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vendredi 4 septembre 2015

Un compromis désastreux pour la Grèce et pour l’Europe


 Thomas Coutrot
 
Peu d’économistes le contestent : réduire de nouveau les retraites et augmenter encore la TVA dans un pays exsangue ne pourra qu’aggraver la situation économique et la crise humanitaire. Aucun économiste ne le nie : la Grèce ne pourra pas rembourser sa dette, insoutenable.

Pourquoi alors l’Eurogroupe, unanime, exige-t-il depuis six mois de la Grèce de nouvelles mesures d’austérité et un excédent budgétaire extravagant (3,5 % du PIB en 2017) ? François Hollande l’a répété encore ce lundi matin [13 juillet] : pour « respecter les règles » de la zone euro. Le remboursement des dettes insoutenables et la saignée du malade agonisant font partie des règles intangibles de nos docteurs Diafoirus, allemands ou non.

Depuis six mois le gouvernement Syriza lutte courageusement pour honorer son mandat d’interrompre l’austérité. Mais il est soumis au supplice de la baignoire. Le nouveau « programme » décidé le 13 juillet va-t-il permettre à la Grèce de sortir la tête de l’eau ? Il est vrai qu’il porte sur trois ans, ce qui pourrait donner un peu de visibilité. Mais « l’aide » accordée à la Grèce ne va pas financer les investissements si nécessaires à la modernisation productive et écologique du tissu productif grec ; ni permettre à la Grèce de recouvrer son autosuffisance alimentaire.

Quant aux 35 milliards d’euros supplémentaires vantés par François Hollande pour financer des investissements, ils se situent « dans le cadre du plan Juncker » : or, on sait que ce plan ne comporte quasiment pas d’argent public mais repose essentiellement sur d’hypothétiques projets portés par des multinationales privées, auxquels l’Union européenne apporterait des garanties. Comme le fameux « pacte de croissance » dont se vantait François Hollande en juin 2012 pour justifier la ratification du Traité budgétaire, il s’agit là de sommes purement virtuelles et qui le resteront.

Le référendum grec a été vécu comme une gifle par les dignitaires européens, une « rupture de confiance ». Demander au peuple son avis sur des sujets qui engagent aussi lourdement son avenir est une incongruité aux yeux de ceux pour qui les règles européennes, elles-mêmes garantes du respect des lois du marché et de l’intérêt des créanciers, doivent toujours prévaloir sur la volonté populaire. Les dignitaires européens ont fait lourdement payer à Tsipras le prix de cette incongruité : l’accord du 13 juillet prévoit la création d’un fonds de garantie de 50 milliards d’euros, gagé sur de futures privatisations qui profiteront aux multinationales européennes, allemandes en particulier.

Il organise le retour de la « troïka » – FMI compris – à Athènes, ainsi que la soumission des projets de loi à la « troïka » avant leur examen par le Parlement grec. L’allégement de la dette est refusé au profit d’une vague promesse de reprofilage. Ajoutées au plan d’austérité draconien qu’avait déjà accepté la Grèce avant le 13 juillet, ces dispositions marquent l’effondrement de la souveraineté démocratique du peuple grec et ouvrent une grave crise politique en Grèce.

L’euro est-il sauvé ? Evidemment non. Comme les huit plans précédents, le nouveau plan d’austérité va aggraver la récession et le déficit public et alourdir in fine le poids de la dette grecque. L’espoir d’une vague d’investissements financés par le rapatriement des capitaux grecs exilés risque d’être rapidement déçu. Certes, à court terme, le maintien de la Grèce dans l’euro supprime l’un des facteurs d’instabilité des marchés financiers internationaux. Mais l’éclatement de l’actuelle bulle financière et immobilière mondiale, qui a probablement commencé par la Chine, n’en est pas moins inéluctable dans les mois qui viennent. Il va poser de nouveau la question de la crédibilité de l’euro, dont les maillons faibles seront sans doute soumis à de fortes pressions spéculatives.

Coup d’Etat financier

Au plan politique l’impact de l’accord du 13 juillet risque d’être pire encore. Le coup d’Etat financier organisé par la BCE et l’Eurogroupe contre la Grèce – assèchement des liquidités, fermeture des banques, chantage à l’expulsion – va laisser de profondes traces dans les opinions publiques européennes. Ce traitement de choc visait en particulier l’électorat espagnol, soupçonné de préparer une nouvelle rébellion contre l’oligarchie européenne. Impossible de prédire ce qu’il en sera en Espagne. Mais en Grèce, en France et dans bien d’autres pays, l’extrême droite risque de sortir très renforcée de toute cette affaire.

La Grèce pouvait-elle faire autrement que de capituler ? Par le courageux référendum du 5 juillet, le peuple grec donnait à Alexis Tsipras toute la légitimité à exiger un compromis. On pouvait croire ou non à la viabilité de ce pari. L’accord du 13 juillet n’est pas un compromis mais une mise sous tutelle de la Grèce et de son gouvernement. Ce dernier aurait-il pu obtenir mieux ? Les mouvements sociaux européens doivent faire leur autocritique, car la mobilisation en solidarité et contre l’austérité n’a pas été suffisante pour peser sur nos gouvernements.

On peut aussi penser que le gouvernement grec s’est privé d’un argument de poids en ne préparant pas de plan B. Moratoire sur le remboursement de la dette, émission d’une monnaie fiscale à usage interne, réforme fiscale anti-oligarques, programme de relance de l’investissement productif : un tel projet alternatif aurait renforcé sa position de négociation, voire ouvert une porte de sortie en cas d’intransigeance absolue des créanciers.

Ce plan B, même assorti d’une expulsion de la zone euro, aurait mieux valu pour la Grèce et pour l’Europe que l’accord du 13 juillet. Mais le peuple grec n’a pas dit son dernier mot : s’il entre dans le jeu maintenant et refuse ce diktat des créanciers, il appartiendra aux citoyens européens d’être à ses côtés.
 
Notes

Thomas Coutrot est Membre du conseil scientifique d’Attac et des Économistes atterrés 

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