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mercredi 7 décembre 2016

Quand Facebook aura tué les sites d'information en ligne


Raphaël Cosimano / Rédacteur en chef de Gustave & Rosalie
 
 
La fin des sites web d'information n'est plus un mythe. Les médias pourraient totalement basculer, d'ici peu, sur Facebook. Il est urgent que les journaux en ligne se mettent à «penser réseaux sociaux».
 
Imaginez un banal matin du mois de novembre 2020. Vous vous réveillez, allumez votre ordinateur et vous connectez à Internet pour savoir si Donald Trump a été réélu. L’angoisse. Exactement comme quatre ans plus tôt. Sauf que, cette fois-ci, ce n’est pas sur Chrome ou Firefox que vous cliquez, mais directement sur une icône Facebook. Nous n’avons pas encore changé de décennie et Mark Zuckerberg a réussi son pari : engloutir quasiment tout Internet. 
Nostalgique, vous repensez aux années 10 (2010 donc) et vous souvenez que tout a commencé avec les vidéos en natif sur Facebook. Celles qui ont tué YouTube. Puis il y a eu les «Instant Articles». Préférant assurer leur survie à court terme, les médias, en difficulté, ont choisi le «tien» plutôt que les deux «tu l’auras» que, de toute façon, personne ne leur proposait. 
Désormais, si vous êtes un média d’information ou un créateur de contenu, vous n’avez plus de site web et n’existez plus que sur les réseaux sociaux. Surtout sur Facebook. Les gens n’ont pas besoin de cliquer : votre contenu est hébergé à 100 % sur la plateforme. 

Médias apatrides 

 

Des pages et des pages ont déjà été écrites sur ce que cette révolution escorte de dangereux. Concentrons-nous donc plutôt sur une réflexion dépassionnée. D’abord, en posant une base claire : s’il n’existe que sur les réseaux sociaux, le média du futur sera, de fait, un peu apatride. Comprendre qu’il n’aura plus de pays (son site web), mais seulement une petite ambassade (sa page Facebook), difficilement distinguable des autres.

Et qui dit apatride, dit perte d’identité. Les médias (et les créateurs de contenus de façon plus générale) n’auront plus de socle, de fondation, et n’existeront que par leurs publications. C’est elles que les utilisateurs récompensent ou condamnent à longueur de journée. Vous vous souvenez peut-être des trois dernières vidéos qui vous ont marqué sur Facebook. Pas forcément de leur source. 

Convaincre en cinq secondes

 

La disparition prochaine des sites web va donc donner de nouvelles responsabilités (ou obligations) aux créateurs de contenus. En effet, chacune de leurs publications définira totalement l’identité du média. Il va donc falloir se différencier en très peu de place, très peu de caractères, très peu d’idées et en respectant le format de la plateforme choisie. 
De la même façon qu’une chanson espérant passer en radio doit, absolument, proposer un refrain dans les trente premières secondes, une vidéo sur Facebook devra, forcément, trouver un moyen de convaincre l’utilisateur d’arrêter de scroller sur son newsfeed dans les cinq premières secondes. La forme engendrera le fond.
Car, que l’on parle de Facebook, d’ Instagram, de Twitter, de Medium ou de Snapchat, il est tout à fait possible de reconnaître les vertus et les spécificités de chacun de ces réseaux, tout en les reconnaissant pour ce qu’ils sont : des marketplaces (les sites de vente en ligne) de l’attention. Cette attention, aujourd’hui précieuse, sera, demain, inestimable. 

Quinze Unes par jour

 

Un média souhaitant rencontrer le succès devra donc accorder beaucoup de concentration à chacune de ses prises de parole. Si on veut voir les choses de façon optimiste (et rien ne l’interdit aujourd’hui), on peut même penser que cette existence sur le fil forcera les créateurs de contenus à produire mieux (quitte, peut-être, à produire moins ?). 
Dans un «newsfeed» qui décide de la vie ou de la mort d’un post en moins de quelques heures, chacune des publications d’un média devra être pensée comme la une d’un journal à grand tirage.
Une page Facebook classique tournera donc à quinze Unes par jour et Facebook sera, plus que jamais, ce qu’il a en réalité toujours été : un kiosque à journaux numérique qui ne vendrait que des premières pages. 
Heureusement, le «clickbait» (les pièges à clics) ne sera pas éternel , la «no-bullshit generation» (la classe d'âge qui veut rompre avec l'enfumage) commence déjà à en voir les ficelles. Les créateurs de contenus qui s’en sortiront le mieux en 2020 seront ceux qui ont déjà commencé aujourd’hui à s’appliquer la règle suivante : chaque contenu doit être produit avec la même attention et la même ambition que la une d’un journal émérite.