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samedi 17 décembre 2016

Vers un nouveau monde politique


Une note ORAP de Gaël Brustier : Italie : gramscisme de droite, folklore droitier et compétences politiques de la destra.


La lourde défaite de Matteo Renzi au référendum du 4 décembre 2016 rappelle ce qu’avait confié le président du Conseil des ministres italien : « N’avoir jamais lu Gramsci ». À l’extrême droite, ses adversaires l’ont mal lu mais s’en réclament, menant ainsi une offensive idéologique constante.
Voici quelques semaines, sur twitter, Isabella Rauti, par ailleurs épouse de Gianni Alemanno, ancien maire «  post-fasciste  » de Rome, fille du défunt leader néofasciste Pino Rauti (1926-2012), rendait un hommage appuyé à son père en regrettant l’absence de ce grand «  intellectuel gramscien  » qu’il aurait été. Les bastions de la Lega Nord ont voté, davantage que la Lega Nord. À droite, Matteo Salvini, le leader de la formation régionaliste, et Giorgia Meloni, la cheffe de file de Fratelli d’Italia Alleanza Nazionale, la formation post-fasciste, ont scellé une alliance qui prépare l’après Berlusconi autant que l’après Renzi… Mais, surtout, ce sont les cadres de la vieille destra que l’on voit un peu partout s’activer dans un contexte de grande insatisfaction face à la stagnation de l’emploi après le Jobs Act de Matteo Renzi et dans un contexte de défiance à l’égard de ce qui fait le consensus économique en Europe. Un contexte défavorable aux politiques menée dans l’Union européenne et un savoir-faire militant réel venant de la droite de la droite : voilà les ingrédients rassemblés ces derniers mois en Italie.
Pino Rauti fut, des années durant, l’animateur du courant « révolutionnaire », dit «  de gauche  », du MSI, le parti néofasciste italien fondé en 1946 et qui, transformé en Alliance nationale en 1995, fut de toutes les coalitions de Silvio Berlusconi. Rauti appartint alternativement au MSI, à Ordine Nuovo (un mouvement plus radical), de nouveau au MSI puis fonda le MS Fiamma Tricolore, chargé par ses soins de perpétuer un idéal fasciste misant dans la société sur «  l’inégalité et l’excellence  ».
Rauti écrivit beaucoup, forma des générations de militants, fut attentif à une forme d’action culturelle. Il éprouva, sa vie durant, à l’instar d’une partie de l’extrême droite européenne, pourtant violemment antimarxiste, une jalouse passion pour Antonio Gramsci, pourtant disparu d’épuisement dix jours après sa sortie des geôles de Mussolini en avril 1937. Non contente d’avoir assassiné Antonio Gramsci, l’extrême droite «  post  » ou néo-fasciste n’hésite pas à profaner sa mémoire. Cette provocation d’Isabella Rauti-Alemanno, militante historique du Fronte della Gioventu, coutumière à la fin des années 1970 des Camps Hobbits organisés par l’aile la plus «  néo-droitière  » de la galaxie de la destra italienne, nous fait prendre conscience de l’importance du «  combat culturel  » pour ces cadres politiques à prendre au sérieux.

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φ La défaite de l’extrême droite autrichienne, le même week-end, a également mené Gaël Brustier a rédigé cette analyse pour le site de Libération dédié à l’actualité des extrêmes droites (voir ici à ce propos) : 
Cete année 2016, davantage encore que l’année 2000 qui avait vu le FPÖ accéder pour la première fois de l’histoire de la 2nde République autrichienne aux responsabilités gouvernementales malgré l’hostilité du président d’alors Thomas Klestil, aura donc vu l’Autriche frôler la crise de régime. Hier finalement, c’est Alexander van der Bellen qui l’a emporté plus largement que prévu sur Norbert Hofer, candidat de l’extrême droite, battu une première fois de quelques milliers de voix seulement… Le FPÖ engrange quand même plus de 46% des voix, score encore historique, mais il ne dispose pas des leviers institutionnels le rendant maitre du calendrier politique du pays et de l’UE.
Après un premier tour qui avait propulsé le candidat du FPÖ, Norbert Hofer, le plus danubien des membres du parti «libéral-autrichien» mais pas le moins «national-allemand», le second tour – finalement annulé – avait été marqué par l’élection d’extrême justesse de l’universitaire indépendant, ancien membre des Grünen, Alexander van der Bellen. L’effondrement des candidats soutenus par le SPÖ et l’ÖVP, les deux partis qui avaient porté la 2nde République, recueillant à eux deux à peine plus d’un électeur sur cinq, marquait l’ampleur de la crise de régime qui frappait l’Autriche. Ce ne sont pas, rappelons-le, des fraudes mais seulement des irrégularités dans les procédures de dépouillement qui avaient suscité l’annulation de ce deuxième tour.Pourtant, cette crise de régime vient de loin.

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φ En France, c’est toujours Marine Le Pen et le Front national qui retiennent l’attention. Joël Gombin a eu l’occasion d’un long échange dans « La Grande table » de France culture pour revenir sur l’histoire, la sociologie et la géographie du phénomène national-pôpuliste français, à partir de son récent ouvrage.

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φ Ces actualités extrémistes de droite en Europe ont mené Julien Licourt a réalisé pour le site du Figaro une carte interactive des résultats des formations concernées dans plus de 250 élections depuis 15 ans. Ce travail est accompagné de discussion avec Nicolas Lebourg sur la différenciation des courants et partis :
La progression est claire. Depuis 2001, l’extrême droite gagne du terrain sur le Vieux Continent. L’infographie que publie aujourd’hui Le Figaro.fr répertorie près de 250 élections de portée nationale en Europe sur une période de 15 ans. Au fil des années, nombre de pays se foncent (voir l’infographie ci-dessous), traduisant la progression dans les urnes de cette frange de l’échiquier politique. On note bien, localement, quelques retours en arrière, qu’ils soient le résultat d’un effondrement électoral ou de l’étiolement d’une position jadis bien tenue. On distingue également des zones hermétiques au vote d’extrême droite. Cependant, si cette hausse des résultats électoraux ne se traduit pas par une prise de pouvoir, elle n’en reste pas moins une tendance visible sur l’ensemble du continent européen.
Pourquoi avons-nous choisi 2001 comme marqueur d’entrée de notre carte ? Parce que nos sociétés sont toujours dans la séquence politique ouverte par l’attentat commis aux Etats-Unis le 11 Septembre. Les extrêmes droites également. Si la critique de l’islam et du monde musulman était déjà présente chez elles, ces attentats deviennent alors des éléments centraux du discours néopopuliste. Notre infographie couvre donc la période ouverte par cette année pivot et se poursuit jusqu’aux élections tenues ces derniers mois.
Les droites extrêmes et radicales européennes sont diverses, multiformes. Les plus folkloriques d’entre elles peuvent revêtir les oripeaux d’époques révolues. Elles sont extrêmement minoritaires. La plupart ont évolué. Elles sont les produits de leurs époques et se sont adaptées aux mutations géopolitiques. Elles ont opté pour des positions politiques qualifiées de nationales-populistes ou de néopopulistes. La volonté de créer un homme et une société nouvelle, en vogue dans la première moitié du siècle, a cédé sa place à la critique de l’État providence et la nostalgie du passé, à la lutte contre le multiculturalisme et aux revendications identitaires.

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φ  A l’échelle mondiale, Gaël Brustier et David Djaiz ont proposé une analyse en trois parties publiée par le Figaro.
Vers un nouveau monde : les monstres sont dans l’isoloir (1/3) :
Aussi spectaculaires que soient les événements qui se déroulent sous nos yeux, ils ne touchent pour l’instant qu’à l’aspect le plus mesurable et immédiatement quantifiable d’une transformation du monde que nous allons analyser ici. La traînée de poudre électorale de l’année 2016 est, il est vrai, sans précédent, qui a abouti au renoncement du Président Hollande, après avoir provoqué le Brexit, failli faire élire par deux fois un Président d’extrême droite en Autriche, emporté Hillary Rodham Clinton, fait démissionner Matteo Renzi, mobiliser la moitié des Hongrois contre l’Union européenne et ses politiques migratoires, vu l’éruption d’un parti national-conservateur dans un grand nombre de Länder allemands… Depuis des mois, des événements politiques et électoraux révèlent en effet que les sociétés occidentales sont traversées par des crises politiques qui virent parfois à la crise de régime.
Pour quiconque a en mémoire l’arrivée triomphale du couple Clinton devant le Capitole de Little-Rock (Arkansas) un soir brumeux de novembre 1992 et assisté dans la nuit du 8 au 9 novembre au terrassement d’Hillary Rodham Clinton par Donald J. Trump, il ne fait aucun doute que nous sommes passés d’un monde à un autre. Les Clinton ont disparu de nos écrans aussi sûrement que Truman a disparu des écrans des téléspectateurs de la fable cinématographique de Peter Weir (1998). Cette fois, pourtant, ce sont bien les téléspectateurs-électeurs qui ont ouvert une porte de secours située au fond de leur isoloir et prié fermement les Clinton de quitter à jamais le champ des caméras et le théâtre du pouvoir. C’est John Podesta, directeur de campagne d’Hillary Clinton, qui a annoncé la fin de l’ère Clinton et demandé aux partisans de la candidate battue de… rentrer chez eux.
Il fallait la perspicacité et le trait de génie d’un journaliste américain libre penseur comme Christopher Caldwell pour nous raconter des mois à l’avance la scène à laquelle nous assistions éberlués en cette nuit du 8 novembre: contre les «experts» clintonites, Trump s’était transformé en candidat des pauvres de l’Amérique qui travaillait dur, celle des chantiers navals de Pennsylvanie, des villes fantômes du Michigan et de toute la Rust Belt, de Swing States qui doutaient tellement de leurs gouvernants…

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Vers un nouveau monde : à droite, l’avènement du «national-populisme» ? (2/3)
Cette traînée de poudre électorale en Occident a quelque chose de «symptomal». Ces résultats électoraux doivent être compris comme l’aboutissement conscient de mouvements tectoniques beaucoup plus profonds où se conjuguent grandes évolutions économiques et sociologiques, inquiétudes géopolitiques et angoisse existentielle. Ce qui jaillit des urnes n’est que la projection sur les tables de dépouillement et sur nos écrans de télévision, le temps d’une soirée électorale, d’une évolution souterraine et magmatique. Election après élection, se dessine avec un peu plus de netteté le paysage encore impressionniste du monde d’après…
Depuis trente années, l’hégémonie du capitalisme actionnarial-financier au détriment du capitalisme industriel «à la papa», le formidable développement du libre-échange, l’intensification des flux migratoires, et les mutations technologiques à l’œuvre à travers ce que l’on a appelé la troisième et désormais la quatrième révolution industrielle, ont puissamment déstabilisé les classes moyennes. Or celles-ci sont le pilier de la démocratie libérale, comme l’avait déjà repéré Alexis de Tocqueville. Tout au long de l’ère industrielle, la classe moyenne «salariale» n’a eu de cesse de se consolider au point qu’un sociologue français, Henri Mendras, ait vu dans les années 1965-1984 le parachèvement de la lente «moyennisation» de la société française.
Cependant, depuis une trentaine d’années, un basculement s’est opéré dans la plupart des sociétés occidentales. Sous l’effet des mouvements de fond décrits plus haut, les «classes moyennes» sont «à la dérive» (Louis Chauvel) et sont menacées par le déclassement. C’est très net avec la génération des enfants de baby-boomers. Il ne s’agit pas d’une paupérisation nette mais bien plutôt d’une rupture de rythme: les nouvelles classes moyennes s’enrichissent moins vite que les plus privilégiés qui concentrent de plus en plus revenus et patrimoine. Cette rupture de rythme est le ressort essentiel de la «frustration relative», selon l’expression de Ted Gurr, qui monte partout en Occident et qui alimente la traînée de poudre populiste.

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Vers un nouveau monde : après la social-démocratie, la gauche post-marxiste ? (3/3)
Les socialistes français de 2012 n’étaient pas préparés au monde tel qu’il est depuis 2008 et encore moins au monde tel qu’il allait devenir après l’annus horribilis 2015. Cet amer constat impose de la part de tout progressiste un immense regain d’exigence et un défi collectif à la hauteur de celui que le pays va devoir relever dans la décennie à venir. La social-démocratie, qui a longtemps prôné une ambition régulatrice dans la mondialisation, sans toutefois parvenir à mettre en œuvre les outils et les politiques permettant de satisfaire cette ambition, semble être dépassée par les tendances de fond décrites dans l’article précédent et la recomposition politique profonde qu’elles ont engendrées à droite de l’échiquier depuis au moins dix années.
La crise de 2008 a instruit son procès sans appel: alors même qu’elle gouvernait dans de nombreux pays européens, elle est apparue comme incapable d’imaginer et de mettre en œuvre avec assez de vigueur les sécurités qui s’imposaient pour faire face à la crise et l’accélération de la destruction des classes moyennes. Incapable de décider quelle attitude adopter entre acquiescement béat ou collision frontale avec le capitalisme actionnarial-financier, elle a trop recherché le compromis, la synthèse… Elle a échoué à proposer une explication cohérente aux lourdes mutations dont la crise n’a été que le point d’orgue. Elle est menacée de «pasokisation» tendancielle, du nom du PS grec (PASOK) réduit à néant électoralement sous l’effet de souffle de la conflagration économique et financière qui a touché la Grèce depuis 2010. Ce sont en réalité tous les partis sociaux-démocrates européens qui sont menacés de subir le même destin à plus ou moins grande vitesse, comme l’a remarquablement montré Fabien Escalona. Manuel Valls n’avait pas tort de dire que «la gauche peut mourir»: en France, dès l’année prochaine, elle encourt le risque d’une dévastation électorale et d’une disparition de la carte au profit d’un «duopole droitier» LR-FN.