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mercredi 14 décembre 2016

«Face à Fillon, Marine Le Pen doit conquérir la gauche sans perdre la droite des valeurs»

Norbert Hofer a obtenu 80% des suffrages des «cols-bleus», ceux-là mêmes qui ont porté Trump. Pour Jean-Yves Camus, si Fillon ouvre un espace à gauche, Marine Le Pen ne doit pas oublier sa droite au risque de ne pas être au second tour.


Chercheur associé à l'IRIS, Jean-Yves Camus est essayiste et politologue. Il est spécialiste de l'extrême droite.

FIGAROVOX. - Deux lignes semblent s'affronter au FN. Peut-on dire qu'elles opposent les défenseurs de la souveraineté à ceux de l'identité?
C'est plus compliqué que cela. En effet chacun des deux protagonistes est pour la souveraineté. Pour l'identité, aussi: simplement, ce n'est pas la même. Ce qui prime chez Florian Philippot, c'est «le peuple», celui des nationaux français bien entendu, sa position sur l'immigration n'étant pas différente de celle de Marion Maréchal. Pour celle-ci, et c'est là, la différence, le peuple n'est pas une entité abstraite: il s'inscrit dans une histoire, une tradition culturelle, un enracinement. Disons que c'est une conception plus charnelle, qui inclut, et c'est une autre différence, la prise en compte de la religion majoritaire comme marqueur identitaire.
Pour la direction du FN, la question des «valeurs» n'est pas un enjeu électoral?
Le pari de la direction frontiste est que le positionnement très libéral de François Fillon sur les questions économiques ouvre au FN un grand espace pour se poser en défenseur du socle de protection sociale et gagner ainsi des voix dans les catégories jugées menacées par le programme du candidat des Républicains: tous les milieux populaires, les retraités modestes, les jeunes. Il est exact que ces catégories sont peu réceptives aux sujets tels que l'IVG et la loi Taubira. En termes de réalisme tactique, Marine Le Pen a raison. Le problème est que voulant incarner la «gauche du travail», le FN peut oublier qu'il a aussi intérêt à rester la «droite des valeurs». Celle-ci, même en admettant qu'elle soit arithmétiquement minoritaire au sein du parti, existe et constitue une sensibilité complémentaire à celle des nationaux-républicains. La réussite électorale passe par la capacité du FN à maintenir cette complémentarité, sous peine de ne pas accéder au second tour.
La droite hors les murs, celle des lecteurs de Zemmour, des électeurs de Philippe de Villiers, de la Manif pour tous représente-t-elle une force politique d'appoint pour LR ou le FN ou est-ce une construction médiatique sans réalité électorale?
Ce n'est pas qu'une construction médiatique: les ventes cumulées de ces deux auteurs, les manifestants, les Veilleurs etc..., cela fait du monde. Mais comment ce mouvement d'idées peut-il peser dans les urnes sans s'incarner dans un parti? Le SIEL et le PCD sont trop petits. Et n'est-ce pas finalement le grand problème historique de la droite catholique française de ne jamais avoir construit de force politique autonome de type CSU, et d'avoir toujours servi d'appoint à ceux qui pour qui l'ordre n'est pas une question de transcendance mais de stabilité sociale?
Fillon est-il le candidat idéal pour Marine Le Pen ou celui qui peut lui faire plus de tort?
Les réseaux sociaux bruissent de critiques contre les «droitards», ces sympathisants naturels du FN qui se sont déplacés à la primaire de droite pour voter Fillon et qui le suivront encore à la présidentielle. Mais combien cela représente-t-il d'électeurs? Quand on voit que Norbert Hofer a obtenu 80% des suffrages des «cols-bleus», ceux-là mêmes qui ont porté Trump, on est très tenté de dire que François Fillon est le candidat idéal pour le FN.
Marine le Pen défend une «France apaisée» tandis que Mélenchon se veut le porte-parole de la colère du peuple. Ce dernier peut-il mordre sur l'électorat du FN?
L'électorat de Jean-Luc Mélenchon est fort parmi les employés intermédiaires du secteur public et des entreprises, en particulier. Le FN fait une percée chez les agents du service public et dans la classe moyenne. On peut être tenté de dire qu'il existe une concurrence. Reste que le Parti de Gauche, en tant qu'organisation, est très marqué par son engagement dans l'antifascisme militant. Les convergences sur l'Europe et les méfaits du libéralisme sont contrebalancées par le fait que la préférence nationale n'est pas du tout dans le logiciel de Jean-Luc Mélenchon.

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