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samedi 8 février 2014

Privatisation des semences : une guerre de l’ombre se livre depuis un siècle

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L’Assemblée nationale examine aujourd’hui [NDLR : 4 février] un projet de loi qui élargit aux plantes le délit de contrefaçon. Ce projet, qui suscite une forte indignation, renforce un vaste arsenal réglementaire limitant le droit à échanger et reproduire les semences de ferme.

Depuis un siècle, « les semenciers n’ont eu de cesse de chercher des moyens techniques pour assurer leur monopole sur la semence », rappelle Yves Manguy, co-fondateur de la Confédération paysanne. Tout commence aux États-Unis dans les années 20. Paysans et consommateurs sont progressivement devenus otages des grands semenciers. Sans jamais cesser de résister à la privatisation du premier maillon de la chaîne alimentaire.
La « guerre des semences » [1] s’intensifie. Un récent projet de loi considère la reproduction de semences à la ferme, ces graines issues de variétés sélectionnées par l’industrie semencière, comme une « contrefaçon ».
Cette tentative d’appropriation de la semence n’est pas nouvelle. Elle remonte au début du 20e siècle et commence plus précisément aux États-Unis. En 1923, le ministre de l’Agriculture décide d’arrêter la sélection quasi naturelle du maïs [2] au profit d’hybrides non reproductibles qui assurent un retour sur investissement. Et pour cause : les paysans sont obligés de racheter chaque année leur semence ! Le fils du ministre de l’Agriculture, Henry Wallace, lancera d’ailleurs Pioneer Hi-Bred, l’un des principaux semenciers mondial, avant d’être lui-même nommé vice-président des États-Unis. Depuis ce moment-là, les semenciers n’ont eu de cesse de chercher des moyens techniques – hybrides ou OGM – pour assurer leur monopole sur la semence.

Semences certifiées
En France, la première étape de cette guerre des semences date de 1961. Les semenciers créent, avec la caution des États, l’Union pour la protection des obtentions végétales (UPOV). Celle-ci va servir de bras armé aux semenciers pour instaurer leur monopole.
A l’époque, les agriculteurs se contentent d’acheter quelques quintaux de semences certifiées : ils les essaient et les reproduisent sur leur ferme plusieurs années consécutives. Rapidement, alors que les surfaces augmentent, le triage de la récolte à la ferme combiné à de faibles moyens matériels posent problème.
Les coopératives lancent alors une campagne en faveur des semences certifiées. Elles sont dans un premier temps échangées, avant d’être uniquement vendues. Au regard du prix garanti du blé, l’impact sur le coût de production est faible. Mais la tendance s’inverse à partir de 1983 avec des prix garantis à la baisse, et un prix de la semence à la hausse. Les agriculteurs se souviennent qu’ils peuvent faire eux-mêmes leurs semences pour diminuer leurs frais. Des entreprises en profitent pour proposer un nouveau service, le « triage à façon à la ferme ».

Contre-offensive des firmes semencières

La chute de l’utilisation des semences certifiées, qui représentent 60 % des surfaces, inquiète les semenciers et les amène à réagir. La première attaque a lieu en 1988. La SICASOV [3] – le percepteur des semenciers – intente un procès pour « contrefaçons » à la coopérative de Dijon qui fait du triage à façon pour ses adhérents. Elle s’appuie sur la loi de 1970 sur la propriété intellectuelle dans laquelle un amendement sur les semences a été tardivement introduit lors des débats à l’Assemblée nationale… La coopérative de Dijon est finalement condamnée par la Cour d’appel de Nancy. Une décision qui va pousser la SICASOV à multiplier les procès.
Juillet 1989, les moissons viennent de commencer. Les agriculteurs mettent de côté le grain pour les semis d’automne. « L’accord du 4 juillet » signé entre la FNSEA, le GNIS (Groupement national interprofessionnel des semences) et le ministère de l’Agriculture, tombe comme un coup de tonnerre.
Il interdit aux paysans d’avoir recours à un prestataire de service – le trieur à façon – pour préparer sa semence. Or, il n’est pas question de ressemer ce qui sort de la moissonneuse batteuse sans le trier, du fait des impuretés et des mauvaises gaines. En clair, il faut acheter la semence du commerce.

Mobilisations pour le droit à multiplier ses semences

Le 8 août 1989, un milliers de paysans et d’entrepreneurs de triage à la ferme se mobilisent à Poitiers. Ils décident publiquement devant la Préfecture de passer outre l’interdiction, et déclarent que les trieurs seront dans les fermes dès le lendemain. Malgré les amendes du GNIS et un procès à Poitiers qui aboutit à un non-lieu, l’accord du 4 juillet n’est pas appliqué. Cette action commune donne naissance à la Coordination nationale pour la défense des semences fermières (CNDSF). Elle compte parmi ses membres la Confédération paysanne, la Coordination rurale, le Modef, le Syndicat des trieurs à façon et la Fédération nationale de l’agriculture biologique.

Deux ans plus tard, les délégations de 21 pays se réunissent à Genève pour la 4e Conférence diplomatique de l’UPOV. La France tente de faire adopter l’interdiction totale de la semence de ferme. Sans succès. Le règlement reconnait une dérogation au droit des obtenteurs « dans la mesure où cela ne nuit pas à leurs justes intérêts ». C’est sur cette base que sera instituée en 2001 la « cotisation volontaire obligatoire ». Une véritable dîme sur les semences !

Les semences, un sujet de société

Pour être appliquées, les décisions de l’UPOV doivent être ratifiées par les Etats. C’est ainsi qu’un projet de loi visant à instaurer la « cotisation volontaire obligatoire » sera soumis quatre fois au Sénat ou à l’Assemblée. Après avoir été rejeté en 1995, en 1997 et en 2006, le projet de loi est finalement adopté en 2011, malgré l’opposition de la gauche qui s’engage à le remettre en cause lorsqu’ils seront au pouvoir (lire à ce sujet : Le droit de planter et cultiver librement bientôt interdit ?). Les actions de la CNDSF puis du Réseau semences paysannes créé en 2003, auront été déterminantes dans ces rejets. Reste qu’à ce jour, la promesse de la majorité actuelle n’est pas tenue. Pire, l’introduction des semences dans la loi sur les contrefaçons votée par le Sénat le 20 novembre 2013 a comme un goût de provocation.

La récente occupation du GNIS par la Confédération paysanne a permis une ouverture qui, nous l’espérons, sera confirmée lors du vote au Parlement le 4 février prochain. Le ministère de l’Agriculture s’est en effet engagé à exclure les semences de ferme du champ de la contrefaçon. Quant à la loi de 2011, elle doit tout simplement être abrogée. Les semences jusqu’au siècle dernier étaient un bien public à disposition de tous. La confiscation de ce bien commun, sous couvert de la science, ne porte pas seulement atteinte aux paysans mais à l’ensemble des consommateurs qui deviennent des otages. La lutte contre cette mainmise sur le premier maillon de la chaine alimentaire n’est plus une question agricole. C’est un sujet de société.

Yves Manguy, agriculteur retraité, premier porte-parole de la Confédération paysanne, co-fondateur de la Coordination nationale pour la défense des semences fermières

[1] Cette notion est tirée de l’ouvrage La guerre des semences, de Jacques Grall et Bertrand Roger Levy, publié en janvier 1986.

[2] Appelée « sélection massale », la technique la plus proche de la sélection naturelle et la plus utilisée dans les sélections paysannes : les plantes qui semblent être les meilleures sont maintenues ensemble et celles indésirables sont éliminées.

[3] SICASOV est l’acronyme de Société coopérative d’intérêt collectif agricole anonyme des sélectionneurs obtenteurs