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lundi 5 décembre 2016

Les dangers d'une relance mondiale

Après avoir longtemps prôné la rigueur, l'OCDE comme le FMI appellent désormais à la relance générale pour sortir du piège de la croissance molle. Avec le risque de libérer les dépenses inutiles, notamment celles de l'Etat.

Les grandes institutions internationales, naguère apôtres de la rigueur, sont devenues keynésiennes. OCDE et FMI, constatant que la croissance mondiale reste faible, plaident de concert pour une relance des dépenses budgétaires. Angel Gurría, le secrétaire général de l'OCDE, explique : « Dans le contexte actuel des faibles taux d'intérêt, les responsables ont une occasion unique d'actionner plus activement les leviers budgétaires pour stimuler la croissance et réduire les inégalités, sans compromettre les niveaux d'endettement. » Contre « le piège de la croissance molle », il demande des dépenses publiques « judicieusement ciblées », dans « les infrastructures de grande qualité, l'innovation, l'éducation et les compétences ».

Christine Lagarde, directrice générale du FMI, tient mot pour mot le même discours. « Notre priorité absolue est de sortir de la "nouvelle médiocrité", caractérisée par la faiblesse de la croissance, de l'emploi et des salaires. Alors que les taux d'intérêt sont plus bas que jamais, c'est le moment le plus propice de réaliser des investissements publics [...]. Des politiques publiques judicieuses pourront impulser la croissance durant les décennies à venir. »
 
La politique monétaire expansionniste étant à bout de course, c'est le moment d'appuyer sur le champignon budgétaire : telle est l'analyse commune. Nombre d'économistes viennent en renfort en disant que, au niveau mondial, les entreprises n'investissent pas assez, que l'épargne est trop importante et que les Etats peuvent accélérer la transition vers l'économie du futur grâce à des investissements « judicieux ». 

Ce discours sonne tout doux à l'oreille des gouvernements. Ils n'attendaient que cela, mettre au second plan la dette et les règles budgétaires qui étranglent leur action politique depuis trop longtemps. En effet, les taux sont bas ; en effet, la transition peut être accélérée ; en effet, nombre de grandes entreprises ne savent plus quoi faire de leurs milliards sinon acheter leurs propres actions. Cette politique keynésienne a, sur le papier, de quoi séduire. Elle peut être nécessaire. Mais elle est aussi, malheureusement, très dangereuse. 

Le premier danger est tout entier dans le mot « judicieux ». Les gouvernements savent-ils judicieusement investir ? Ne sont-ils pas irrésistiblement attirés par les dépenses électorales, le fonctionnement plutôt que l'investissement, les TGV non rentables, les ronds-points ? Le passé ne plaide pas pour eux. Investir dans l'école ? Fort bien mais, pour prendre l'exemple français, le système éducatif a plus besoin de réformes radicales que d'argent. Même chose pour le logement. Internet ? Le retard européen dans les nouvelles technologies face aux Gafa tient beaucoup plus à d'autres causes complexes qu'au manque d'euros. Le plan Junker de relance en Europe n'apparaît pas comme la baguette magique de la croissance. 

Le deuxième danger est que le message de l'OCDE et du FMI tombe dans les mauvaises oreilles. En réalité, les pays visés sont ceux en excédent, l'Allemagne et les Pays-Bas en Europe. Or, il n'y a à peu près aucune chance que Berlin suive la recommandation keynésienne. Dès lors, le permis de dépenser, délivré par les autorités internationales, ne sera suivi que par ceux qui sont déjà dépensiers. Pays latins, ouvrez les vannes ! Oubliez les dettes ! Pour bien suivre la consigne, ces pays devraient couper dans les cadeaux et les rentes pour réorienter leurs dépenses vers les secteurs porteurs de croissance. Une analyse froide d'efficacité devrait être le fil rouge. Quand on voit la puissance des rentes en Europe ou au Japon, on peut craindre que les gouvernements n'utilisent le surcroît de dépenses pour ralentir la transition plutôt que pour l'accélérer.
Le troisième danger est celui du deuxième écran de fumée. Pour éviter que la crise des « subprimes » ne conduise à une dépression du type des années 1930, les banques centrales ont adopté des politiques monétaires adéquates. Il fallait ouvrir très grand le crédit. Ces décisions ont été les bonnes, la crise ne fut qu'une sévère récession. Parallèlement, les budgets furent aussi expansionnistes, avec raison. On peut même dire que l'Europe a refermé trop vite ce chapitre, d'où sa crise particulière. Mais, au total, huit ans après, la reprise reste molle. Ces politiques keynésiennes ont été comme toujours d'utiles palliatifs mais, écran de fumée, elles ne se sont pas attaquées aux racines du mal. Ces racines sont structurelles et nationales : le marché du travail, la fiscalité, l'excès de normes, etc. La liste est connue. Mais pas seulement nationales. Si la demande mondiale est trop faible, c'est que les salaires sont globalement trop bas, les keynésiens ont raison. Mais ils ne pourront remonter, au niveau mondial, que si les pays cessent de jouer les uns contre les autres dans des guerres de dumping social, fiscal et monétaire (taux de change). La solution mondiale n'est certainement pas de donner aux Etats de nouvelles munitions pour poursuivre dans cette voie, or c'est évidemment ce qui se passera. 

La bonne solution à la demande européenne n'est pas le plan Junker d'investissements incertains, mais une coordination serrée des systèmes fiscaux et juridiques dans l'Union pour interdire, par exemple, le dumping irlandais ou la concurrence suicidaire des salariés détachés. La solution n'est pas de donner un blanc-seing à ces politiques de mauvaise concurrence entre pays, c'est au contraire plus d'Europe et plus d'harmonisation mondiale vers le haut. Sinon, le keynésianisme conduira encore plus loin vers le bas, dans l'erreur, et les peuples réclameront d'en venir à la dernière solution, celle honnie par les FMI et l'OCDE : le protectionnisme.
Eric Le Boucher
Eric Le Boucher est éditorialiste aux « Echos »