Après avoir longtemps prôné la rigueur, l'OCDE comme le FMI appellent désormais à la relance générale pour sortir du piège de la croissance molle. Avec le risque de libérer les dépenses inutiles, notamment celles de l'Etat.
Les grandes institutions
internationales, naguère apôtres de la rigueur, sont devenues
keynésiennes. OCDE et FMI, constatant que la croissance mondiale reste
faible, plaident de concert pour une relance des dépenses budgétaires.
Angel Gurría, le secrétaire général de l'OCDE, explique : « Dans le contexte actuel des faibles taux d'intérêt,
les responsables ont une occasion unique d'actionner plus activement
les leviers budgétaires pour stimuler la croissance et réduire les
inégalités, sans compromettre les niveaux d'endettement. » Contre « le piège de la croissance molle », il demande des dépenses publiques « judicieusement ciblées », dans « les infrastructures de grande qualité, l'innovation, l'éducation et les compétences ».
Christine Lagarde, directrice générale du FMI, tient mot pour mot le même discours. « Notre
priorité absolue est de sortir de la "nouvelle médiocrité",
caractérisée par la faiblesse de la croissance, de l'emploi et des
salaires. Alors que les taux d'intérêt sont plus bas que jamais, c'est
le moment le plus propice de réaliser des investissements publics [...]. Des politiques publiques judicieuses pourront impulser la croissance durant les décennies à venir. »
La politique monétaire
expansionniste étant à bout de course, c'est le moment d'appuyer sur le
champignon budgétaire : telle est l'analyse commune. Nombre
d'économistes viennent en renfort en disant que, au niveau mondial, les
entreprises n'investissent pas assez, que l'épargne est trop importante
et que les Etats peuvent accélérer la transition vers l'économie du
futur grâce à des investissements « judicieux ».
Ce
discours sonne tout doux à l'oreille des gouvernements. Ils
n'attendaient que cela, mettre au second plan la dette et les règles
budgétaires qui étranglent leur action politique depuis trop longtemps.
En effet, les taux sont bas ; en effet, la transition peut être
accélérée ; en effet, nombre de grandes entreprises ne savent plus quoi
faire de leurs milliards sinon acheter leurs propres actions. Cette
politique keynésienne a, sur le papier, de quoi séduire. Elle peut être
nécessaire. Mais elle est aussi, malheureusement, très dangereuse.
Le
premier danger est tout entier dans le mot « judicieux ». Les
gouvernements savent-ils judicieusement investir ? Ne sont-ils pas
irrésistiblement attirés par les dépenses électorales, le fonctionnement
plutôt que l'investissement, les TGV non rentables, les ronds-points ?
Le passé ne plaide pas pour eux. Investir dans l'école ? Fort bien mais,
pour prendre l'exemple français, le système éducatif a plus besoin de
réformes radicales que d'argent. Même chose pour le logement. Internet ?
Le retard européen dans les nouvelles technologies face aux Gafa tient
beaucoup plus à d'autres causes complexes qu'au manque d'euros. Le plan
Junker de relance en Europe n'apparaît pas comme la baguette magique de
la croissance.
Le deuxième danger
est que le message de l'OCDE et du FMI tombe dans les mauvaises
oreilles. En réalité, les pays visés sont ceux en excédent, l'Allemagne
et les Pays-Bas en Europe. Or, il n'y a à peu près aucune chance que
Berlin suive la recommandation keynésienne. Dès lors, le permis de
dépenser, délivré par les autorités internationales, ne sera suivi que
par ceux qui sont déjà dépensiers. Pays latins, ouvrez les vannes !
Oubliez les dettes ! Pour bien suivre la consigne, ces pays devraient
couper dans les cadeaux et les rentes pour réorienter leurs dépenses
vers les secteurs porteurs de croissance. Une analyse froide
d'efficacité devrait être le fil rouge. Quand on voit la puissance des
rentes en Europe ou au Japon, on peut craindre que les gouvernements
n'utilisent le surcroît de dépenses pour ralentir la transition plutôt
que pour l'accélérer.
Le
troisième danger est celui du deuxième écran de fumée. Pour éviter que
la crise des « subprimes » ne conduise à une dépression du type des
années 1930, les banques centrales ont adopté des politiques monétaires
adéquates. Il fallait ouvrir très grand le crédit. Ces décisions ont été
les bonnes, la crise ne fut qu'une sévère récession. Parallèlement, les
budgets furent aussi expansionnistes, avec raison. On peut même dire
que l'Europe a refermé trop vite ce chapitre, d'où sa crise
particulière. Mais, au total, huit ans après, la reprise reste molle.
Ces politiques keynésiennes ont été comme toujours d'utiles palliatifs
mais, écran de fumée, elles ne se sont pas attaquées aux racines du mal.
Ces racines sont structurelles et nationales : le marché du travail, la
fiscalité, l'excès de normes, etc. La liste est connue. Mais pas
seulement nationales. Si la demande mondiale est trop faible, c'est que
les salaires sont globalement trop bas, les keynésiens ont raison. Mais
ils ne pourront remonter, au niveau mondial, que si les pays cessent de
jouer les uns contre les autres dans des guerres de dumping social,
fiscal et monétaire (taux de change).
La solution mondiale n'est certainement pas de donner aux Etats de
nouvelles munitions pour poursuivre dans cette voie, or c'est évidemment
ce qui se passera.
La bonne
solution à la demande européenne n'est pas le plan Junker
d'investissements incertains, mais une coordination serrée des systèmes
fiscaux et juridiques dans l'Union pour interdire, par exemple, le
dumping irlandais ou la concurrence suicidaire des salariés détachés. La
solution n'est pas de donner un blanc-seing à ces politiques de
mauvaise concurrence entre pays, c'est au contraire plus d'Europe et
plus d'harmonisation mondiale vers le haut. Sinon, le keynésianisme
conduira encore plus loin vers le bas, dans l'erreur, et les peuples
réclameront d'en venir à la dernière solution, celle honnie par les FMI
et l'OCDE : le protectionnisme.
Eric Le Boucher
Eric Le Boucher est éditorialiste aux « Echos »