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mercredi 14 décembre 2016

L’Empire médiatique contre-attaque

La volonté de se préserver des « fausses nouvelles » ressemble à un prétexte pour reprendre le contrôle du secteur, tant aux États-Unis qu’en Europe.

L’élection de Donald Trump fut sans doute l’événement le moins conforme aux prévisions des médias depuis plusieurs décennies. Emportant leur crédibilité, elle fut aussi le signe d’un changement de paradigme avec la percée de nouveaux sites d’information sur Internet. Mais la guerre entre l’ancien monde médiatique et le nouveau n’est pas terminée.

Riposte coordonnée

« Nous assistons à une véritable guerre à mort entre les deux systèmes, qui continuera bien après que l’élection présidentielle ait eu lieu, » prévenait Charles Gave. Groggy, les médias traditionnels se sont repris depuis leur sombre 8 novembre. Ils travaillent main dans la main avec leurs alliés pour mettre en place une riposte. Le récent retour de Mme Clinton hors de sa retraite pour fustiger les « fausses nouvelles » relève de cette nouvelle stratégie : décrédibiliser les sources d’information alternatives.
« L’épidémie de faux sites d’information mal intentionnés et de fausse propagande (sic) qui a inondé les médias sociaux pendant l’année écoulée – il est clair désormais que ces faux médias ont de vraies conséquences dans le monde réel », affirma Clinton. « Ce n’est pas un sujet de politique ou de bipartisme. Des vies sont en jeu. »
Des vies, ou des carrières… Reste à savoir comment discerner la propagande de la vérité, ou, pour reprendre les termes étranges de la politicienne démocrate, distinguer la fausse propagande de la vraie. Hillary Clinton aura probablement une perception très différente d’un Donald Trump sur ce point essentiel.

La défaite d’Hillary Clinton a clairement déclenché l’offensive des deux côtés de l’Atlantique – coordonnée avec une opiniâtreté qui force le respect. Jugez plutôt:
  • Le 17 novembre, Angela Merkel et Barack Obama déclarent conjointement qu’Internet est une force « perturbatrice » qui doit être « contenue, gérée et pilotée par le gouvernement ».
  • Le 19 novembre, Mark Zuckerberg annonce que Facebook (lourdement engagé du côté démocrate dans la campagne présidentielle) mettra en œuvre un plan en 7 points visant à « éradiquer la désinformation » du réseau social.
  • Durant la même période on voit apparaître des listes de médias à éviter, qui comportent comme par hasard la plupart des sites de droite, et sans qu’aucun procès en désinformation ne soit formulé contre le moindre d’entre eux.
  • En Suisse des individus se réjouissent de nouveaux algorithmes qui permettront, espèrent-ils, de « filtrer l’extrémisme de droite » – la définition de ce dernier étant laissé à leur entière et satisfaisante appréciation.
  • Le 23 novembre, Angela Merkel déclare devant le Bundestag que le temps est venu de lutter contre les sites de fausses nouvelles – citant nommément RT et Sputnik pour leurs liens avec la Russie. Le challenge pour les démocraties est selon elle « d’atteindre et d’inspirer les gens » mais si cela échoue le temps de la censure est là: « nous devons nous confronter au phénomène et si nécessaire, le réguler ».
  • Le 2 décembre, un média révèle que Facebook élaborera désormais son fil d’information à partir d’une liste de « partenaires médiatiques favorisés ». On imagine qu’un site comme Breitbartn’en fera pas partie…
La distinction est ténue entre la volonté d’écarter de « fausses informations » d’une part, et l’élimination pure et simple d’informations divergentes par rapport à une ligne idéologique d’autre part. Le précédent de Google refusant de suggérer dans ses recherches les requêtes quant à la santé d’Hillary Clinton n’incite guère à l’optimisme.

Les vilains Russes

La dernière accusation en date désigne comme d’habitude la Russie : elle aurait interféré pour aider Trump. La conclusion du Washington Post, qui cite une « évaluation secrète de la CIA », permet les manchettes les plus accrocheuses. Malheureusement, les révélations se révèlent bien maigres:
À en croire le Washington Post, des personnes liées à Moscou ont fourni au site Wikileaks des e-mails piratés sur les comptes de l’ancien directeur de campagne de la candidate démocrate Hillary Clinton, John Podesta, et du parti démocrate, entre autres.
Pour l’heure, aucune preuve de ce prétendu lien avec Moscou. Les connaisseurs du dossier ne seront pas surpris. C’est vrai, le compte mail de John Podesta a bien été piraté – le directeur de campagne d’Hillary Clinton utilisait un piètre mot de passe, « p@ssw0rd » – et une volumineuse correspondance finit donc entre les mains de Wikileaks. Mais le dirigeant de l’organisation elle-même, Julian Assange, défaussa l’accusation de « hackers russes » ; il affirma que sa source était interne au Parti Démocrate.
On l’oublie vite, mais avec son vaste historique de coups tordus, Hillary Clinton n’avait guère besoin d’aller jusqu’à Moscou pour se trouver des ennemis. Elle pouvait par exemple rencontrer sur son chemin des partisans de Bernie Sanders, écarté par des magouilles dont la révélation poussa la présidente du Parti Démocrate Debbie Wasserman Schultz à la démission.
Depuis, une vérité plus complexe émerge. L’accusation selon laquelle les e-mails de Podesta auraient été des faux conçus par les Russes était un mensonge délibéré inventé par un fan de Clinton et abondamment repris par les médias mainstream afin de diminuer l’impact des révélations qu’ils contenaient.
En octobre, lorsque Wikileaks publiait des courriels des archives de John Podesta, les officiels de la campagne de Clinton et leurs porte-parole dans les médias adoptèrent une stratégie de mensonge délibéré auprès du grand public, prétendant – sans aucune justification – que les courriels étaient falsifiés ou fabriqués et devraient donc être ignorés. Ce mensonge – et le terme est approprié : une affirmation erronée donnée en connaissance de cause ou un mépris souverain de la vérité – fut amplifié de façon agressive par des personnalités de MSNBC comme Joy Ann Reid et Malcolm Nance, David Frum de The Atlantic, et Kurt Eichenwald de Newsweek.
Que les courriels de l’archive de Wikileaks aient été altérés ou falsifiés – et ne doivent donc pas être pris en compte – était une « fausse nouvelle » caractéristique, diffusée non pas par des adolescents macédoniens ou des agents du Kremlin, mais par des acteurs établis comme MSNBC, The Atlantic et Newsweek. Et de par sa conception même, cette fausse nouvelle se répandit comme une traînée de poudre partout sur Internet, avidement découverte et partagée par des dizaines de milliers de personnes désireuses de croire que c’était vrai. À la suite de cette campagne délibérée de désinformation, quiconque faisant un rapport sur le contenu des courriels se voyait instantanément rétorquer des allégations selon lesquelles on avait prouvé que les documents dans l’archive étaient des faux.
Les e-mails de Podesta ont toujours été authentiques. Les grands médias ont juste choisi de couvrir Clinton. Pas facile décidément de distinguer la fausse propagande de la vraie…

Éliminer les fausses nouvelles, ou la concurrence ?

Soyons clair : la désinformation existe. Mais elle n’est en rien limitée à un seul camp comme on souhaiterait aujourd’hui nous le faire croire. En fait, la découverte soudaine et cruciale de ces « fausses nouvelles » juste après la défaite de Clinton fait elle-même largement penser à une fausse nouvelle – jusqu’à France-Info qui parvint même à dénicher un repenti dans la pure tradition des procès de Moscou, à mi-chemin entre le regret et la vantardise.
En fin de compte, prétendre que la désinformation est responsable de la victoire de Donald Trump contre Hillary Clinton ne traduit rien d’autre qu’une attitude puérile devant une situation désagréable. La thèse ne paraît guère vraisemblable, en particulier face au volume de propagande pro-Clinton déversé sur l’opinion publique durant la même période.
La volonté de se préserver des « fausses nouvelles » ressemble surtout à un prétexte cousu de fil blanc pour reprendre le contrôle du secteur, tant aux États-Unis qu’en Europe. Les politiciens travaillent depuis des années à contrôler le débat public faute de parvenir à en gérer les causes ; on casse les thermomètres plutôt que de lutter contre la fièvre. De là les lois qui interdisent, en France, de tenir des statistiques ethniques ou religieuses ; en Suisse, la pression que s’infligent diverses rédactions pour ne pas mentionner le statut de résidence ou la nationalité d’agresseurs dans un fait-divers ; aux Pays-Bas, la justice déboussolée qui condamne Geert Wilders à la « discrimination raciale » pour avoir évoqué la quantité de ressortissants marocains vivant dans le pays.
Le débat sur les « fausses nouvelles » est un faux débat. Il traduit simplement un nouvel angle d’attaque pour préserver la vérité officielle. On ne discute plus des faits mais de leur source. Tout ce qui ne vient pas du bon canal est suspect d’office et doit affronter un procès en justification. Les termes connotés comme « normal/anormal », « vérifié/non vérifié », etc. permettent d’aiguiller et de canaliser la méfiance du public. La censure, trop brutale et trop voyante, est passée de mode ; on lui préfère aujourd’hui la mise en avant d’une information de « qualité », que le traitement de l’actualité par ceux qui s’en réclament met pourtant largement en doute.
Il n’est pas sûr que la manœuvre fonctionne. L’élection de Donald Trump contre vents et marées médiatiques a montré que les citoyens américains étaient désormais prêts à se forger leur propre opinion. En Europe, en revanche, l’issue de la bataille est encore incertaine.

Stéphane Montabert

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