Le référendum du dimanche 4 décembre sur les institutions, voulu par Matteo Renzi, risque de se retourner contre le président du Conseil italien. Pour ne pas être victime à son tour de la vague populiste, qui a débouché sur le Brexit et l'élection de Donald Trump, il durcit son discours contre l'Europe.
« Et si j'étais le prochain sur la
liste ? » C'est la question que pourrait se poser Matteo Renzi à la
veille du référendum constitutionnel, prévu ce dimanche 4 décembre,
auquel il a lié son sort politique. Sa crainte est que l'effet domino
enclenché par le Brexit et amplifié par la victoire de Donald Trump ne
se fasse sentir maintenant en Italie avant de poursuivre sa route l'an
prochain en France, voire en Allemagne.
Matteo
Renzi, « l'Américain », avait été l'un des plus fervents partisans
d'Hillary Clinton en Europe. Il est en effet secrétaire d'un parti
démocrate s'inspirant de son grand frère d'outre-Atlantique jusque dans
le nom et admire inconditionnellement Barack Obama au point d'avoir
baptisé sa réforme phare du marché du travail « Jobs Act ». Le mois
dernier, il revenait d'un voyage triomphal à Washington, reçu en grande
pompe à la Maison-Blanche pour le dernier dîner d'Etat d'un président
tressant les louanges à ses réformes et lui apportant son soutien dans
la bataille référendaire.
Le
réveil du Premier ministre de son rêve américain s'avère brutal. Car si
l'engagement de Barack Obama à ses côtés n'a eu aucune incidence sur les
intentions de vote des Italiens, la victoire de Donald Trump pèse déjà
sur la campagne électorale. Ce qui l'inquiète, ce n'est pas tant la
force qu'elle procure aux partis populistes, qui voient leurs
propositions dédouanées, mais ses propres faiblesses mises en lumière.
Comme Barack Obama, il pensait pouvoir toucher les dividendes électoraux de bons résultats économiques.
L'Italie est en effet sortie de trois ans de récession en renouant avec
une timide croissance et la création de plus de 650.000 emplois a fait
baisser le chômage qui s'est stabilisé. Mais les statistiques de l'Istat
ou du ministère du Travail ne reflètent pas les sentiments de pauvreté
accrue ou de déclassement social diffus engendrés par la crise. 76 % des
Italiens dénoncent ainsi une explosion des disparités sociales dans un
pays où, selon l'OCDE, 1 % des plus riches détiennent 15 % de la
richesse nationale. En 2015, le nombre d'Italiens en situation de
pauvreté absolue a atteint un niveau record avec plus de 4,5 millions de
personnes et 1,5 million de familles (7,6 % de la population)
concernées. D'après les derniers chiffres de l'Eurostat, qui présente
l'Italie comme l'un des pays du continent où les inégalités sont les
plus marquées, 1 mineur sur 3 est en risque de pauvreté absolue et
d'exclusion sociale.
Comme les
ouvriers de la Rust Belt américaine, ils sont peu enclins à donner du
crédit au storytelling positif et optimiste offert par leurs dirigeants.
Les discours vantant les formidables potentialités de la péninsule sont
de plus en plus inaudibles. Surtout depuis que les marchés se sont
brusquement invités dans la campagne. Inquiets devant la faible
performance économique du pays et son endettement colossal (130 % du
PIB), tétanisés à l'idée que la chute éventuelle de Renzi ne révèle au
grand jour les terribles fragilités du pays, leur méfiance a fait
grimper les taux obligataires italiens, remontés depuis la fin août de
1 % à 2,1 %. Dans tous les esprits, l'Italie est redevenue « l'homme
malade » de la zone euro. Au point que la BCE, il y a quelques jours, a
jugé prudent d'indiquer qu'elle se tenait prête à agir en cas de défaite
de Matteo Renzi au référendum. « La majorité silencieuse est avec moi »
veut néanmoins croire le Premier ministre. Mais les sondages montrent
que ses concitoyens prêtent de plus en plus l'oreille aux minorités
disparates et tapageuses unies pour le faire chuter. 1.000 jours au
pouvoir ont fait pâlir l'étoile du Rottamatore (Démolisseur) voulant « envoyer la vieille classe dirigeante à la casse ».
L'outsider brisant les codes traditionnels de la politique pour
détrôner les hiérarques inamovibles de son parti incarne aujourd'hui le chef de file de l'establishment honni.
C'est
ce qu'ont parfaitement compris les différentes oppositions qui
dénoncent le camp du « oui » au référendum comme celui du système, avec
les soutiens appuyés des organisations patronales, des banques, des
grands patrons tels que Sergio Marchionne ou de l'Union européenne.
C'est cette dernière que Matteo Renzi a décidé de prendre pour cible en
tirant les leçons de « la victoire de Donald Trump contre les élites ». Il a donc placé ses dernières semaines de campagne électorale sous le signe d'un « populisme venant du haut »
contre celui du M5S et de la Ligue du Nord revendiquant leur base
populaire. Pas une semaine ne passe sans que ne soit dénoncé « l'aveuglement des technocrates bruxellois » et leurs « diktats »
ou que ne soit menacée la Commission au nom de la défense des intérêts
du pays qui n'a d'ordres à recevoir de personne. Même le drapeau
européen a disparu lors des allocutions télévisées de Matteo Renzi, à la
grande joie du Front national français qui a salué cette initiative.
Quant aux récentes polémiques avec Bruxelles sur les marges de
flexibilité à octroyer au budget italien, les deux tiers de l'électorat
ont salué la ligne de fermeté adoptée par le président du Conseil.
Il
sait qu'un tiers seulement des Italiens se décidera le 4 décembre
prochain après avoir lu le texte de la réforme prévoyant de réduire le
nombre de sénateurs et d'en diminuer les pouvoirs. Le choix se fera
essentiellement sur des critères d'adhésion ou de rejet envers les
personnalités des différents camps qui s'opposent. La campagne se
déroule désormais à front renversé. Le « oui » incarnait l'entrée dans
la IIIe République et la modernisation du pays. C'est
aujourd'hui la victoire du « non » qui représente la nouveauté et le
changement en permettant de se débarrasser de Matteo Renzi.
La
seule leçon positive que Matteo Renzi tire de la victoire de Trump,
c'est que les sondages qui donnent le « non » gagnant sont de moins en
moins une science exacte.