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mercredi 14 décembre 2016

Grèce : Alexis Tsipras tente de redresser sa popularité

Alexis Tsipras a annoncé une prime exceptionnelle pour les retraités en cette fin d'année, grâce à des excédents primaires supérieurs aux attentes. Mais cette décision pourrait être le prélude d'un bras de fer avec les créanciers qui pourrait déboucher sur un nouveau scrutin qui s'annonce très difficile pour Syriza.

 L'annonce a surpris tout le monde. Jeudi 8 décembre au soir, le premier ministre grec, Alexis Tsipras a annoncé un véritable « cadeau de noël » aux retraités. Un chèque compris entre 300 et 850 euros sera ainsi versé le 22 décembre prochain à 70 % des pensionnés qui touchent moins de 850 euros par mois. Un montant non négligeable pour les 1,6 million de personnes concernées dans un pays où les pensions ont été fortement revues à la baisse depuis 2010. Alexis Tsipras est cependant allé encore un peu plus loin, annonçant la suspension du relèvement prévu pour 2017 du taux de TVA dans les îles du nord de la mer Égée, celles qui sont le plus touchées par les arrivées de migrants venus de Turquie.

Des dépenses « légale » au regard du mémorandum

Ces deux mesures ont un coût estimé à 617 millions d'euros. Alexis Tsipras a estimé qu'elles étaient possibles compte tenu de l'importance des excédents primaires (hors service de la dette) dégagés par le pays cette année. Et de fait, le dernier bulletin d'exécution budgétaire du ministère hellénique des Finances indique que l'excédent primaire grec à fin octobre s'élève à 6,5 milliards d'euros, soit 3 milliards d'euros au-dessus de l'objectif fixé. Selon l'article 2.1 du mémorandum d'août 2015, 30 % de la surperformance budgétaire doivent être attribués au remboursement de la dette et 30 % de ces excédents supplémentaires doivent aussi être attribués aux impayés du gouvernement. Ceci laisse à Athènes, en théorie, la disposition de 40 % de cet excédent inattendu, soit 1,2 milliard d'euros. Alexis Tsipras reste donc, en théorie, dans le cadre du mémorandum.

Pari perdu pour Alexis Tsipras

La réalité pratique est cependant différente. Depuis son retour au pouvoir après les élections de septembre 2015, Alexis Tsipras a accordé beaucoup de concession aux créanciers. Il a accepté des mesures sévères contre les débiteurs des banques en acceptant les expulsions des résidences principales, il a accepté un nouveau protocole d'accord incluant des baisses automatiques de dépenses pour 2018 si l'objectif d'excédent primaire était en danger, il a accepté de nombreuses privatisations, y compris à prix bradés, comme celle des chemins de fer nationaux. Son objectif était d'obtenir, en retour des concessions des créanciers, notamment sur la restructuration de la dette. Or, ce pari s'est révélé peu porteur.

Syriza distancée dans les sondages

Certes, le gouvernement grec a obtenu une concession : le « toilettage » de la dette, ou plutôt des intérêts de la dette, obtenu voici quelques jours. Mais chacun sait en Grèce que ces mesures ne règlent nullement le problème de la dette publique. En réalité, la stratégie menée depuis près d'un an et demi par le gouvernement grec n'a pas été à la hauteur de la promesse faite lors des élections de septembre 2015 : la résistance aux créanciers n'a pas amené plus de concessions de ces deniers, mais une position plus dure encore. Chaque demande grecque a été rejetée et a conduit à un durcissement. Pas étonnant alors que les Grecs se tournent désormais vers la Nouvelle Démocratie, parti conservateur jugé proche des créanciers, en espérant obtenir un peu de bienveillance de ces derniers. Dans les dernières enquêtes d'opinion, ND dispose de la majorité absolue. Le sondage Marc Poll, publié le 9 décembre, lui attribue 19 points d'avance sur Syriza (37,7 % contre 19,7 %) .

Alexis Tsipras à l'offensive

Dans ces conditions, Alexis Tsipras doit naturellement repartir à l'offensive. Les annonces du 8 décembre ont ainsi été perçues en Grèce comme le début d'une campagne électorale qui ne dit pas (encore) son nom. L'objectif serait de montrer que la politique du gouvernement porte ses fruits, qu'Alexis Tsipras peut prendre des initiatives sans tenir compte des créanciers et, enfin, qu'il est prêt, s'il le faut, à entrer en conflit avec ces derniers si nécessaire. C'est pourquoi Athènes n'a pas pris la peine de prévenir ses créanciers de ces initiatives. Ce dont par ailleurs, comme on l'a vu, rien ne l'y obligeait. Mais à Bruxelles, Berlin et Washington, ces mesures ont été mal reçues. On y voit la preuve de la « non fiabilité » du gouvernement grec et de sa propension à « dépenser plus ». Cette mauvaise humeur joue plutôt, dans l'immédiat en faveur d'un Alexis Tsipras qui doit redorer son blason de défenseur des Grecs contre les créanciers.
Reste à savoir aussi si une telle stratégie est efficace alors qu'en janvier, la réforme des retraites s'appliquera, réduisant pour beaucoup de nouveaux retraités le montant des pensions. Plusieurs autres mesures d'austérité seront appliquées en 2017, pesant sur la popularité de l'exécutif. Or, comme Alexis Tsipras en a fait plusieurs fois l'expérience, dans le choix du mémorandum, ses marges de manœuvre sont quasiment nulles. Si les créanciers refusent de verser de nouveaux fonds, la Grèce devra faire défaut et, sans doute, sortir de la zone euro. Mais toute la stratégie menée depuis juillet 2015 vise à éviter ce scénario. Ceci conduit, depuis un an et demi, à une série de capitulations du gouvernement qui a érodé son crédit auprès des Grecs.

La seconde revue du programme

Or, la Grèce négocie actuellement deux éléments cruciaux : la seconde revue du programme qui doit lui permettre d'obtenir les fonds pour faire face, à l'été 2017, à ses remboursements, notamment une échéance de 3,9 milliards d'euros due à la BCE le 17 juillet et une autre le même jour de 2,1 milliards d'euros due à des investisseurs privés. Cette facture de 6 milliards d'euros, la Grèce ne peut évidemment pas l'honorer seule. Pour obtenir les fonds, le gouvernement va devoir accepter les conditions des créanciers. Que se passera-t-il si ces derniers lui demandent de « compenser » le « cadeau » de ce noël 2016 ? Ou s'ils demandent de nouvelles « réformes », notamment du droit du travail ? Alexis Tsipras pourra-t-il tenir un discours de fermeté et aller au conflit ? Le passé en donne un aperçu : fin 2015, Alexis Tsipras a dû renoncer à une série de mesures sociales à la demande des créanciers. Il a dû également renoncé à de nombreuses lignes rouges au printemps, notamment sur la baisse « automatique » des dépenses en cas d'excédent inférieur à 3,5 % du PIB en 2018. Le premier ministre grec a dû, à chaque fois, reculer et accepter de nouvelles « réformes ».

La négociation sur la dette

Deuxième front : les négociations sur la dette se poursuivent. L'Allemagne veut toujours une participation du FMI, mais refuse de procéder à des coupes dans le stock de dette grecque. Or, le FMI estime que la dette grecque est insoutenable. Athènes est spectatrice de cette discussion, mais elle paiera sans doute le prix de l'accord entre Washington et Berlin. Comme il semble impossible pour l'Allemagne, en pleine année électorale, d'accepter une coupe franche dans la dette, les mesures adoptées seront sans doute encore le traitement des intérêts futurs. Or, le FMI ne pourra accepter de telles mesures que si la Grèce s'engage à maintenir des excédents importants pour assurer le remboursement de la dette. Le niveau de 3,5 % du PIB pourrait donc être exigé encore pendant plusieurs années. De plus, le FMI insiste sur une nouvelle réforme du marché du travail et des retraites, ce que refuse le gouvernement d'Athènes. Du reste, si le FMI refuse de participer au plan, la poursuite de forts excédents sera aussi inévitable pour maintenir la fiction de la « soutenabilité » de la dette. Alexis Tsipras se retrouvera face à une nouvelle cure d'austérité. Pourra-t-il la refuser au risque là aussi de donner des arguments à ceux qui, comme Wolfgang Schäuble, n'ont pas perdu l'objectif de l'expulser de la zone euro ?

De nouvelles élections ?

Face à de telles demande, Alexis Tsipras va devoir choisir : soit à nouveau faire des concessions, soit provoquer de nouvelles élections en jouant à nouveau la partition de la « résistance » aux créanciers. C'est cette dernière option que semblent privilégier les analystes de la vie politique grecque. Le premier ministre aurait donc fait ces « cadeaux » du 8 décembre pour préparer cette campagne. Mais c'est un pari très risqué, pour plusieurs raisons : le retard de Syriza est tel que l'on voit mal comment ce parti pourrait se redresser. Il est désormais sous pression, à sa gauche, où le parti communiste KKE et le parti de l'ancienne présidente du parlement Zoé Kostantopoulou serait en position d'entrer au parlement, et à sa droite, où il est largement devancé par ND. Or, que pourrait promettre, en cas de victoire Alexis Tsipras, alors qu'il ne dispose d'aucune marge de manœuvre pour faire pression sur les créanciers ? Il n'est donc pas certain que le chef du gouvernement prenne le risque de provoquer des élections. Il pourrait alors préférer assurer la cohésion de sa courte majorité parlementaire dont le ciment face aux demandes des créanciers ne peut plus être que la peur de perdre. 2017 pourrait donc ouvrir une nouvelle page de l'histoire de la crise grecque.