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mardi 8 novembre 2016

Le solipsisme hédoniste



La conception du monde que chaque individu se fait ou se laisse imposer n’est jamais qu’un rêve, une illusion à usage personnel, même si, parfois, elle correspond à un schéma accepté collectivement, de gré ou de force, par des millions d’êtres réputés pensants, plus proches de ce troupeau humain dont parlait Nietzsche, que de l’individualisme.

Pourtant, créée par soi-même ou acceptée d’autrui, la conception de l’essence de l’humanité et du but de l’existence reste toujours une affaire individuelle, d’où le mot pompeux de solipsisme, où rêve et individualité sont indissolublement liés.

Chaque religion, la plupart des systèmes politiques modernes (en se souvenant que les institutions antiques et médiévales s’appuyaient sur le phénomène religieux) reposent sur un rêve de bonheur personnel, à la condition de s’intégrer à une collectivité. Tout le monde – ou presque – peut s’accrocher à cette formulation ultra-classique, qui nous a été léguée par l’Antiquité gréco-romaine, proche-orientale, chinoise ou amérindienne… en résumé : une conception ubiquitaire et diachronique.

Que le rêve devienne cauchemar à chaque fois qu’il se réalise pleinement, ce n’est devenu une évidence que par la contemplation des expériences politico-religieuses modernes. Les révolutions française de 1789, bolchevique ou maoïste, le nazisme, l’instauration des régimes islamiques eurent en commun d’être proposés comme des solutions génératrices d’un bonheur sur Terre et qui se sont constamment muées en cataclysmes à l’échelle continentale, voire mondiale.

La société globalo-mondialiste – soit l’économie globale qui fournit à bas coût une énorme quantité de produits d’usage courant, dont la commercialisation mondiale, à l’échelle de quatre ou cinq milliards de consommateurs assez solvables et formatés par une propagande planétaire unique, génère d’énormes profits – offre l’hédonisme pour toutes les bourses et pour la plus grande partie de la population mondiale… un hédonisme à géométrie variable, ayant vocation pour devenir universel, ce qui est une innovation dans l’histoire de l’humanité.

Ne sont exclus (pour l’instant) que ceux qui, par amour de la tradition ou par défaut d’imagination, en sont restés à l’ère du travail néolithique : petit élevage et petite culture tout juste vivrière. D’autres se laissent véhiculer d’un continent à l’autre, étant de simples pions d’une géopolitique visant à noyer l’ennemi par un afflux d’indésirables, en majorité inassimilables, destinés à pourrir une société sottement accueillante.

Ces pions ne jouiront que des miettes de la richesse planétaire, comme les retardataires des économies rurales primitives du Tiers-Monde. Pour eux, la charité publique et privée sera l’unique manifestation de la société libérale, jusqu’à ce que soit constituée une petite minorité active qui s’avèrera peut-être capable de pousser les masses ignares à la révolte… c’est l’un des scénarios possibles, mais assez improbable, de fin de notre monde globalo-mondialiste.

L’éventualité la plus probable est celle de l’extinction de ces minorités, par l’instruction technique permettant leur introduction dans le système globalo-mondialiste, qui – s’il est totalement dépourvu de grandeur spirituelle – n’est pas dépourvu de dynamisme éducatif.

Pour l’heure, en dépit des craquements de façade et des vaticinations des Cassandre de la géopolitique, le système globalo-mondialiste tient bon, d’autant mieux qu’il crée artificiellement ses moyens de paiement, les diversifiant même par l’outil informatique. Et ce monde vend de l’hédonisme.

Au plan métaphysique, cette conception de l’existence revient à faire croire que la valeur de l’individu est indiquée par le niveau de confort et de jouissances matérielles qu’il est capable de se procurer. C’est un système habile, puisqu’il est à la portée de tous les sujets entreprenants, travailleurs ou exploitants le travail d’autrui : en certaines zones de la planète, une banale mobylette joue le rôle de la Porsche ou de la Ferrari des pays riches.
En contrées hautement civilisées à l’américaine, la qualité de l’individu se repère – pour au moins 90% des observateurs – par ses avoirs en argent ou par son pouvoir (qu’ils soient gagnés honnêtement ou non n’est d’aucune importance) qui lui permettent d’obtenir les biens et les services réputés haut-de-gamme.
Les prêtres ont toujours contrôlé et maîtrisé leurs ouailles par des promesses eschatologiques : survie paradisiaque après la mort, existences successives ou simple bénédiction divine pour la postérité. Beaucoup de régimes politiques ont assuré leur pouvoir et leur pérennité par la terreur, soit la certitude de douleurs physiques et morales pour le déviant ou le contestataire.

Très subtilement, le système hédoniste actuel maîtrise la masse solvable des humains – et, à terme, la totalité de l’espèce humaine doit devenir solvable – par la jouissance. Système exaltant, comme chacun peut s’en rendre compte !