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vendredi 30 décembre 2016

«La douce illusion» de la résolution 2334 de l’ONU



Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté une résolution pour établir un Etat juif (à côté d’un Etat arabe) dans la terre d’Israël. Soixante-neuf ans plus tard, le vendredi 23 décembre 2016, le Conseil de Sécurité de l’ONU a adopté une résolution pour tenter de sauver celle votée en 1947. La résolution 2334, approuvée vendredi, a constitué un souffle de bonnes nouvelles, d’espoir, dans la mer d’obscurité et de désespoir des récentes années.

Alors même que tout allait à vau-l’eau – approfondissement de l’occupation, de plus en plus soutenue par les Etats-Unis sans compter une Europe qui se précipite à droite de l’échiquier politique – voilà une résolution de Hanouka [«Fête des Lumières» du 24 décembre 2016 au 1er janvier 2017] qui allume une mince bougie d’espoir. Alors qu’il semblait que les méchants allaient l’emporter, la Nouvelle Zélande et trois autres pays sont venus donner un cadeau de Noël au monde.

Donc, un grand merci à la Nouvelle Zélande, au Venezuela et à la Malaisie. Il est vrai que l’arbre de Noël qu’ils ont apporté, avec ses lumières étincelantes, sera bientôt enlevé. Donald Trump attend déjà à la porte. Mais l’empreinte restera. D’ici-là, réjouissons-nous, même si nous savons qu’on aura une gueule de bois le lendemain.
Il nous faut bien sûr interpeller rageusement le président Barack Obama: «Pourquoi n’est-ce n’est que maintenant que vous faites quelque chose?» Et frustrés nous devons demander au monde: «Et qu’en est-il des actions?». Mais il est impossible d’ignorer la décision du Conseil de sécurité selon laquelle toutes les colonies sont illégales, par nature.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou peut bien rappeler ses ambassadeurs, tandis que son bras droit, le ministre Yuval Steinitz hurle que la résolution est «injuste» (il a visiblement un sens de l’humour!). Isaac Herzog [Parti travailliste], le leader de l’opposition, peut aussi bafouiller : «Nous devons lutter contre cette décision par tous les moyens». Mais toute personne ayant une conscience ne manquera pas de se réjouir de cette résolution.
En outre, aucun Israélien respectable ne devrait se laisser berner par la propagande qui prétend que la résolution est «anti-israélienne» – une définition que les médias israéliens se sont évidemment empressés d’adopter avec leur servilité caractéristique.
Cette décision a ramené Israël sur le sol solide de la réalité. Toutes les colonies, y compris celles dans les territoires qui ont été annexés, dont évidemment Jérusalem Est, constituent une violation de la loi internationale. Le monde entier est unanime pour le penser, aussi bien les soi-disant amis d’Israël que ses soi-disant ennemis.
Il est probable que les dispositifs de lavage de cerveau en Israël, de pair avec les mécanismes de répression et de déni, essaieront d’ébranler la décision. Mais lorsque les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Chine et la Russie sont d’accord pour une déclaration aussi claire, cela sera difficile. Alors vous pouvez bien vous plaindre: «Tout le monde est contre nous», hurler à l’«antisémitisme», vous pouvez demander: «Qu’en est-il de la Syrie?». En fin de compte cette vérité limpide restera: le monde entier pense que les colonies sont un crime. Toutes les colonies.
Il est vrai que le monde ne lève pas un petit doigt pour éliminer les colonies, mais peut-être cela arrivera-t-il un jour. Mais à ce moment-là il sera trop tard.

La résolution 2334 établit une distinction artificielle entre Israël et les colonies en ce sens qu’elle vise les colonies et non l’occupation. Comme si c’étaient les colons d’Amona qui étaient coupables et non pas tous les Israéliens.

Cette duperie prouve à quel point le monde continue à traiter Israël avec indulgence et hésite à prendre des mesures contre ce pays, comme il l’a fait contre la Russie après sa conquête de la Crimée.
Mais les Israéliens qui ne vivent pas à Amona, qui n’y sont jamais allés, doivent se poser la question: cela vaut-il vraiment la peine? Tout cela pour quelques colons qu’ils ne connaissent pas et qu’ils n’ont pas vraiment envie de connaître?

La résolution 2334 est destinée surtout aux oreilles israéliennes, comme le réveille-matin qui vous réveille juste à temps, comme une sirène qui vous incite à aller vous réfugier dans un abri antiaérien. Il est vrai que la résolution n’a aucune valeur concrète; il est vrai que la nouvelle administration états-unienne promet de l’effacer. Mais deux questions resteront. Pourquoi les Palestiniens ne méritent-ils pas exactement la même chose que les Israéliens? Et à quel point un pays avec sa puissance de lobbying, son armement et sa haute technologie peut-il continuer à ignorer le monde entier? Ce premier jour aussi bien de Hanouka que de Noël nous pouvons apprécier, ne serait-ce qu’un moment, la douce illusion  que la Résolution 2334 va soulever ces questions en Israël.

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La colonie d’Elon Moreh: «Un manuel de l’occupation»

Piotr Smolnar, dans Le Monde daté du 27 septembre (page 3), décrit les méthodes «classiques» utilisées par les colons de la colonie d’Elon Moreh, appuyés par l’Etat d’Israël, afin d’exproprier de leurs terres les paysans palestiniens. Une illustration, parmi d’autres, de la politique coloniale de l’Etat d’Israël à l’œuvre depuis fort longtemps:

«Azmut, Deir Al-Hatab et Salem, là où vit la famille Marouf, sont trois villages palestiniens situés sur des collines à l’ouest de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie. De génération en génération, leurs habitants se sont consacrés à l’agriculture et à l’élevage. Leur rythme de vie, leur organisation collective et leurs revenus dépendaient de ces deux activités. Oliviers, figuiers et citronniers coloraient le paysage. Des réserves d’eau naturelle servaient à étancher la soif des bêtes. On vivait modestement, mais l’autosuffisance était assurée.

Tout cela, c’était avant que la colonie d’Elon Moreh ne soit établie, en 1980. Depuis trente-six ans, cette communauté a grignoté les terres palestiniennes, privé les villageois de l’accès à leurs terres cultivées – à partir de la première Intifada (1987) – et à leurs pâturages.

L’histoire de ces trois villages est un véritable manuel de l’occupation, de ses expropriations et de la négation des droits palestiniens.«Les villageois ont été laissés dans un état d’insécurité à de multiples niveaux: financier, alimentaire et social, souligne l’ONG israélienne B’Tselem dans un rapport accablant sur la situation locale, publié début décembre. L’Etat d’Israël et 1800 colons agissant avec son soutien et ses encouragements ont pris les terres des villages, en y faisant ce qu’ils voulaient, pendant que près de 10’000 résidents palestiniens ne pouvaient s’approcher de ces terres.»

Dans cette expropriation graduelle, l’administration civile israélienne – qui gère entièrement la zone C, soit 60 % de la Cisjordanie – a procédé par des techniques classiques. Elle a élargi la zone dite de sécurité autour de la colonie; elle a enregistré de nouveaux lots de terrains comme propriétés d’Etat; elle a construit une route de contournement de 15 kilomètres, pour relier Elon Moreh à la colonie d’Itamar.

Cette route est devenue, dans les faits, une frontière pour les villageois, les empêchant de se rendre sur leurs terres situées de l’autre côté. Sauf à deux moments de l’année, et sous haute surveillance: lors de la semence printanière et de la récolte des oliviers en octobre. Quelques jours amers.

Enfin, deux avant-postes («outposts») – illégaux même au regard du droit israélien – sont apparus en 1998 et en 2009 au milieu de la réserve naturelle voisine de Har Kabir, créée par l’administration civile. L’armée n’a jamais démantelé ces deux colonies sauvages, qui ont étendu les zones inaccessibles pour les paysans palestiniens.
Tandis que l’attention médiatique est focalisée, depuis de longs mois, sur l’avant-poste d’Amona, auquel le gouvernement a consacré des moyens démesurés pour déménager sans heurts quarante familles avant le 25 décembre, la Cisjordanie compte des dizaines de communautés juives similaires. Protégées par l’armée et bénéficiant de services des conseils régionaux de colons, elles sont au cœur d’un projet de loi à la Knesset visant à les légaliser.»

Article publié dans le quotidien Haaretz le 26 décembre 2016

Traduction & Titre