Avant le nouveau scrutin présidentielle n Autriche nous republions ici la contribution de Nicolas Lebourg au dossier de L'Humanité au lendemain du scrutin précédent : Nicolas Lebourg, "L’avenir politique n’est pas écrit", L'Humanité, 6 juin 2016, où il était aussi question de la primaire des droites et de l'offre politique de Manuel Valls.
Épuisée d’elle-même, la gauche française regarde la scène politique
européenne avec en tête l’idée de l’« irrésistible ascension » de
l’extrême droite. Mais, il faut d’abord constater la disparité des
situations européennes. L’Europe centrale et orientale est en grande
part un terrain moins propice au succès des partis d’extrême droite que
ne l’est l’Europe occidentale. Cependant, c’est aussi à l’Est que se
réalise une mutation autoritaire des démocraties. En Russie, en Hongrie,
en Pologne ou en Turquie, les régimes conservent le multipartisme mais
évoluent vers des formulations antilibérales. Le débat aujourd’hui est
moins de savoir s’il s’agit d’une étape ou de la nature de ces systèmes
que de savoir s’ils peuvent constituer un modèle appelé à s’approfondir
et à être imité. Car, à l’Ouest, deux cas cohabitent aussi.
En Autriche et en France, ce sont des oppositions transpartisanes qui
ont récemment bloqué l’accès de l’extrême droite aux responsabilités.
Les deux pays ont en commun une présence de longue date de l’extrême
droite, un questionnement identitaire, et une panique face à la crise
migratoire. En revanche, un pays comme l’Espagne : a) ne connaît
l’extrême droite qu’à l’état culturel et non en tant qu’offre partisane
crédible ; b) a une opinion ouverte aux réfugiés ; c) a une
problématique identitaire sectorisée (la Catalogne réclame son
indépendance, dans une perspective non d’extrême droite mais
d’optimalisation de son insertion à la globalisation néolibérale). La
vitalité démocratique y a permis l’émergence de nouvelles offres
politiques (Podemos, Ciudadanos).
Or, les questions de l’offre politique et de la vitalité démocratique se
retrouvent en France et en Autriche. Dans ce dernier pays,
l’indifférenciation entre sociaux-démocrates et conservateurs a été un
accélérateur pour le FPÖ. Avec la crise migratoire, l’agitation
politique quant aux réfugiés, censée contenir le vote FPÖ, a pu avaliser
les diagnostics et propositions populistes. En France, l’offre
politique est en décomposition. En 2015, 22 % des sondés estiment que le
FN propose des solutions efficaces, contre 13 % pour le PS. Le FN
parvient en toutes choses à opposer une solution nationaliste à une
problématique de la globalisation ramenée à une orientalisation qui
expliquerait les déclassements individuels.
Rassemblant d’anciens partis, l’UMP n’était pas parvenue à doter la
droite d’une culture commune, et s’était perdue dans l’agit-prop sur des
questions identitaires ne lui permettant pas de se différencier du FN.
Le parti « Les Républicains » a compris en 2015 que la démarcation sur
l’eurolibéralisme était une meilleure stratégie (d’où les difficultés du
FN lors des seconds tours). Cela entraîne une surenchère libérale
momentanée dans le cadre de leur primaire – « momentanée » car une
primaire se gagne sur un discours dur, et est ensuite suivie d’un
recentrage. Du côté gouvernemental,
Manuel Valls promeut une acceptation de l’eurolibéralisme compensée par
la promotion d’un souverainisme culturel, censé endiguer le glissement
vers l’extrême droite des classes moyennes et populaires. Cette piste ne
correspond pas non plus à la règle de l’autonomie de l’offre politique.
En somme, l’avenir politique n’est pas écrit : tout dépendra de la façon
dont, d’ici à mai 2017, aura pu émerger ou non une offre politique
autonome, apte à offrir une représentation cohérente de la crise
sociale, économique, culturelle, démographique et démocratique.
Rappelons aux gauches ce mot de Charles Maurras : « Tout désespoir en
politique est une sottise absolue. »