.

.

vendredi 11 septembre 2015

Les races et l'inégalité - Un problème mal posé : c’est la différence qui existe



Les races et l'inégalité  - Un problème mal posé : c’est la différence qui existe
 Jean Guiart*
 
Parler des races humaines, à notre époque, n’est pas simple. D’où mon appréciation sur l’article publié sur POLÉMIA et repris par MÉTAMAG (1). Il reprend des analyses fondées, exceptées de très rares auteurs de meilleur statut scientifique et de plus grande prudence, sur des fait dus au pillage des cimetières un peu partout par les médecins militaires européens tout au long du 19ème et de la première moitié du 20ème siècle. Comme il s'agissait d'opérations potentiellement dangereuses, pouvant provoquer légitimement des protestations de masse, et auxquelles on ne pouvait procéder scientifiquement, par le moyen d’un tri aléatoire, nos bons toubibs ont pris systématiquement les crânes et les restes osseux leur paraissant typiques, c'est-à-dire les plus éloignés du type europoïdes dominant alors le monde. Les autres squelettes furent considérés, parfaitement artificiellement, comme plus ou moins métissés.



Cette méthode scientifique au départ a été soigneusement cachée, de même qu'a été oublié le fait évident que les mensurations pratiquées sur le vif ou les os secs ne sont jamais exactes, les mensurations pratiquée sur les mêmes ossements et crânes, ou les mêmes vifs, par d'autres opérateurs aboutissant à des chiffres différents, étant donné l'importance des variations individuelles dans la disposition des détails du corps humain. On a ainsi fabriqué des races humaines suspendues en l'air, en ne se fondant que sur les individus les plus marginaux d'une population et en rejetant a priori les autres. L'idée au surplus de démontrer l'existence d'une race en montrant la photographie d'un individu sur plusieurs millions d'autres individus est elle aussi stupide, scientifiquement parlant.

L'inégalité n'a pas d'existence scientifique

C'est la différence qui existe et il en existe de partout. Il suffit qu'un événement humain ou naturel provoque un isolement relatif d'une population sur plusieurs générations pour que naisse un nouveau phénomène. Exemple : les Polynésiens occidentaux étant encore dolichocéphales (crânes longs) comme leurs ancêtres venus de Mélanésie (dont les habitants ne sont nullement noirs comme on le prétend, dont les Papous du sud-est de la Nouvelle Guinée, plus clairs que les Polynésiens) peuvent devenir brachycéphales (crânes hauts) en Polynésie orientale (phénomène dit de la dérive génétique, particulier aux populations de nombres relativement faibles). Il n'existe aucune inégalité utilisable en tant que concept scientifique, entre les hommes, sinon celles nées médicalement, après la naissance ou dans le ventre de la mère.

Les inégalités technologiques n'existent pas

Les Chinois ont inventé le papier monnaie, les Occidentaux en ont fait un outil économique ambigu, aussi utile que dangereux. Il n'est pas certain que ce soit un progrès, mais c'est certainement un phénomène historique de premier plan. Les Océaniens n'ont pas connu le métal du fait de l'interdiction pratiquée au cours des siècles, par les autorités politiques traditionnelles indonésiennes, de la transmission de la technique du métal aux Papous de l'ouest. Les rajahs des îles de Tidore et de Ternate avaient pour fonction d’assurer la police de cette interdiction à toucher la Nouvelle Guinée.

En 1949, un vieux monsieur, sur l'île d'Ambrym, au centre du Vanuatu, tout seul, a abattu un arbre de dimensions conséquentes, en conduisant sur l'arbre vert une combustion lente au pied, sans flamme et sans fumée, raclant au fur et à mesure les parties consumées avec une herminette à lame de coquillage qui ne servait qu'à cela. Au bout de trois semaines, l'arbre est tombé exactement où il fallait; tout le monde venant voir le progrès de l'opération jour après jour, mais le vieux monsieur a travaillé tout seul jusqu'à la fin. Une opération parfaitement écologique et parfaitement efficace. La souche était propre et à raz du sol.

L'expérience montre au surplus que les Océaniens connaissaient le théorème d'Archimède, inconnu des ingénieurs des Pyramides. Ces insulaires transportaient des masses de pierres extrêmement lourdes de l'ordre de plusieurs tonnes dans des filets de lianes, sous l'eau, entre deux pirogues de haute mer à simple ou double coque. Ils avaient la connaissance concrète de tous les genres de leviers que l'on nous avait enseignée.

En dehors de circonstances historiques qui tendent toujours à se neutraliser ou à s'annuler (voir la renaissance de la Chine en si peu d'années), l'inégalité n'existe pas, n'a pas de sens entre les hommes. L'inégalité n'est pas autre chose que la conséquence d'une idéologie fumeuse ou erronée, sinon moralement condamnable ou le résultat d'une impression fugitive. En tout cas : un manque parfait de lucidité.

J'avais prévenu Claude Lévi-Strauss qu'un jour il trouverait devant lui, à son séminaire, le fils ou la fille de ses primitifs. L'incident est arrivé et il s'en est tiré, comme toujours, avec élégance. Je n'ai jamais eu pareil incident pour une bonne raison. Les primitifs n'ont jamais existé pour moi.

Il existe des hommes différents, séparés historiquement et qui ont eu des évolutions différentes, et ont, eux aussi, trouvé les techniques, en particulier en agriculture, adaptés à leurs problèmes, et montrant une intelligence technique aussi aiguë que la nôtre.

Nous en sommes encore à reprocher aux Africains de ne pas se servir de charrues, alors que la science des sols, discipline d’origine soviétique, a montré que la pellicule de sol utile sous les tropiques était si faible qu’il fallait l’aérer, mais ne jamais la retourner. L’araire faisait exactement le travail nécessaire. La charrue était une catastrophe et les expériences anglaises d’utiliser en Afrique orientale des charrues à disques ont abouti à la destruction des sols sur des dizaines de milliers d’hectares.

Notre barrage sur le Niger est parfait, mais nos ingénieurs n’ont pas prévu l’intensité de l’évaporation et ont prévu des canaux d’irrigation trop larges, qu’on ne pouvait recouvrir de plaques de ciment préfabriquées, et l’eau ne parvenait plus au bout de ces canaux. Les civilisations traditionnelles des mêmes régions faisaient passer l’eau par des canaux souterrains constitués de poteries toutes semblables connectées l’une à l’autre en s’enfonçant dans la suivante et qui de fait protégeaient l’eau du système d’irrigation partout où il n’était pas nécessaire qu’elle soit à ciel ouvert. Les Océaniens, eux, utilisent des plantes couvrantes établies tout le long des bords des canaux d’irrigation.

Les habitants des îles Philippines, connaissant le métal, ont mis sur pied dans leurs régions montagneuses d’admirables, entre autres esthétiquement, systèmes d’irrigation pour cultiver le riz. On en rencontre les photographies partout. Les Océaniens, ne connaissant pas le métal et ayant recours à la fois au feu pour traverser les roches en les faisant éclater en jetant de l’eau dessus après les avoir chauffées à blanc, et avec des outils en bois dur, ont créé des systèmes d’irrigation en montagne présentant les mêmes caractéristiques, le volume de l’opération et sa beauté, pour la culture du taro, légume racine dont les caractéristiques alimentaires sont bien supérieures à celles du riz et qui est tout simplement conservé dans le sol. J’ai vécu des mois en de telles montagnes et en ne mangeant strictement que du taro et je ne me suis jamais si bien porté.

Le taro continue d’ailleurs à être cultivé et mangé par les Chinois, l’image du bol de riz du coolie chinois étant parfaitement théorique. Ils y ajoutent tout ce qu’ils peuvent trouver ou cultiver comme variété de légumes verts ou légumes racines, y compris la patate douce des Indiens d’Amérique qu’ils ont adoptée et qui est nutritionellement bien supérieure à notre pauvre pomme de terre.
 
Notes

(1) http://www.metamag.fr/metamag-3102-LES-RACES-HUMAINES-Retablir-la-verite-en-10-points.html

* Jean Guiart est anthropologue et ethnologue français, spécialiste de la Mélanésie. Il a été directeur d'Études à l'École pratique des hautes études, professeur d'ethnologie générale à la Sorbonne (1968-1973) où il a succédé à André Leroi-Gourhan. Il a dirigé l'Unité d'enseignement et de recherches de sciences sociales à la Sorbonne de 1969 à 1973, puis de 1973 à 1988, professeur d'ethnologie au Muséum national d'histoire naturelle et directeur du laboratoire d'ethnologie du Musée de l'Homme. Après sa retraite, il réside à Nouméa en Nouvelle-Calédonie, puis à Tahiti, et en 1997, il a fondé sa propre société d'édition, Le Rocher-à-la-Voile.Il collabore aujourd'hui à METAMAG.
  

 Source