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jeudi 17 septembre 2015

Face aux réfugiés, des opinions européennes profondément divisées



Le retournement du tabloïd allemand Bild a joué un rôle majeur dans le bon accueil fait aux réfugiés en Allemagne, avant que Berlin ne rétablisse, dimanche 13 septembre, les contrôles à sa frontière autrichienne en raison de l’afflux de demandeurs d’asile. La découverte, en Autriche, d’un camion contenant des migrants morts a créé un premier choc dans l’opinion européenne. Les photos de la mort du petit Aylan sur une plage turque ont bouleversé l’opinion et joué un rôle important dans certains pays dans un revirement en faveur des réfugiés.

En Allemagne où le nombre de volontaires prêts à venir en aide aux réfugiés ne semble pas faiblir, l’accueil de nombreux demandeurs d’asile en provenance d’Autriche était, la semaine dernière, approuvé par 66 % des sondés interrogés pour la chaîne publique ZDF. En revanche, 29 % critiquaient cette décision. Un autre sondage également publié le 11 septembre montrait que, si 61 % des Allemands ne voyaient pas les réfugiés comme une menace, 38 % disaient avoir peur de cette arrivée massive.

61 % de Italiens en faveur de l’accueil des réfugiés

L’image est plus nuancée en France. Un sondage pour BFM-TV indiquait le 9 septembre que 53 % des Français étaient favorables à l’accueil des réfugiés, mais une étude pour Paris-Match et i-Télé montre que 57 % d’entre eux considèrent que les Syriens sont « des migrants comme les autres ». Le revirement est plus net en en Italie. D’après un sondage publié le 12 septembre dans La Repubblica, une nette majorité (61 %) se dégage en faveur de l’accueil des réfugiés qui débarquent sur les côtes italiennes. C’est 20 points de mieux que lors du précédent sondage en juin. Deux facteurs expliquent ce renversement de tendance : l’émotion causée par la publication de la photo du cadavre du petit Aylan et l’appel du pape François afin que chaque paroisse héberge une famille de migrants.

Dans les pays qui affichent les positions les plus hostiles à l’accueil des réfugiés, les médias ont été très discrets sur la photo d’Aylan. Les médias tchèques et slovaques ne l’ont publiée que deux jours plus tard et essentiellement en pages intérieures pour constater l’émoi qu’elle avait provoqué dans le monde. Le rédacteur en chef du premier quotidien tchèque MF Dnes (droite), Jaroslav Plesl, a expliqué sa non-publication par son « refus de se laisser gouverner par les sentiments ». Toute la classe politique tchèque a adopté la même attitude et l’opinion publique a suivi.

En Slovaquie, seul le quotidien libéral Dennik N a publié l’image. Il est également l’unique média qui appelle les autorités slovaques à accueillir davantage de réfugiés que les 200 chrétiens syriens envisagés par le premier ministre Robert Fico. Les propos xénophobes se réjouissant de la mort du petit Aylan ont été tellement nombreux, en particulier sur les réseaux sociaux, que le ministère de l’intérieur slovaque s’est senti obligé de rappeler qu’ils étaient passibles d’amendes et de peines de prison.

Tout a été fait aussi en Hongrie, du côté des médias proches du gouvernement, pour empêcher une vague d’empathie et attiser, au contraire, l’anxiété de la population hongroise. La divulgation d’un email interne a montré que les équipes de la télévision d’Etat hongroise ont reçu pour consigne de ne pas filmer les enfants, soi­-disant pour les « protéger ». Pour une bonne partie des Hongrois, les réfugiés sont donc des hommes jeunes, parfois agressifs contre les policiers. Résultat, l’impact de la photo du petit Aylan a été quasiment nul en Hongrie.

Les Polonais contre les quotas

Dans les anciens pays de l’Est, la Pologne paraît un peu plus ouverte. Une courte majorité de la population (53 %) se prononce pour l’accueil des réfugiés venus du Proche-Orient. Mais sur cette majorité, seuls 16 % sont favorables à un accueil « sans conditions » et 37 % à condition que l’UE ou l’ONU financent le séjour des personnes accueillies. Et 55 % des Polonais se disent opposés aux quotas obligatoires européens.

La Suède était déjà l’un des pays d’Europe les plus ouverts aux demandeurs d’asile. La photo du corps d’Aylan a eu un effet d’autant plus dramatique que la famille était en route pour la Suède afin d’y demander l’asile. Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté ces derniers jours dans le royaume, dimanche 13 septembre encore à Malmö, en faveur d’un accueil humain des demandeurs d’asile. La télévision publique suédoise SVT a fait des opérations spéciales avec appel de fonds qui ont rassemblé plus d’argent que lors du tsunami.

Le poids de l’extrême droite dans le pays ne semble pas peser sur l’opinion, ni sur le gouvernement au pouvoir, contrairement au Danemark qui a brièvement fermé sa frontière avec l’Allemagne et refuse d’accueillir des réfugiés. Aux Pays-Bas, malgré le poids du parti xénophobe de Geert Wilders, le gouvernement approuve généralement la politique prônée par la Commission de Bruxelles – dont le Néerlandais Frans Timmermans est le numéro deux. Une majorité de citoyens se rallie à cette ligne qui suscite davantage de malaise au sein du Parti libéral du premier ministre Mark Rutte.

Le débat est plus compliqué en Belgique. Bart De Wever, le chef du parti nationaliste flamand (NVA) a proposé de limiter les droits, notamment sociaux, accordés aux réfugiés et invité les Européens à ne pas se « culpabiliser », notamment après la diffusion des photos du petit Aylan Kurdi. En Flandre, un débat émerge sur l’attitude des grands médias, présumés favorables à une politique d’accueil et accusés de prendre le contre-pied de la « majorité silencieuse ». Du côté francophone, un malaise est né au sein de la principale chaîne privée, RTL-TVi, après des accusations de populisme et de xénophobie lancées contre certaines émissions.

Une autre image a fait le le tour du monde, celle de la journaliste hongroise Petra Laszlo, la cameraman d’une chaîne de télévision d’extrême droite, qui avait fait des croche-­pieds à des réfugiés portant des enfants et poursuivis par des policiers qui voulaient les enregistrer. Malgré ses excuses, l’image a un peu plus terni la réputation de la Hongrie : elle a fait passer le message que ce pays devait être évité à tout prix par ceux qui entreprennent leur longue marche vers l’Europe de l’Ouest.