Les problèmes financiers et humains de l’hôpital sont nombreux. Quel bilan peut-on en faire ?
La France compte 1300 hôpitaux, 29 CHU et 35 CHR (Centre Hospitaliers Régionaux). Le tout hôpital a entraîné la pénurie de médecins en ville et dans les campagnes. C’est la conséquence des réformes qui étatisent progressivement le système de santé et ont hypertrophié le système hospitalier.
Cela a participé à la désertification des régions car les établissements de proximité ont été phagocytés. Les jeunes médecins ne veulent pas s’installer loin de tout dans ces déserts organisés par l’incurie politique de ces vingt dernières années.
Le temps d’attente aux urgences, les délais d’obtention de rendez vous, la dégradation des soins sont préoccupants.
Dominique Stoppa-Lyonnet et Bernard Debré semblent conseiller actuellement François Fillon, vainqueur de la primaire des Républicains et du centre. Sauront-ils le conseiller pour régler tous ces problèmes et préparer avec lui son programme santé en vue de son élection à la Présidence de la République ?
Le budget de la Sécu s’élève à 500 milliards d’euros annuels. Les dépenses de médicaments sont supérieures à 33 milliards. En 2014, chaque Français dépensait en moyenne 1 346 € en soins d’hospitalisation, 759 € en soins de ville (soins de médecins, d’auxiliaires, etc.) et 515 € en médicaments : soit un total de 2 621 €.
Regardons de plus près quels sont les maux de l’hôpital.
L’absentéisme est de 11% : les remplacements de ces personnels, quand il est possible, représente 5% de la masse salariale.
Avec plus de 15 millions d’hospitalisations par an et plus de 18 millions de passages aux urgences on peut se demander si l’hôpital ne pourrait pas faire mieux et pour moins cher. Les hôpitaux consomment en effet 40% du budget santé pour n’assurer que 25% des soins !
Revenir au 3 huit avec le retour aux 39 heures pourrait pallier cette pénurie. Ce serait une bouffée d’oxygène qui le réanimerait et permettrait d’améliorer son budget et la qualité des soins.
De plus, les contraintes administratives et le harcèlement professionnel entraînent de plus en plus de démissions. Ces médecins sont remplacés par des mercenaires coûteux ou par des spécialistes qui ne sont pas issus de notre cursus.
Enfin, en 2002 le concours de l’Internat qui a subi le même sort que l’Externat est remplacé par un simple cursus (ECN) qui reçoit 100% des étudiants en fin de cycle. Les concours favorisaient un élitisme nécessaire à la qualité pour une grande médecine française, mais celle-ci était trop rebelle. En coupant les têtes, les politiques ont pesé lourdement sur cette qualité.
Les plein-temps sont maintenant écartelés entre les tâches administratives, les réunions de Formation Médicale Continue (FMC) et celles de la Commission Médicale d’Établissement (CME). Les congrès, la formation des internes, la présence et les communications dans les sociétés savantes sont incontournables mais sont un poids, faute de temps, pour maintenir la qualité des soins.
La bonne marche des services et la gestion d’une clientèle privée compliquent encore un peu plus les emplois du temps et l’évolution des carrières, ce qui a pour conséquence d’entrainer un manque de temps à consacrer aux soins et à la formation.
Le déficit de l’AP-HP (Assistance Publique de Paris) tourne autour de 100 millions d’euros chaque année. Elle pourrait cette année être à l’équilibre si un bug informatique ne l’avait pas privée de 80 millions d’euros de recettes liées aux impayés de soins donnés à des ressortissants étrangers.
Les transmissions peuvent être redondantes et faire administrer des
doubles, voire triples doses pour des médicaments qui ne devraient se
prendre qu’une fois par jour !
Ces événements défavorables pour le patient, qui peuvent conduire au décès, doivent obligatoirement être déclarés. Le réseau des CHU en France les estime à environ 400 000 par an. Pour l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France, les signalements ont progressé de 24% en 2014, dont la moitié a conduit au décès du patient.
En chirurgie, cela peut être des erreurs concernant le côté à opérer par exemple, des oublis de compresse, des greffes qui n’ayant pu être réalisées en raison de matériel manquant. Lors d’une intervention de chirurgie mini invasive vidéo-assistée, c’est une blessure d’une grosse artère que le chirurgien ne sait pas toujours réparer.
Les ministères, la Haute Autorité de Santé, les Agences régionales, la Direction centrale, les directeurs, le directoire, le conseil d’administration, les Comités d’établissement, les chefs de pôles, les chefs de service : telle est la structure actuelle.
Ces acteurs ont remplacé les mandarins : ce sont de « petites mandarines dont ont récolte les gros pépins. » Elles multiplient les réunions et les luttes des pouvoirs et participent au harcèlement au bout de la chaine des soins.
L’hôpital sur-administré n’est plus vraiment géré et devient un navire incontrôlable, promis à un naufrage.
Les ordonnances Juppé de 1995 et 96, les mises aux normes, le principe de précaution, les 35 heures ont bouleversé l’organisation hospitalière.
Ils prônent les regroupements hospitaliers et la mutualisation des moyens en Communauté Hospitalière de Territoire (GHT).
L’hypertrophie du domaine hospitalier a créé des monstres de plus de 100 000 mètres carrés qui ont peu à peu dévoré la majorité des cliniques privées.
Les hôpitaux locaux concentrent maintenant leurs activités dans des soins de suite, de gériatrie ou sur des Soins et de Réadaptation (SSR). Les urgences affluent donc dans les grands hôpitaux et les paralysent !
Le plan national de santé n’est en fait qu’une super administration qui paralysera un peu plus les soignants s’il n’était pas revu après les Présidentielles.
La concentration des plateaux techniques et des spécialistes, dans les grands centres aggrave en effet la désertification. Le recentrage des soins vers l’hôpital découle de la fausse bonne idée de la mutualisation des hommes et des plateaux techniques.
L’école de Rennes, l’école des Hautes Études de Santé Publique participe à cette évolution néfaste qui permet à certains directeurs de faire des carrières plus brillantes lorsqu’ils sont à la tête de ces nouveaux monstres trop dépensiers.
Parallèlement les cliniques se sont regroupées dans des chaînes. Certes, elles se sont restructurées mais aux dépens des cliniques régionales qui ont disparu, ce qui participe aussi à la désertification des régions.
La création de centres de soins et d’urgences de proximité, le développement des territoires et la réforme des études de médecine seront nécessaires pour obtenir le succès.
Le programme santé de François Fillon sera-t-il vraiment un tournant libéral ?
Bernard Kron est chirurgien, membre de l'Académie Nationale de Chirurgie. Il est l'auteur de plus de 200 publications.
Source
Bernard Kron
La France compte 1300 hôpitaux, 29 CHU et 35 CHR (Centre Hospitaliers Régionaux). Le tout hôpital a entraîné la pénurie de médecins en ville et dans les campagnes. C’est la conséquence des réformes qui étatisent progressivement le système de santé et ont hypertrophié le système hospitalier.
Cela a participé à la désertification des régions car les établissements de proximité ont été phagocytés. Les jeunes médecins ne veulent pas s’installer loin de tout dans ces déserts organisés par l’incurie politique de ces vingt dernières années.
Le temps d’attente aux urgences, les délais d’obtention de rendez vous, la dégradation des soins sont préoccupants.
Dominique Stoppa-Lyonnet et Bernard Debré semblent conseiller actuellement François Fillon, vainqueur de la primaire des Républicains et du centre. Sauront-ils le conseiller pour régler tous ces problèmes et préparer avec lui son programme santé en vue de son élection à la Présidence de la République ?
Le budget de la Sécu s’élève à 500 milliards d’euros annuels. Les dépenses de médicaments sont supérieures à 33 milliards. En 2014, chaque Français dépensait en moyenne 1 346 € en soins d’hospitalisation, 759 € en soins de ville (soins de médecins, d’auxiliaires, etc.) et 515 € en médicaments : soit un total de 2 621 €.
Regardons de plus près quels sont les maux de l’hôpital.
Premier mal de l’hôpital : son obésité
L’hôpital c’est plus d’un million de personnel (1,2 million) dont 114 700 médecins et 26 000 Internes. Ils représentent 21% des effectifs de la fonction publique dans son ensemble.
L’absentéisme est de 11% : les remplacements de ces personnels, quand il est possible, représente 5% de la masse salariale.
Avec plus de 15 millions d’hospitalisations par an et plus de 18 millions de passages aux urgences on peut se demander si l’hôpital ne pourrait pas faire mieux et pour moins cher. Les hôpitaux consomment en effet 40% du budget santé pour n’assurer que 25% des soins !
Deuxième mal : l’anémie en personnel soignant
Le passage aux 35 heures a désorganisé le fonctionnement des hôpitaux. Pour compenser la réduction du temps de travail, il aurait fallu créer 45 000 postes hospitaliers. Le surcoût des Récupération du Temps de Travail (RTT) est estimé à 3,5 milliards d’euros.
Revenir au 3 huit avec le retour aux 39 heures pourrait pallier cette pénurie. Ce serait une bouffée d’oxygène qui le réanimerait et permettrait d’améliorer son budget et la qualité des soins.
De plus, les contraintes administratives et le harcèlement professionnel entraînent de plus en plus de démissions. Ces médecins sont remplacés par des mercenaires coûteux ou par des spécialistes qui ne sont pas issus de notre cursus.
Enfin, en 2002 le concours de l’Internat qui a subi le même sort que l’Externat est remplacé par un simple cursus (ECN) qui reçoit 100% des étudiants en fin de cycle. Les concours favorisaient un élitisme nécessaire à la qualité pour une grande médecine française, mais celle-ci était trop rebelle. En coupant les têtes, les politiques ont pesé lourdement sur cette qualité.
Les plein-temps sont maintenant écartelés entre les tâches administratives, les réunions de Formation Médicale Continue (FMC) et celles de la Commission Médicale d’Établissement (CME). Les congrès, la formation des internes, la présence et les communications dans les sociétés savantes sont incontournables mais sont un poids, faute de temps, pour maintenir la qualité des soins.
La bonne marche des services et la gestion d’une clientèle privée compliquent encore un peu plus les emplois du temps et l’évolution des carrières, ce qui a pour conséquence d’entrainer un manque de temps à consacrer aux soins et à la formation.
Troisième mal de l’hôpital : l’hémorragie financière
L’hôpital est plongé dans une véritable culture du déficit, financé par une dette qui a triplé en dix ans. En 2014 le déficit cumulé atteindra 30 milliards d’euros, soit quasiment 1,5% du PIB. Les prêts toxiques participent à ce désastre. Ils ont permis de financer les plans hôpitaux initiés dans les années 2000.
Le déficit de l’AP-HP (Assistance Publique de Paris) tourne autour de 100 millions d’euros chaque année. Elle pourrait cette année être à l’équilibre si un bug informatique ne l’avait pas privée de 80 millions d’euros de recettes liées aux impayés de soins donnés à des ressortissants étrangers.
Quatrième mal : les accidents médicaux
Le nombre de décès liés aux erreurs médicales pourrait avoisiner les 50 000, en faisant la troisième cause de mortalité du pays après les cancers et les maladies cardio-vasculaires, indiquait Le Lien, association de défense des patients victimes d’accidents médicaux en 2015, à partir des données de l’Organisation mondiale de la santé (article paru dans le Monde en 2016).
« Des études de pharmacovigilance
permettent d’avancer la fourchette de 10 000 à 30 000 décès attribuables
chaque année en France à un accident médicamenteux ».
Ces événements défavorables pour le patient, qui peuvent conduire au décès, doivent obligatoirement être déclarés. Le réseau des CHU en France les estime à environ 400 000 par an. Pour l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France, les signalements ont progressé de 24% en 2014, dont la moitié a conduit au décès du patient.
En chirurgie, cela peut être des erreurs concernant le côté à opérer par exemple, des oublis de compresse, des greffes qui n’ayant pu être réalisées en raison de matériel manquant. Lors d’une intervention de chirurgie mini invasive vidéo-assistée, c’est une blessure d’une grosse artère que le chirurgien ne sait pas toujours réparer.
Cinquième mal de l’hôpital : l’obésité administrative
L’organisation hospitalière souffre de la sur-administration. Il n’y a pas moins de 10 échelons administratifs qui paralysent les soignants !
Les ministères, la Haute Autorité de Santé, les Agences régionales, la Direction centrale, les directeurs, le directoire, le conseil d’administration, les Comités d’établissement, les chefs de pôles, les chefs de service : telle est la structure actuelle.
Ces acteurs ont remplacé les mandarins : ce sont de « petites mandarines dont ont récolte les gros pépins. » Elles multiplient les réunions et les luttes des pouvoirs et participent au harcèlement au bout de la chaine des soins.
L’hôpital sur-administré n’est plus vraiment géré et devient un navire incontrôlable, promis à un naufrage.
Les ordonnances Juppé de 1995 et 96, les mises aux normes, le principe de précaution, les 35 heures ont bouleversé l’organisation hospitalière.
Sixième mal de l’hôpital : la diarrhée législative
Les plans hôpitaux 2002/2007/2012, la loi Hôpital, Santé, Patient, Territoires (HPST) de 2009, dite Loi Bachelot, et la loi Santé de 2016 ont complété le dispositif de ces plans.
Ils prônent les regroupements hospitaliers et la mutualisation des moyens en Communauté Hospitalière de Territoire (GHT).
L’hypertrophie du domaine hospitalier a créé des monstres de plus de 100 000 mètres carrés qui ont peu à peu dévoré la majorité des cliniques privées.
Les hôpitaux locaux concentrent maintenant leurs activités dans des soins de suite, de gériatrie ou sur des Soins et de Réadaptation (SSR). Les urgences affluent donc dans les grands hôpitaux et les paralysent !
Le plan national de santé n’est en fait qu’une super administration qui paralysera un peu plus les soignants s’il n’était pas revu après les Présidentielles.
La concentration des plateaux techniques et des spécialistes, dans les grands centres aggrave en effet la désertification. Le recentrage des soins vers l’hôpital découle de la fausse bonne idée de la mutualisation des hommes et des plateaux techniques.
L’école de Rennes, l’école des Hautes Études de Santé Publique participe à cette évolution néfaste qui permet à certains directeurs de faire des carrières plus brillantes lorsqu’ils sont à la tête de ces nouveaux monstres trop dépensiers.
Parallèlement les cliniques se sont regroupées dans des chaînes. Certes, elles se sont restructurées mais aux dépens des cliniques régionales qui ont disparu, ce qui participe aussi à la désertification des régions.
L’avenir de l’hôpital ?
L’Autonomie des hôpitaux, la suppression des Hautes Autorités de santé et la réforme des ARS feront-ils partie des objectifs ?
La création de centres de soins et d’urgences de proximité, le développement des territoires et la réforme des études de médecine seront nécessaires pour obtenir le succès.
Le programme santé de François Fillon sera-t-il vraiment un tournant libéral ?
Bernard Kron est chirurgien, membre de l'Académie Nationale de Chirurgie. Il est l'auteur de plus de 200 publications.
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