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vendredi 16 décembre 2016

Alep, Une Bataille dans la guerre : La course pour la ville & L’enlisement [1]



Nous l’avons déjà dit : sans une aide extérieure, une insurrection ne peut l’emporter ni même durer. La Guerre de Syrie n’a pas échappé à cette règle. Symbole de cette vérité première : la Bataille d’Alep – 1ère Partie.

« Je veux assurer que ce qui se passe aujourd’hui, c’est l’Histoire, que tout citoyen syrien est en train d’écrire. Avec la libération d’Alep, on dira que la situation a changé, pas seulement pour la Syrie, pas seulement pour la région, mais pour tout le monde (…). L’Histoire se dessine maintenant. C’est bien plus important que de simples félicitations ».

Bachar el-Assad,


Alep (Halab en arabe), est l’une des plus vieilles cités du monde, elle aurait été habitée dès le VIe millénaire. Son emplacement stratégique, tant du point de vue militaire que commercial en a fait bien souvent l’enjeu de combats que ce soit dans l’Antiquité ou au Moyen-Âge (en 1400, Tamerlan, après avoir pris la ville, fit élever une pyramide de 20.000 têtes coupées).

A l’époque moderne vivent à Alep des représentants de nombreuses religions : chrétiens (Maronites, Grecs orthodoxes, Arméniens, Syriaques, Nestoriens, Coptes), musulmans (Kurdes, Druzes, Turcomans, Yézidis), Juifs.

À la fin de la 2ème Guerre mondiale, plus d’un tiers des habitants étaient chrétiens. Avec une importante immigration venue des campagnes, les rapports entre les religions ont changé : en 2010 Alep comptait 65% de sunnites, 20% de Kurdes, 10% de chrétiens et 5% d’alaouites. À l’ouest et au centre ville résident la bourgeoisie et les vieux Alépins ainsi que les chrétiens, les Kurdes sont concentrés au nord dans le quartier de Cheikh Maksoud.
Alep est le lieu de naissance du grand linguiste Émile Benveniste, de l’ancien président arménien Levon Ter-Petrossian et aussi de Jean Pierre Hutin, le créateur de l’émission télévisée 30 millions d’amis.

Alep est aussi une ville renommée pour sa gastronomie avec deux techniques : celle du feuilleté et celle du farci avec par exemple les kebbeh.

Première ville de Syrie par sa population c’est aussi la première ville industrielle avec près de 3.000 entreprises. Parmi les productions il y a bien sûr le fameux savon d’Alep (huile d’olive, soude végétale, huile de baie de laurier), une importante industrie textile, centrée sur le coton (au mois de septembre avait lieu un festival du coton), des industries agro-alimentaires, mécaniques, chimiques. Les djihâdistes qui se sont, comme nous le verront, emparés de la plus grande partie des zones industrielles ont démantelé de nombreuses usines, revendant les machines en Turquie.

L’arrivée de Bachar el-Assad au pouvoir s’est traduite par la mise en œuvre de réformes économiques dont la ville d’Alep a largement profité, si bien que lorsque les manifestations ont éclaté en Syrie en 2011, la capitale économique du pays n’a pas bougé.

Avec l’éclatement de la guerre l’année suivante, Alep s’est retrouvée au cœur de la tourmente car elle représentait un objectif majeur pour les djihâdistes et leurs soutiens extérieurs.


La course pour Alep.


En juillet 2012, les djihâdistes takfirî lancent une double offensive : l’une vers Damas, l’autre vers Alep. Les planificateurs étrangers de la guerre pensent que le gouvernement syrien est mûr pour l’effondrement. Mais ,en deux semaines, l’Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS)1 écrase l’attaque sur Damas.

La situation est différente à Alep, en effet les forces gouvernementales n’y disposent que d’environ 2.000 hommes ce qui permet aux djihâdistes venus de l’extérieur de s’attaquer à la ville, profitant de la faiblesse des forces gouvernementales, ils ont pu s’emparer un par un des commissariats, exécutant systématiquement les prisonniers. Dès le départ ils ont mis en œuvre une politique de terreur en assassinant tous ceux qui s’opposaient à eux comme le chef du clan sunnite pro-gouvernemental Hassan Zeino Berri le 31 juillet  2012 2.

Une partie de la population fuit Alep-Est pour se réfugier à l’ouest ou même partir vers la Turquie.

Au mois d’août, l’AAS est en mesure de lancer une contre-offensive, avec l’aide des milices chrétiennes qui se sont créées et de reprendre les quartiers chrétiens du centre ville. Pour bloquer l’avance de l’AAS, les djihâdistes incendient le souk dans la vieille ville.

Une nouvelle offensive takfirî au mois de septembre est bloquée par l’AAS.

À cette époque déjà, les media occidentaux nous dressaient une image apocalyptique d’Alep-Est comme le quotidien cryto-islamiste Le Monde qui, en septembre 2012, comparait Alep-Est à Guernica et montrait sa population fouiller les ordures à la recherche de nourriture3 ! En 2016, Alep-Est aurait dû être réduite à un tas de poussière dépeuplé ! Et bien sûr, pas un mot sur le fait que la station de distribution d’eau d’Alep était entre les mains des djihâdistes qui se sont empressés de couper l’approvisionnement en eau d’Alep-Ouest.

Pendant plusieurs mois, le front se stabilise à Alep, mais autour de la ville, les forces syrienne subissent plusieurs revers : le 6 août 2013, l’aéroport de Menagh, assiégé depuis plus d’un an, est capturé par les djihâdistes, mais surtout, ceux-ci s’emparent de la ville de Khanasser au sud d’Alep le 26 août 2013, ce qui aboutit à l’encerclement de la partie d’Alep tenue par les forces syriennes. Le sort de la population encerclée dans Alep-Ouest n’émouvant aucunement les bonnes âmes occidentales.

Toutefois l’AAS contre-attaque depuis le Sud et reprend Khanasser le 3 octobre puis parvient à As-Safirah le 1er novembre 2013 ce qui rompt l’encerclement d’Alep-Ouest, mais le 20 décembre 2013, après deux attaques suicides les djihadistes s’emparent de l’hôpital d’al-Kindi après des mois de siège, exécutant ses derniers défenseurs 4.


L’Enlisement.


En 2014 et 2015, le front ne bouge guère dans la ville elle-même, les combats se concentrant surtout à la périphérie où les deux camps tentent de s’assurer de positions favorables : sécurisation de l’aéroport par l’Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS) en janvier 2014, tentative de prise de la prison d’Alep par les djihâdistes, début février 2014, le siège de la prison étant brisé par les forces syriennes le 22 mai dans le cadre de leur offensive visant à encercler Alep Est par le nord, cette offensive reprise en février 2015 n’aboutit pas. En juillet 2015, les djihâdistes lancent une offensive qui est repoussée par l’AAS avec de lourdes pertes. Ce succès permet aux forces syriennes d’attaquer à leur tour, à l’automne au sud d’Alep de façon à élargir le corridor les reliant à la ville, mais le 23 octobre 2015 l’État islamique parvient à couper la route Alep-Homs, cependant l’AAS rouvre la route le 4 novembre et, le 10 novembre 2015, parvient à rompre le siège de l’aéroport de Kuweires, assiégé depuis près de trois ans.


Notes


1 Armée arabe syrienne 2 You Tube.be 3 Le Monde 4 You Tube.be