Dominique Jamet
L’Allemagne de Mme Merkel, opulente,
sûre d’elle-même, dominatrice, est prête à recevoir autant de
migrants qu’il lui en viendra mais demande à ses vingt-sept
partenaires européens de prendre également leur part du fardeau. La
France, en tout cas le gouvernement français, ce qui n’est pas
tout à fait la même chose, suit son berger allemand comme le ferait
un caniche dans ce couple bancal où Madame porte la culotte, et
somme par lettre commune les autres membres de l’Union de se plier
aux injonctions de Berlin et d’ouvrir leurs frontières au flot des
demandeurs d’asile ou d’emploi qui déferle sur le Vieux
continent en fonction de la répartition que fixera la Commission de
Bruxelles.
Ce n’est pas seulement parce que le
IVe Reich traîne le souvenir et le remords de son inhumanité passée
qu’il étale sa générosité aux yeux du monde. Démographiquement
exsangue, mais économiquement en pleine santé, l’Allemagne a
impérativement besoin des quelque 800.000 nouveaux venus qu’elle
prévoit d’accueillir cette année, et elle a la capacité de les
employer. Le beau geste qu’elle s’apprête à donner en exemple
va dans le sens de ses intérêts. Il n’en est pas de même de la
France. Si notre pays bénéficie d’une croissance démographique
qui en fait une exception en Europe, il s’avère tragiquement
incapable d’éduquer, de loger, de faire travailler, voire
d’intégrer sa propre population, et n’est évidemment pas en
mesure de faire face à un afflux massif que grossira encore
l’imprudent appel d’air que M. Hollande vient de cosigner avec
Frau Angela. L’idéologie et le suivisme ont conduit une fois de
plus le président de la République à faire fi de la réalité et à
prendre le risque d’aggraver encore le marasme dont il prétendait
nous tirer et où il nous enfonce chaque jour un peu plus.
Certains États européens, qu’ils
soient en meilleur état que le nôtre – la Grande-Bretagne –
qu’ils cèdent à la pression de leur opinion – la Suède – ou
qu’ils se laissent entraîner par le moteur germano-français, sont
ou se disent décidés à suivre les directives qui leur seront
données et à accepter le système des quotas. D’autres sont ou
semblent résolus à résister, et c’est notamment le cas, comme on
sait, de la Pologne, de la Tchéquie, de la Slovaquie, des trois Pays
baltes et, bien sûr, de la Hongrie.
Serait-on plus égoïste, moins
généreux, moins solidaire du malheur à Varsovie, à Prague ou à
Bratislava qu’à Berlin, à Paris ou à Londres ? Rien ne permet de
le dire. La situation économique y serait-elle moins bonne ? C’est
selon. Même si l’on y est parti de plus bas, on y connaît un taux
de croissance et d’emploi plutôt supérieur à la moyenne de
l’U.E. La question, en fait, n’est pas là.
Le point commun aux pays de l’Est
européen est qu’ils ont tous connu la botte de l’étranger, la
soumission forcée à la botte germanique, puis nazie, ou russe, puis
soviétique. Qu’ils ont tous lutté de toutes leurs faibles forces
pour défendre leur langue, leur culture, leur religion, leur
homogénéité, avant de recouvrer une indépendance qu’on leur
contestait parfois depuis des siècles. Humiliés, dépecés,
assujettis, n’ayant pas perdu le souvenir d’un passé douloureux
et ayant quelques raisons de se méfier de l’avenir qui leur est
réservé, c’est parce qu’ils viennent tout juste de retrouver
leur souveraineté qu’ils en sont jaloux et qu’ils rejettent tout
ce qui serait susceptible de la diminuer ou de l’ébrécher. C’est
parce qu’ils sont petits et savent ce qu’il leur en a coûté,
qu’ils se méfient des grands. Démographiquement déficitaires,
économiquement fragiles, politiquement faibles, ce n’est pas par
xénophobie, par racisme, par un obscurantisme aveugle qu’ils
rejettent le dispositif proposé par l’Allemagne et la France,
c’est parce qu’ils ont le sentiment, le souci, le respect et même
l’amour, si étrange que cela puisse paraître en France, de leur
identité, de leur indépendance toute neuve et de leur toute jeune
patrie qu’ils redoutent et refusent de les voir se diluer dans le
grand melting-pot où les chefs leur mitonnent une étrange cuisine.