Benoît Vitkine
L’avenir du Donbass, ce territoire qui regroupe les
régions administratives de Donetsk et de Lougansk, dans l’Est de
l’Ukraine, tient-il à quelques tentes qu’une poignée d’individus
entendent planter un dimanche de printemps ? C’est le pari des
séparatistes prorusses de la région : organiser, le 11 mai, sur un
territoire dont ils ne contrôlent que quelques confettis, un référendum
d’autodétermination qui, espèrent-ils, ouvrira la voie à un rattachement
à la Russie.
Loin des occupations fracassantes et très médiatisées de bâtiments administratifs à Donetsk ou Lougansk, loin de la place forte surarmée qu’est devenue Sloviansk, le « Donbass profond » s’organise, et les partisans du référendum trouvent face à eux un boulevard.
Samedi 26 avril, c’est jour de manifestation à Torez. Quelque 500 personnes, sur une population de 50 000, sont là. L’enthousiasme est réel, les discours outranciers : « Le gouvernement de Kiev construit des camps de concentration, embauche des mercenaires étrangers. J’ai peur d’un génocide pour notre peuple. » On parle aussi de l’identité russe de la région, des liens économiques avec Moscou. Dans cette ville sinistrée, où trois mines subsistent sur les dix-sept des temps glorieux de l’Union soviétique, les arguments portent. A Torez, les plus modérés se disent pour la « fédéralisation », plus personne ne veut de Kiev.
L’oratrice, c’est Irina Poltoratskaïa. Cette institutrice de 50 ans a installé ses bureaux au rez-de-chaussée de la mairie, sous le buste de Maurice Thorez, ex-secrétaire général du Parti communiste français, en l’honneur de qui la ville a été rebaptisée, à sa mort, en 1964. Les volontaires affluent pour s’inscrire au comité d’organisation du référendum. Mme Poltoratskaïa rassure son monde : « Le 11 mai, vos bureaux de vote habituels seront ouverts. Sinon, on installera des tentes. »
La mairie de Torez est « tombée » en toute discrétion. Le maire, Viktor Antonov, a permis aux manifestants prorusses de s’installer dans le bâtiment. Il a aussi permis que le drapeau de la « république populaire de Donetsk » soit accroché à sa façade, en lieu et place du drapeau ukrainien. « C’était ça ou l’occupation par la force », tranche une volontaire.
Toute autorité a explosé dans l'Est
Dans toutes les villes des environs, le tableau est le même : à Chakhtarsk, Snejnoï, Krasny Loutch, on manifeste, on descend le drapeau ukrainien et on érige des barrages – avant tout symboliques – sur les routes. Les autorités locales laissent faire. A Torez, le lieutenant de police explique : « Tant que l’ordre public n’est pas menacé, cela ne nous concerne pas. »
Impossible de savoir combien de ces villes moyennes du Donbass sont concernées. « Toutes », assurent les séparatistes. « C’est très exagéré, répond un conseiller du gouverneur de Donetsk, Sergueï Tarouta. Mais il est vrai que les autorités locales agissent par instinct de survie. Elles sont prêtes à lâcher sur de petits symboles. Et s’ils sentent que la pression monte encore, ils pourront aller jusqu’à aider à organiser le référendum. »
Le Parti des régions du président déchu Viktor Ianoukovitch, qui tient la région d’une main de fer depuis l’indépendance, est en débandade. « Chacun des conseillers municipaux décidera en fonction des intérêts de l’homme d’affaires ou de l’oligarque qu’il sert », affirme un élu de Torez, ancien mineur, qui n’accepte de parler que sous couvert de l’anonymat, dans un parc. Les autres conseillers sollicités refusent ; le maire est « hors de la ville », nous répond-on à deux reprises.
La "verticale du crime"
« Il attend simplement de voir dans quelle direction soufflera le vent, tranche l’homme, lui-même membre du Parti des régions depuis 2001. En attendant, il garde toutes les options ouvertes en espérant qu’il pourra conserver son poste et tous les avantages financiers qui vont avec. »
Avec l’appui ou le silence bienveillant de ces hommes qui tiennent les administrations et contrôlent les entreprises, le référendum a une chance de se tenir et de déstabiliser encore un peu plus la région. Sans eux et leurs puissants réseaux, la partie s’annonce plus difficile.
Igor Abyzov partage le diagnostic du conseiller municipal. Ancien policier devenu directeur du journal local ProGorod, il a vu ses locaux brûler pour avoir affirmé en « une » son soutien à l’unité de l’Ukraine. En fait, M. Abyzov ne sait pas très bien si l’attaque est réellement due aux tensions du moment ou à ses fréquents articles sur la corruption des élites locales : en septembre, il a eu la jambe cassée par des inconnus ; en janvier, il a reçu un coup de marteau sur la tête, en pleine rue.
Le journaliste permet de mieux comprendre cette « verticale criminelle » à laquelle s’accrochent aujourd’hui les potentats des petites villes du Donbass. Il raconte les petites magouilles des fonctionnaires de la mairie – l’argent de l’entretien des routes détourné ou celui qu’il faut verser pour qu’une chaudière installée dans son logement soit certifiée « aux normes » – comme les grosses. La grande affaire de Torez, ce sont les mines illégales, creusées presque à la surface du sol et particulièrement meurtrières. La lutte pour leur contrôle – en fait, la revente aux mines officielles du charbon extrait par des mineurs au chômage – fait rage.
C’est aussi contre ce système que se révoltent les prorusses. « Nous avons besoin d’eux [les potentats locaux] pour le moment, assurent Evelina et Elena, mère et fille venues s’inscrire pour l’organisation du référendum. On verra ensuite ce qu’on fera d’eux. »
Loin des occupations fracassantes et très médiatisées de bâtiments administratifs à Donetsk ou Lougansk, loin de la place forte surarmée qu’est devenue Sloviansk, le « Donbass profond » s’organise, et les partisans du référendum trouvent face à eux un boulevard.
Samedi 26 avril, c’est jour de manifestation à Torez. Quelque 500 personnes, sur une population de 50 000, sont là. L’enthousiasme est réel, les discours outranciers : « Le gouvernement de Kiev construit des camps de concentration, embauche des mercenaires étrangers. J’ai peur d’un génocide pour notre peuple. » On parle aussi de l’identité russe de la région, des liens économiques avec Moscou. Dans cette ville sinistrée, où trois mines subsistent sur les dix-sept des temps glorieux de l’Union soviétique, les arguments portent. A Torez, les plus modérés se disent pour la « fédéralisation », plus personne ne veut de Kiev.
L’oratrice, c’est Irina Poltoratskaïa. Cette institutrice de 50 ans a installé ses bureaux au rez-de-chaussée de la mairie, sous le buste de Maurice Thorez, ex-secrétaire général du Parti communiste français, en l’honneur de qui la ville a été rebaptisée, à sa mort, en 1964. Les volontaires affluent pour s’inscrire au comité d’organisation du référendum. Mme Poltoratskaïa rassure son monde : « Le 11 mai, vos bureaux de vote habituels seront ouverts. Sinon, on installera des tentes. »
La mairie de Torez est « tombée » en toute discrétion. Le maire, Viktor Antonov, a permis aux manifestants prorusses de s’installer dans le bâtiment. Il a aussi permis que le drapeau de la « république populaire de Donetsk » soit accroché à sa façade, en lieu et place du drapeau ukrainien. « C’était ça ou l’occupation par la force », tranche une volontaire.
Toute autorité a explosé dans l'Est
Dans toutes les villes des environs, le tableau est le même : à Chakhtarsk, Snejnoï, Krasny Loutch, on manifeste, on descend le drapeau ukrainien et on érige des barrages – avant tout symboliques – sur les routes. Les autorités locales laissent faire. A Torez, le lieutenant de police explique : « Tant que l’ordre public n’est pas menacé, cela ne nous concerne pas. »
Impossible de savoir combien de ces villes moyennes du Donbass sont concernées. « Toutes », assurent les séparatistes. « C’est très exagéré, répond un conseiller du gouverneur de Donetsk, Sergueï Tarouta. Mais il est vrai que les autorités locales agissent par instinct de survie. Elles sont prêtes à lâcher sur de petits symboles. Et s’ils sentent que la pression monte encore, ils pourront aller jusqu’à aider à organiser le référendum. »
Le Parti des régions du président déchu Viktor Ianoukovitch, qui tient la région d’une main de fer depuis l’indépendance, est en débandade. « Chacun des conseillers municipaux décidera en fonction des intérêts de l’homme d’affaires ou de l’oligarque qu’il sert », affirme un élu de Torez, ancien mineur, qui n’accepte de parler que sous couvert de l’anonymat, dans un parc. Les autres conseillers sollicités refusent ; le maire est « hors de la ville », nous répond-on à deux reprises.
La "verticale du crime"
« Il attend simplement de voir dans quelle direction soufflera le vent, tranche l’homme, lui-même membre du Parti des régions depuis 2001. En attendant, il garde toutes les options ouvertes en espérant qu’il pourra conserver son poste et tous les avantages financiers qui vont avec. »
Avec l’appui ou le silence bienveillant de ces hommes qui tiennent les administrations et contrôlent les entreprises, le référendum a une chance de se tenir et de déstabiliser encore un peu plus la région. Sans eux et leurs puissants réseaux, la partie s’annonce plus difficile.
Igor Abyzov partage le diagnostic du conseiller municipal. Ancien policier devenu directeur du journal local ProGorod, il a vu ses locaux brûler pour avoir affirmé en « une » son soutien à l’unité de l’Ukraine. En fait, M. Abyzov ne sait pas très bien si l’attaque est réellement due aux tensions du moment ou à ses fréquents articles sur la corruption des élites locales : en septembre, il a eu la jambe cassée par des inconnus ; en janvier, il a reçu un coup de marteau sur la tête, en pleine rue.
Le journaliste permet de mieux comprendre cette « verticale criminelle » à laquelle s’accrochent aujourd’hui les potentats des petites villes du Donbass. Il raconte les petites magouilles des fonctionnaires de la mairie – l’argent de l’entretien des routes détourné ou celui qu’il faut verser pour qu’une chaudière installée dans son logement soit certifiée « aux normes » – comme les grosses. La grande affaire de Torez, ce sont les mines illégales, creusées presque à la surface du sol et particulièrement meurtrières. La lutte pour leur contrôle – en fait, la revente aux mines officielles du charbon extrait par des mineurs au chômage – fait rage.
C’est aussi contre ce système que se révoltent les prorusses. « Nous avons besoin d’eux [les potentats locaux] pour le moment, assurent Evelina et Elena, mère et fille venues s’inscrire pour l’organisation du référendum. On verra ensuite ce qu’on fera d’eux. »
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