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L’Assemblée
nationale examine aujourd’hui [NDLR : 4 février] un projet de loi qui
élargit aux plantes le délit de contrefaçon. Ce projet, qui suscite une
forte indignation, renforce un vaste arsenal réglementaire limitant le
droit à échanger et reproduire les semences de ferme.
Depuis
un siècle, « les semenciers n’ont eu de cesse de chercher des moyens
techniques pour assurer leur monopole sur la semence », rappelle Yves
Manguy, co-fondateur de la Confédération paysanne. Tout commence aux
États-Unis dans les années 20. Paysans et consommateurs sont
progressivement devenus otages des grands semenciers. Sans jamais cesser
de résister à la privatisation du premier maillon de la chaîne
alimentaire.
La « guerre des semences » [1] s’intensifie. Un récent projet de loi considère la reproduction de semences à la ferme, ces graines issues de variétés sélectionnées par l’industrie semencière, comme une « contrefaçon ».
Cette
tentative d’appropriation de la semence n’est pas nouvelle. Elle
remonte au début du 20e siècle et commence plus précisément aux
États-Unis. En 1923, le ministre de l’Agriculture décide d’arrêter la
sélection quasi naturelle du maïs [2] au profit d’hybrides non
reproductibles qui assurent un retour sur investissement. Et pour cause :
les paysans sont obligés de racheter chaque année leur semence ! Le
fils du ministre de l’Agriculture, Henry Wallace, lancera d’ailleurs
Pioneer Hi-Bred, l’un des principaux semenciers mondial, avant d’être
lui-même nommé vice-président des États-Unis. Depuis ce moment-là, les
semenciers n’ont eu de cesse de chercher des moyens techniques –
hybrides ou OGM – pour assurer leur monopole sur la semence.
Semences certifiées
En France, la première étape de cette guerre des semences date de 1961. Les semenciers créent, avec la caution des États, l’Union pour la protection des obtentions végétales (UPOV). Celle-ci va servir de bras armé aux semenciers pour instaurer leur monopole.
A
l’époque, les agriculteurs se contentent d’acheter quelques quintaux de
semences certifiées : ils les essaient et les reproduisent sur leur
ferme plusieurs années consécutives. Rapidement, alors que les surfaces
augmentent, le triage de la récolte à la ferme combiné à de faibles
moyens matériels posent problème.
Les
coopératives lancent alors une campagne en faveur des semences
certifiées. Elles sont dans un premier temps échangées, avant d’être
uniquement vendues. Au regard du prix garanti du blé, l’impact sur le
coût de production est faible. Mais la tendance s’inverse à partir de
1983 avec des prix garantis à la baisse, et un prix de la semence à la
hausse. Les agriculteurs se souviennent qu’ils peuvent faire eux-mêmes
leurs semences pour diminuer leurs frais. Des entreprises en profitent
pour proposer un nouveau service, le « triage à façon à la ferme ».
Contre-offensive des firmes semencières
La
chute de l’utilisation des semences certifiées, qui représentent 60 %
des surfaces, inquiète les semenciers et les amène à réagir. La première
attaque a lieu en 1988. La SICASOV [3] – le percepteur des semenciers –
intente un procès pour « contrefaçons » à la coopérative de Dijon qui
fait du triage à façon pour ses adhérents. Elle s’appuie sur la loi de
1970 sur la propriété intellectuelle dans laquelle un amendement sur les
semences a été tardivement introduit lors des débats à l’Assemblée
nationale… La coopérative de Dijon est finalement condamnée par la Cour
d’appel de Nancy. Une décision qui va pousser la SICASOV à multiplier
les procès.
Juillet 1989, les moissons viennent de commencer. Les agriculteurs mettent de côté le grain pour les semis d’automne. « L’accord du 4 juillet » signé entre la FNSEA, le GNIS (Groupement national interprofessionnel des semences) et le ministère de l’Agriculture, tombe comme un coup de tonnerre.
Il
interdit aux paysans d’avoir recours à un prestataire de service – le
trieur à façon – pour préparer sa semence. Or, il n’est pas question de
ressemer ce qui sort de la moissonneuse batteuse sans le trier, du fait
des impuretés et des mauvaises gaines. En clair, il faut acheter la
semence du commerce.
Mobilisations pour le droit à multiplier ses semences
Le
8 août 1989, un milliers de paysans et d’entrepreneurs de triage à la
ferme se mobilisent à Poitiers. Ils décident publiquement devant la
Préfecture de passer outre l’interdiction, et déclarent que les trieurs
seront dans les fermes dès le lendemain. Malgré les amendes du GNIS et
un procès à Poitiers qui aboutit à un non-lieu, l’accord du 4 juillet
n’est pas appliqué. Cette action commune donne naissance à la
Coordination nationale pour la défense des semences fermières (CNDSF).
Elle compte parmi ses membres la Confédération paysanne, la Coordination
rurale, le Modef, le Syndicat des trieurs à façon et la Fédération
nationale de l’agriculture biologique.
Deux
ans plus tard, les délégations de 21 pays se réunissent à Genève pour
la 4e Conférence diplomatique de l’UPOV. La France tente de faire
adopter l’interdiction totale de la semence de ferme. Sans succès. Le
règlement reconnait une dérogation au droit des obtenteurs « dans la
mesure où cela ne nuit pas à leurs justes intérêts ». C’est sur cette
base que sera instituée en 2001 la « cotisation volontaire obligatoire
». Une véritable dîme sur les semences !
Les semences, un sujet de société
Pour
être appliquées, les décisions de l’UPOV doivent être ratifiées par les
Etats. C’est ainsi qu’un projet de loi visant à instaurer la «
cotisation volontaire obligatoire » sera soumis quatre fois au Sénat ou à
l’Assemblée. Après avoir été rejeté en 1995, en 1997 et en 2006, le
projet de loi est finalement adopté en 2011, malgré l’opposition de la
gauche qui s’engage à le remettre en cause lorsqu’ils seront au pouvoir
(lire à ce sujet : Le droit de planter et cultiver librement bientôt
interdit ?). Les actions de la CNDSF puis du Réseau semences paysannes
créé en 2003, auront été déterminantes dans ces rejets. Reste qu’à ce
jour, la promesse de la majorité actuelle n’est pas tenue. Pire,
l’introduction des semences dans la loi sur les contrefaçons votée par
le Sénat le 20 novembre 2013 a comme un goût de provocation.
La
récente occupation du GNIS par la Confédération paysanne a permis une
ouverture qui, nous l’espérons, sera confirmée lors du vote au Parlement
le 4 février prochain. Le ministère de l’Agriculture s’est en effet
engagé à exclure les semences de ferme du champ de la contrefaçon. Quant
à la loi de 2011, elle doit tout simplement être abrogée. Les semences
jusqu’au siècle dernier étaient un bien public à disposition de tous. La
confiscation de ce bien commun, sous couvert de la science, ne porte
pas seulement atteinte aux paysans mais à l’ensemble des consommateurs
qui deviennent des otages. La lutte contre cette mainmise sur le premier
maillon de la chaine alimentaire n’est plus une question agricole.
C’est un sujet de société.
Yves
Manguy, agriculteur retraité, premier porte-parole de la Confédération
paysanne, co-fondateur de la Coordination nationale pour la défense des
semences fermières
[1] Cette notion est tirée de l’ouvrage La guerre des semences, de Jacques Grall et Bertrand Roger Levy, publié en janvier 1986.
[2]
Appelée « sélection massale », la technique la plus proche de la
sélection naturelle et la plus utilisée dans les sélections paysannes :
les plantes qui semblent être les meilleures sont maintenues ensemble et
celles indésirables sont éliminées.
[3] SICASOV est l’acronyme de Société coopérative d’intérêt collectif agricole anonyme des sélectionneurs obtenteurs