Il faut imaginer une offre politique progressiste nouvelle. Par Charles Boissel et Paul-Adrien Hyppolite, étudiants-chercheurs en économie
La progression du FN en France, le vote en faveur du Brexit et récemment l'élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis sont autant d'événements qui suscitent questions, voire incompréhension.
Assiste-t-on à l'apparition d'une forme de racisme politique, à une montée de la xénophobie propice à un repli identitaire, à la révolte du « peuple » contre les « élites » ? Tous ces discours souvent confus nous détournent du cœur du problème. Les choix électoraux précédemment évoqués sont à notre sens l'expression politique du rejet populaire, conscient, d'un système économique défendu par la classe politique au pouvoir dans les pays anglo-saxons et européens depuis les années 1980.
Qualifié par certains de « néo-libéral », il repose sur la suppression des barrières à la circulation des personnes, des biens et services ainsi que des capitaux entre pays. Ce triptyque a été poussé à son paroxysme dans l'intégration européenne. Affirmer qu'il n'a jamais suscité l'adhésion d'une majorité de la population serait faux : souvenons-nous en France du référendum sur le traité de Maastricht.
Le manque de discernement des hommes politiques au pouvoir
La classe politique dirigeante est aujourd'hui prise au dépourvu par le vote anti-système car elle n'a pas su anticiper les effets hétérogènes qui allaient résulter du passage d'un ensemble d'économies fermées à une économie ouverte. Si la théorie économique justifie la politique d'ouverture en démontrant ses effets positifs à long terme, elle permet aussi de comprendre que la transition engendre des perdants.
La circulation accrue des personnes entre les pays a accentué la polarisation du marché du travail entre qualifiés et moins qualifiés : pour les premiers, le pouvoir de négociation salariale s'est trouvé renforcé par les opportunités plus nombreuses sur un marché globalisé ; pour les seconds, la concurrence féroce sur le marché intérieur a généré une pression à la baisse sur les salaires.
De plus, la libéralisation des échanges commerciaux a contraint les industries locales à ajuster leurs modes et leurs lieux de production. L'augmentation de la rentabilité grâce à une meilleure spécialisation et diversification géographique a bénéficié en premier lieu aux cadres dirigeants et aux actionnaires alors qu'elle a entraîné une croissance du chômage chez les moins qualifiés.
Enfin, la levée des barrières entravant la circulation du capital a ouvert de nouvelles opportunités d'investissement aux épargnants les plus aisés, tout particulièrement à ceux disposant de suffisamment de ressources pour bénéficier des conseils en gestion de patrimoine. Les effets asymétriques de l'ouverture ont eu pour conséquence le renforcement des inégalités économiques et notamment l'enrichissement disproportionné d'une petite partie de la population, le fameux « 1% ». Déclassement objectif pour les uns et stagnation ou faible progression pour le plus grand nombre ont nourri le ressentiment envers un système dont l'adhésion avait largement été conditionnée par la promesse de retombées économiques positives.
L'urgence d'une offre politique progressiste nouvelle
Dans ces conditions, l'actuelle posture conservatrice des principaux partis au pouvoir et dans l'opposition conduira inéluctablement à une tension grandissante entre libéralisme et démocratie.
Afin de pérenniser un système dont nous défendons les valeurs supranationales et dont nous sommes convaincus des bienfaits économiques et sociaux pour le plus grand nombre à terme, il nous semble nécessaire d'encourager l'émergence d'une offre politique progressiste qui comprend et entend le vote anti-système.
Celle-ci pourrait dès lors se structurer autour de deux priorités : garantir un meilleur partage du surplus passé et présent généré par l'ouverture économique et faire en sorte qu'une majorité de la population puisse directement profiter du surplus futur.
Un système de redistribution plus efficace
Ainsi, faudrait-il tout d'abord réfléchir à la mise en place d'une redistribution plus efficace en revoyant par exemple son allocation et son financement qui pèse aujourd'hui excessivement sur le bas de la classe moyenne. Pour ce faire, prenons conscience que l'établissement d'un système fiscal réellement progressif dans sa globalité ne peut se concevoir qu'au niveau international, ou a minima au niveau européen, dans l'harmonisation des taux et des assiettes d'imposition ainsi que dans la lutte contre les paradis fiscaux.
Ensuite, dans une société où les emplois peu qualifiés tendent à disparaître ou deviennent peu rémunérateurs, il conviendrait d'investir davantage dans l'enseignement supérieur afin d'augmenter les niveaux de qualification. Incitons les jeunes à faire des études, plutôt que favoriser les orientations précoces vers des filières courtes. Luttons également contre la trop faible mobilité sociale en facilitant l'accès aux parcours d'excellence à davantage de personnes provenant de milieux défavorisés.
Réformons enfin profondément l'allocation de l'épargne des bas et moyens revenus ainsi que le financement des retraites pour favoriser l'accès de l'ensemble des ménages - et non plus seulement des plus riches - à des placements rentables de long terme. Il est temps que le plus grand nombre puisse bénéficier des hauts rendements favorisés par la libre circulation du capital.
Les données électorales sur le référendum britannique et la présidentielle américaine nous enseignent toutefois que les jeunes votent encore largement en faveur du système. Ne prenons pas ce message de confiance comme prétexte pour nous enfermer dans le statu quo mais comme une force pour réformer afin de ne pas décevoir une nouvelle génération.
Charles Boissel et Paul-Adrien Hyppolite, étudiants-chercheurs en économie
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