« Quand on voit ce qu’on voit, que l’on entend ce qu’on entend et que l’on sait ce que qu’on sait, on a raison de penser ce qu’on pense ».
Pierre Dac.
| Q. Présidente ou pas, nous verrons. Mais en quoi cette affaire de don du Qatar pose-t-elle tant problèmes à Hillary Clinton ?
Jacques Borde. Oh, pour plusieurs qui s’imbriquent les unes dans les autres comme des matriochka1. Essayons de les prendre dans l’ordre :
1- nommée US Secretary of State, Hillary R. Clinton, s’était engagée, par écrit qui plus est, à informer le Comité d’éthique du Département d’État afin qu’il puisse, le cas échéant, exprimer ses préoccupations en pareil cas ;
2- la Fondation Clinton a bel et bien reçu du Qatar un don d’un million de dollars (900.000 €) ;
3- contactée, la Fondation Clinton a d’abord refusé de confirmer l’existence de ce don. Les faits, par elle, ont ad minimo été occultés ;
4- idem pour l’ambassade qatarie aux États-Unis et le Conseil des ministres de l’émirat qui ont refusé d’en reconnaître la teneur ;
5- cette affaire n’est apparue au grand jour que parce que les 33.000 courriels, soustraits jusqu’alors à la connaissance de tous par Hillary R. Clinton elle-même, y faisaient allusion.
La barque commence a être un peu chargée tout de même.
| Q. Et que peut faire Hillary Clinton pour se sortir de ce guêpier ?
Jacques Borde. Elle va essayer de botter en touche, de noyer le poisson. Très certainement, comme le pronostique Eber Addad, « On va bientôt voir Hillary Clinton utiliser son état de santé comme excuse pour se soustraire à l’enquête du FBI et aux interrogatoires qui s’en suivront. Elle sera déclarée en conséquences non responsable et pourra ainsi ne pas répondre devant la justice pour les affaires de corruption, de manquement à ses obligations sécuritaires les plus élémentaires, de la disparition de 33.000 e-mails, de l’apparition de dizaines de milliers d’autres ultra-secrets sur les ordinateurs de Huma Abedin et d’Anthony Wiener, de l’oubli de divulguer les cadeaux royaux du Qatar et de l’Arabie Séoudite du temps où elle était Secrétaire d’état, de Benghazi, etc, etc… ».
Le grand guignol habituel.
| Q. Et cela suffira-t-il, selon vous ?
Jacques Borde. Probablement, non. Y compris la décision du FBI de ne pas poursuivre dans l’immédiat. Même si, nous dit dans sa la lettre du directeur du FBI, James Comey que l’équipe du FBI a « passé en revue toutes les communications de ou à destination de Hillary Clinton pendant qu’elle était secrétaire d’État. Sur la base de cette enquête, nous n’avons pas changé les conclusions que nous avions exprimées en juillet en ce qui concerne Mme Clinton ».
| Q. Pourquoi ?
Jacques Borde. Parce qu’il y fort à parier que :
1- les leaks (les fuites en français) se poursuivent, pardi. À commencer par celles à connotation sexuelles, et nul ne sait, à ce stade, ce que ce déballage incessant va donner ;
2- la décision du FBI ne concerne pas ce que dévoileront ces leaks ;
3- Comme l’a souligné le président du Republican National Committee (RNC), Reince Priebus, le FBI « continue d’enquêter sur la Fondation Clinton pour des faits de corruption » liés au passage d’Hillary R. Clinton à la tête du US Department of State ;
4- James Comey le dit lui- même : « Sur la base de cette enquête ». Quid des autres, en cours ou à venir ?
5- le camp républicain n’enterrera pas aussi vite que le rêvent les Démocrates la hache de guerre.
Ainsi, en amont, le très républicain Speaker of the US House of Representatives, Paul D. Ryan2, a rappelé qu’« aucun fonctionnaire public n'[était] au-dessus de la loi ». Et qu’à son humble avis, « Les actions de l’ex-secrétaire d’État Hillary Clinton étaient plus qu’une simple négligence, elles nuisent gravement à notre sécurité nationale. Le Département d’État doit veiller à ce que tous les employés se conforment strictement à la loi ».
Par ailleurs, à ce jour, mais le temps judiciaire est toujours plus long que le temps médiatique, on attend toujours les retombées définitives de la demande écrite adressée directement au Director of National Intelligence (DNI)3, le lieutenant-général James R. Clapper Jr., par Paul D. Ryan, sur les manquements qu’il reproche à Hillary R. Clinton.
À ce tir groupé est venu s’ajouter cette autre salve tirée en pleine House of Representatives par le Texan Michael Thomas McCaul Sr., qui y préside le House Committee on Homeland Security.
Or que soutient McCaul ?
Qu’« Auparavant, James Comey (directeur du FBI) m’a dit qu’il était très probable que les pays ennemis des États-Unis ont obtenu l’accès à son serveur personnel. C’est pour cela que les protocoles de sécurité existent, afin de protéger l’information secrète. Elle a livré à nos ennemis cette information très sensible et ils en disposent actuellement, ce qui constitue une menace non seulement pour elle (Clinton) et la sécurité nationale (des États-unienne), mais aussi pour les hommes et les femmes (citoyens américains) qui travaillent à l’étranger. Honnêtement parlant, cela relève à mon avis de la haute trahison ».
Le mandat d’Hillary R. Clinton ne s’annonce assurément pas comme un long fleuve tranquille…
| Q. D’autres pièges en perspective ?
Jacques Borde. Oui, l’affaire du Qatar et de son encombrant don (sic) d’un million de dollars étant, à l’origine une question d’éthique, cela pourrait en motiver quelques-uns au sein du US House Committee on Standards of Official Conduct et du US Senate Select Committee on Ethics, chargés de ces questions.
| Q. Vous me disiez avoir été impressionné par Trump, vous l’avez rencontré ?
Jacques Borde. Non pas du tout. Même si l’opportunité d’une telle rencontre m’intéresserait, vous vous en doutez bien…
| Q. À quoi faisiez-vous allusion ?
Jacques Borde. J’ai été impressionné par cette photo, que j’ai aussitôt partagée sur Facebook, de Donald J. Trump évacué par les lourds du Secret Service, dans ce qui apparaissait comme une tentative d’assassinat. Regardez-là et regardez le visage de cet homme. Seul un petit sourire en coin montre la sérénité qu’il garde face à ce qui n’a rien d’anodin : une menace (probable) d’attenter à sa vie.
Intéressant quant au caractère de celui qui pourrait être le commander in chief4 de la nation la plus puissante du monde.
Rappelons, à tous ceux que mon analyse perturberait que les États-Unis sont un des pays au monde où il existe une vraie histoire de retrait (ou de tentatives) de ses hommes politiques par la violence et le meurtre.
| Q. Mais l’attitude des SR, et du FBI, est-elle si innocente que ça ?
Jacques Borde. Non, bien sûr. Quelque-part au Bureau, on ouvre le parapluie. Si le FBI se manifeste autant sur ce(s) dossier(s) c’est aussi pour anticiper et se protéger. À ce stade, le FBI préfère sauver la face en adoptant ce qu’il pense être une posture médiane et éviter, ainsi, une fragilisation plus importante de l’institution qu’il représente pour les Américains après le scrutin.
Or, on ne sait jamais de quoi demain sera fait. Alors : un coup à droite, un coup à gauche et balle au centre ! Ce d’autant « qu’une bonne partie de la population américaine est désormais convaincue » qu’Hillary R. Clinton « est une menteuse pathologique, une politicienne cynique à qui on ne peut faire confiance », comme le dit Maya Kandel sur son blog5.
| Q. Et pas de changement à attendre au sein des chambres ?
Jacques Borde. Normalement, non. Comme le souligne Maya Kandel, « Il sera bien difficile pour les Démocrates de reconquérir la Chambre des représentants, l’équivalent de notre Assemblée nationale. La Constitution prévoit de redécouper tous les dix ans ses circonscriptions, en fonction du dernier recensement. Ce découpage est effectué au niveau de chaque État fédéré, en vertu d’un accord entre le gouverneur et le parlement local. Or, la majorité des gouverneurs sont républicains, tout comme la majorité des parlements locaux. Le redécoupage des circonscriptions électorales, de ce fait, leur est favorable, et taillé de sorte à désavantager les Démocrates »6.
Pour le Sénat, « qui est renouvelé par tiers tous les six ans », nous dit Maya Kandel, « Cette année, on compte plus de sénateurs sortants républicains que démocrates. Ces derniers ont donc tout à gagner. L’enjeu est fondamental, car ce sont les sénateurs qui confirment les nominations présidentielles, que ce soit à la Cour suprême ou dans les administrations. Si le Sénat reste aux mains des républicains, ceux-ci pourront poursuivre leur politique d’obstruction systématique qu’ils mènent depuis 2009 face à Barack Obama »7.
Quant au fond, pour reprendre Eber Addad, « La Fondation Clinton a reçu 56 millions de dons des pays les plus liberticides, misogynes, homophobes, racistes, antisémites mais surtout théocratiques et totalitaires pour la plupart. Ils ne l’ont certainement pas fait pour ses beaux yeux ! Qu’auront-ils en échange au cas où elle était élue ? Entre corrupteurs et corrompus on trouve toujours un terrain d’entente ».
C’est sans doute,là, le point le plus embarrassant pour l’avenir.
Notes
1 Poupées russes. 2 En français président de la Chambre des Représentants. 3 Nommé le 5 juin 2010 pour remplacer Dennis C. Blair, décision confirmée par le Sénat le 5 août 2010. 4 Chef suprême des armées. 5 Maya Kandel, 6 Louis Fraysse, 7 Louis Fraysse,