Dirigeants politiques, fonctionnaires : les Français pèsent de moins en moins dans les institutions européennes. Cet état de fait risque de desservir Alain Lamassoure, en lice pour prendre la succession de Martin Schulz à la présidence du parlement européen.
Alors que la course à la succession de Martin Schulz à la tête du Parlement européen sera lancée en janvier prochain, le français et député européen Alain Lamassoure
(PPE) est l’un des candidats naturels à la succession du responsable
politique allemand. Les réseaux français à Bruxelles seront-ils
suffisants pour le porter à la présidence du Parlement ? Pas vraiment.
L’influence
francaise au coeur de l’Union européenne se dissipe. Il s’agit, il est
vrai, d’abord une question d’époque. Une génération d’hommes politiques
francais ayant recu l’Europe en héritage a pris la place d’une
génération de batisseurs, de Monnet à Delors.
Peuplé
de vieilles gloires de la politique francaise, le Parlement européen
est devenu le symbole de la panne du projet communautaire. De Michèle Alliot-Marie à Jean-Marie Le Pen en passant par Brice Hortefeux, nombreux sont les anciennes figures politiques nationales à ronger leur frein sur les bancs du Parlement européen.
Avec le FN, les postes clefs échappent aux Français
La capacité d’influence francaise au Parlement européen a en effet été freinée par la large victoire du Front national (FN)
aux dernières élections européennes. N’ayant pas réussi à former de
groupe avant mars 2015, les députés frontistes ont été absents des
négociations attribuant les postes clés du Parlement européen à chacun
des groupes, ce qui, amputant la délégation francaise d’un tiers de ses
membres, a diminué significativement son influence. Conséquence directe :
la France est allée de désillusion en désillusion lors de l’attribution
des fonctions stratégiques de la nouvelle assemblée, en juillet 2014.
La tete de la sous-commission Sécurité et Défense a ainsi été soufflée au juppéiste Arnaud Danjean (PPE), pourtant spécialiste reconnu sur ces thématiques, par la Polonaise Anna Elzbieta Fotyga (ECR).
Une déconvenue malheureusement non isolée : un seul poste de
vice-président du Parlement européen, sur quatorze, a été attribué à un
élu issu de l’Hexagone, en l’occurrence la socialiste Sylvie Guillaume (S&D).
Alors que deux présidents de groupes politiques étaient francais lors de la dernière mandature ( Joseph Daul au PPE et Daniel Cohn-Bendit pour le groupe des Verts/ALE), seule figure désormais Marine Le Pen,
aux commandes du groupe Europe des nations et des libertés, la plus
petite formation du Parlement. Outre-Rhin, les Allemands ont obtenu
trois présidences. À noter tout de meme que les présidences des
commissions du budget et de la peche ont été attribuées à Jean Arthuis (ALDE) et à Alain Cadec (PPE).
Autre
faiblesse potentielle des députés européens investis par les électeurs
francais : leur propension à privilégier les postes prestigieux au
détriment des postes influents. Onze parlementaires européens francais
sont membres de la commission des Affaires étrangères, dont l’influence semble toute relative puisque les Etats sont souverains dans l’élaboration de leur politique étrangère.
Moins de Français à la Commission
Au-delà
de l’absence de responsables politiques francais aux positions
stratégiques, c’est dans l’ombre et dans le quotidien de la Commission
que doivent etre défendus les intérets tricolores. Alors que 17 % des
fonctionnaires européens de nationalité francaise devraient partir en
retraite d’ici 2020, le vivier doit etre renouvelé dans les prochaines
années, ce qui n’est pas une mince affaire.
En
2014, seulement 5 % des textes étaient écrits en francais, contre 40 %
en 1997. Un seul chef de cabinet de commissaire européen est Francais,
tandis que quatre sont allemands. Plus qu’une volonté de l’Allemagne de
conforter son influence, il est admis que l’Allemagne profite plutot
naturellement de l’absence de volontarisme francais dans le domaine
européen.
Mais l’influence de ces
postes de direction est parfois purement symbolique. C’est au coeur des
directions, par le travail de leurs fonctionnaires, que s’élaborent les
politiques européennes, et c’est dans ce domaine que la France est la
plus absente. Il est primordial d’occuper ces postes moins en vue en
apparence, mais déterminants dans la vie des institutions européennes.
Ce
retrait s’explique par le faible attrait de Bruxelles pour les hauts
fonctionnaires francais. Seule une trentaine d’énarques travaillent
ainsi au sein de la Commission. Au Royaume-Uni, le Foreign Office
sélectionne quant à lui chaque année une quinzaine de hauts
fonctionnaires et les forme au sein du programme European Fast Stream,
pour les préparer à rejoindre Bruxelles. Ces fonctionnaires font l’objet
de promotions et ce passage par l’Union européenne est percu comme un
accélérateur de carrière.
Pour
redonner de l’attractivité à ces passages, Pierre-Henri d’Argenson,
ancien professeur de relations internationales à Sciences Po proposait
d’instaurer «une garantie statutaire de promotion, inscrite dans les textes, à l’issue de la période passée à Bruxelles»
pour encourager les hauts fonctionnaires francais à rejoindre la
Commission. Dans cette perspective d’européanisation de la haute
fonction publique francaise, l’épreuve sur les questions européennes est
maintenant obligatoire au concours d’entrée de l’École nationale
d’administration.
La désaffection
des Francais vis-à-vis des débats d’idées qui s’organisent à l’échelle
européenne apparait au grand jour lorsque l’on s’intéresse à la
géographie des lobbies et think tanks de l’espace communautaire. La
majorité des think tanks européens sont en effet allemands, ou anglais,
loin devant la France (consulter la fiche «Le Cercle» de Confrontations Europe ). Ces organisations, dont Jacques Floch disait qu’ils sont «le point de rencontre de tous ceux qui font l’Europe au quotidien» sont des points d’appui essentiels pour les États, qui ont souvent recours à leur influence et leur expertise.
Le gouvernement avance en ordre dispersé
La faible audibilité de l’actuel secrétaire d’État aux affaires européennes, Harlem Désir,
le dixième titulaire du poste en treize ans, n’est pas la seule
faiblesse de la communication gouvernementale par rapport aux enjeux de
pouvoir européen.
Les querelles
florentines qui ont concerné l’an passé le puissant secrétariat général
pour les Affaires Européennes (SGAE) sont symptomatiques des difficultés
rencontrées par l’exécutif francais à se coordonner en matière de suivi
des affaires européennes. Placé sous l’autorité du Premier ministre, le
SGAE est pourtant depuis avril 2014 dirigé par Philippe Léglise-Costa, conseiller du Président Francois Hollande pour les questions européennes au moment de sa nomination.
Les ambitions s’entrechoquent alors, le Premier ministre Manuel Valls
s’étant plaint de ne pas etre informé complètement de l’avancée des
dossiers européens, un terrain qu’il souhaite occuper davantage. La
double casquette de conseiller à l’Élysée et de secrétaire général du
SGAE a depuis été abandonnée par Philippe Léglise-Costa,
mais ce flottement témoigne, sinon de divergences fondamentales au plus
haut niveau de l’État francais, au moins d’approches tactiques qui
peinent s’accorder pleinement.
Jean Quatremer, correspondant de «Libération» à Bruxelles rappelait alors «alors
que Matignon doit rendre des comptes de son action devant le Parlement,
ce n’est pas le cas de l’Élysée, ce qui pourrait encore accroitre le
déficit démocratique francais, une grosse partie de l’interministériel
échappant désormais à tout controle parlementaire».
Préserver
l’influence de la France dans les arcanes du pouvoir bruxellois n’a pas
seulement pour objectif de défendre les intérets francais au niveau
communautaire, puisque c’est aussi garder la main sur les mesures phares
qui s’y décident afin de susciter l’adhésion de tout un peuple au
projet européen dans son ensemble. À Bruxelles, pour gagner la bataille
des idées, la France va devoir jouer placé.
Rémi Le Tenier des Vendredis de la Colline