La fin des sites web d'information
n'est plus un mythe. Les médias pourraient totalement basculer, d'ici
peu, sur Facebook. Il est urgent que les journaux en ligne se mettent à
«penser réseaux sociaux».
Imaginez
un banal matin du mois de novembre 2020. Vous vous réveillez, allumez
votre ordinateur et vous connectez à Internet pour savoir si Donald
Trump a été réélu. L’angoisse. Exactement comme quatre ans plus tôt. Sauf que, cette fois-ci, ce n’est pas sur Chrome ou Firefox que vous cliquez, mais directement sur une icône Facebook. Nous n’avons pas encore changé de décennie et Mark Zuckerberg a réussi son pari : engloutir quasiment tout Internet.
Nostalgique,
vous repensez aux années 10 (2010 donc) et vous souvenez que tout a
commencé avec les vidéos en natif sur Facebook. Celles qui ont tué YouTube. Puis il y a eu les «Instant Articles».
Préférant assurer leur survie à court terme, les médias, en
difficulté, ont choisi le «tien» plutôt que les deux «tu l’auras» que,
de toute façon, personne ne leur proposait.
Désormais,
si vous êtes un média d’information ou un créateur de contenu, vous
n’avez plus de site web et n’existez plus que sur les réseaux sociaux.
Surtout sur Facebook. Les gens n’ont pas besoin de cliquer : votre
contenu est hébergé à 100 % sur la plateforme.
Médias apatrides
Des
pages et des pages ont déjà été écrites sur ce que cette révolution
escorte de dangereux. Concentrons-nous donc plutôt sur une réflexion
dépassionnée. D’abord, en posant une base claire : s’il n’existe que sur
les réseaux sociaux, le média du futur sera, de fait, un peu apatride.
Comprendre qu’il n’aura plus de pays (son site web), mais seulement une
petite ambassade (sa page Facebook), difficilement distinguable des
autres.
Et
qui dit apatride, dit perte d’identité. Les médias (et les créateurs de
contenus de façon plus générale) n’auront plus de socle, de fondation,
et n’existeront que par leurs publications. C’est elles que les
utilisateurs récompensent ou condamnent à longueur de journée. Vous vous
souvenez peut-être des trois dernières vidéos qui vous ont marqué sur
Facebook. Pas forcément de leur source.
Convaincre en cinq secondes
La
disparition prochaine des sites web va donc donner de nouvelles
responsabilités (ou obligations) aux créateurs de contenus. En effet,
chacune de leurs publications définira totalement l’identité du média.
Il va donc falloir se différencier en très peu de place, très peu de
caractères, très peu d’idées et en respectant le format de la plateforme
choisie.
De la même façon qu’une
chanson espérant passer en radio doit, absolument, proposer un refrain
dans les trente premières secondes, une vidéo sur Facebook devra,
forcément, trouver un moyen de convaincre l’utilisateur d’arrêter de
scroller sur son newsfeed dans les cinq premières secondes. La forme
engendrera le fond.
Car, que l’on parle de Facebook, d’ Instagram, de Twitter, de Medium ou de Snapchat,
il est tout à fait possible de reconnaître les vertus et les
spécificités de chacun de ces réseaux, tout en les reconnaissant pour ce
qu’ils sont : des marketplaces (les sites de vente en ligne) de
l’attention. Cette attention, aujourd’hui précieuse, sera, demain,
inestimable.
Quinze Unes par jour
Un
média souhaitant rencontrer le succès devra donc accorder beaucoup de
concentration à chacune de ses prises de parole. Si on veut voir les
choses de façon optimiste (et rien ne l’interdit aujourd’hui), on peut
même penser que cette existence sur le fil forcera les créateurs de
contenus à produire mieux (quitte, peut-être, à produire moins ?).
Dans
un «newsfeed» qui décide de la vie ou de la mort d’un post en moins de
quelques heures, chacune des publications d’un média devra être pensée
comme la une d’un journal à grand tirage.
Une
page Facebook classique tournera donc à quinze Unes par jour et
Facebook sera, plus que jamais, ce qu’il a en réalité toujours été : un
kiosque à journaux numérique qui ne vendrait que des premières pages.
Heureusement, le «clickbait» (les pièges à clics) ne sera pas éternel
, la «no-bullshit generation» (la classe d'âge qui veut rompre avec
l'enfumage) commence déjà à en voir les ficelles. Les créateurs de
contenus qui s’en sortiront le mieux en 2020 seront ceux qui ont déjà
commencé aujourd’hui à s’appliquer la règle suivante : chaque contenu
doit être produit avec la même attention et la même ambition que la une
d’un journal émérite.