut la conduite de la révolution industrielle qui valut à la Grande-Bretagne de se bâtir un empire, l’ascension industrielle de l’Allemagne qui lui permit de contester la prédominance de la première, la taille de son économie qui assura à l’Amérique son rôle de socle de l’alliance atlantique et la fit émerger comme l’unique super-puissance après la chute du Mur de Berlin.
La Chine, première économie mondiale
L’annonce par le FMI (Fonds monétaire international) en 2014 de ce que la Chine était devenue la première économie mondiale en termes de parité de pouvoir d’achat fut largement accueillie avec dédain aux États-Unis pour la raison que cette approche ne refléterait pas la réalité. Pourtant, sans se référer à une quelconque mise en équivalence, la montée en puissance économique de la Chine et le poids de l’Asie dans l’économie mondiale ne faisaient aucun doute. D’ailleurs, aujourd’hui, même le National Intelligence Council (le conseil regroupant toutes les agences du renseignement, y compris la CIA, aux Etats-Unis) en convient : « Dès 2030, l’Asie aura surpassé l’Amérique du Nord et l’Europe combinées en terme de puissance globale, sur base du PIB (produit intérieur brut), de la taille de la population, des dépenses militaires et de l’investissement technologique. »
Jack Ma, le fondateur d’Alibaba, l’entreprise de commerce en ligne qui le rendit plusieurs fois milliardaire, apprit l’anglais en jouant dans sa jeunesse le rôle de guide dans sa ville natale de Hangzhou. Son cri de ralliement à l’égard de ses investisseurs et de ses collaborateurs avait une portée qui dépassait le cercle des affaires : « Nos cerveaux chinois sont aussi bons que ceux des Américains et, pour cette raison, nous osons les concurrencer. » Non seulement Ma a fait jeu égal avec eux, mais il les a battus. L’introduction en bourse d’Alibaba, juste au moment où Xi Jinping accédait à la présidence de la Chine, a récolté 100 milliards de dollars.
L’antagonisme entre les États-Unis et la Chine
C’est ici qu’intervient la notion de « piège de Thucydide » et que le sous-titre du livre de Rachman, Easternisation – War and Peace in the Asian Century prend tout son sens. Dans son Histoire de la guerre du Péloponnèse, Thucydide écrivit que la cause véritable, mais non avouée, en fut la montée en puissance des Athéniens et la crainte qu’ils inspirèrent aux Lacédémoniens, contraignant ceux-ci à la guerre. C’est l’idée dont s’inspira l’historien américain Graham Allison pour qualifier de « piège de Thucydide » l’antagonisme qui oppose la puissance établie et la puissance ascendante et le risque de guerre qui en résulte.
La décision des États-Unis de redéfinir leurs priorités à l’étranger afin de se concentrer sur le Chine – la politique dite du « pivot asiatique » – ne répondait toutefois pas à la question de savoir ce en quoi cette politique consisterait. Le gouvernement américain devait se rendre à l’évidence que toute relation entre les États-Unis et la Chine comprendrait nécessairement des éléments de coopération et de compétition. La question pour les dirigeants américains était de situer un point d’équilibre. Or, s’inquiète Rachman, sous Obama, l’Amérique en est arrivée à progressivement considérer la Chine plus comme une rivale que comme un partenaire.
« Ce parti pris m’est devenu tout à fait clair, raconte l’auteur d’Easternisation, lorsqu’un membre de l’administration Obama me confia qu’il concevait la relation entre les Etats-Unis et la Chine comme 80% de compétition et 20% de coopération. J’en fus tellement surpris que je lui demandai de me répéter les chiffres… » Easternisation, remarquable ouvrage de politique étrangère au niveau planétaire, s’adresse à tout décideur, investisseur et citoyen du monde.
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