Quel prolétariat ?
Par Arthur Moeller van den Bruck
(Extrait de l'ouvrage Le troisième Reich, Sorlot, 1981, pp. 204-208)
[…Après la première guerre mondiale en Allemagne, et après la révolution qui s'en suivit...]
Et
tandis que les communistes se lamentaient sur le marxisme abaissé au
rang d'une utopie, il y eut d'autres allemands, qui au lieu de déplorer
la trahison d'une doctrine, déplorèrent la trahison d'une nation, qui
s'était trahie elle-même. Ils ne firent aucune différence entre le
peuple, le prolétariat et la démocratie. Ils virent seulement le méfait
des masses. Un peuple n'avait-il pas ruiné son Empire au lieu de le
défendre ? N'avait-il pas permis au prolétariat de commettre une action
insensée, du genre de celles que les peuples regrettent plus tard quand
ils redeviennent capables de réfléchir. La nation n'avait-elle pas rompu
avec sa tradition, avec son passé, avec son destin, et n'avait-elle pas
remplacé son désir de grandeur par la vilenie démocratique, cette mare
de parvenus et de demi-intellectuels, où elle allait maintenant
s'enliser lentement et misérablement ?
III
Devant
une telle perspective, il arriva que, plus d'un Allemand eut
spontanément l'idée de revenir vers Nietzsche qui, dans l'histoire
spirituelle du dix-neuvième siècle, occupe le pôle opposé à celui de
Marx. Il est hors de doute que Marx à l'origine du matérialisme de nos
révolutionnaires démocrates, fut le premier à donner aux hommes qui
pendant des milliers d'années avaient été habitués à défendre des idées
et à vivre pour des idées, une pensée matérialiste, une conception
matérialiste de l'histoire. Marx escroqua l'humanité en faisant passer
la matière pour une idée. Mais il n'est pas d'action sans réaction.
Quand Marx fut englouti dans la vague démocratique, l'idée
aristocratique émergea. D'ailleurs, que restait-il à faire à un allemand
sinon à se tenir aussi loin que possible de la standardisation des
hommes et des idées, et de reconnaître la conscience et la
personnalité ?
Nietzsche
fut par excellence le lutteur contre tout ce qui est masse, et non
organisation, hiérarchie, ordre. Il se sentait, à « l'époque du suffrage
universelle, c'est-à-dire, à l'époque où chacun a le droit de juger
tout et chacun », le restaurateur de la hiérarchie humaine. Il parla de
la « terrible conséquence de l'égalité » et il dit : « Toute notre
sociologie ne connaît pas d'autre instinct que celui du troupeau »,
c'est-à-dire celui « d'une somme de zéros, où chaque zéro a les mêmes
droits que les autres, et où il est vertueux d'être un zéro ». Mais
Nietzsche avait déjà pour des raisons biologiques, distingué le peuple
du prolétariat et de la démocratie.
Il
savait que la démocratie n'est que la manifestation de la mort d'une
société, tandis qu'il voyait dans le prolétariat un problème bien plus
profond ; problème qu'il liait avec celui du renouvellement de l'homme
par en bas. Et quand il dit, parlant du peuple allemand, qu'il ne
connaissait ni le passé ni le présent, mais seulement l'avenir, il
donna, dans cet avenir, une place au prolétariat, et il reconnut que le
socialisme – non pas le socialisme doctrinaire, mais celui qui exprime
historiquement un mouvement des masses humaines dont les instincts sont
encore conservés dans leur vigueur primitive – est un phénomène d'une
importance capitale.
Avec
Nietzsche, nous nous demandons si le socialisme a seulement un côté
négatif, et s'il mène à un nivellement complet des valeurs humaines,
c'est-à-dire à leur dévalorisation absolue, ou si, tout au contraire il
peut fournir une base à la création de valeurs nouvelles ? Nietzsche
n'en vit, d'abord, que le côté négatif. Par exemple, il expliqua le
mouvement nihiliste (qui, selon lui comprenait aussi le socialisme) non
par la condition sociale, ni par la dégénérescence physiologique, ni par
la corruption personnelle, mais par un atavisme moraliste et un
ascétisme chrétien, par la « volonté de nier la vie ». Mais d'autre
part, le socialisme est une volonté d'affirmer la vie : son complexe le
communisme veut créer une réalité pour le prolétariat, une réalité
matérielle, car le prolétariat ignore encore la réalité spirituelle, -
et il veut créer une vie réglée économiquement, car le prolétariat mène
encore une vie purement animale. Pourtant le fond de cette doctrine ne
vise pas à la dissolution, mais à l'accomplissement de la loi, et il
veut parfaire l'État pour garantir cette loi. C'est à ce socialisme que
pense Nietzsche dans ses remarques sur les « jugements de valeurs
sociales » ; c'est le socialisme qu'il considère comme un phénomène
historique de l'avenir ; bien entendu, Nietzsche a dépassé le
matérialisme par ses conceptions individualistes.
L'histoire
de toutes les révolutions, prouve que leur sens, c'est de préparer une
nouvelle poussée de forces humaines et populaires.
Si
le triomphe des plus forts signifie autre chose que l'élevage des
médiocrités, il signifie que la classe ouvrière doit, dans la vie
nationale, jouer non point le rôle d'une classe, mais d'une nouvelle
couche de population qui, désormais, participe aux responsabilités
nationales. L'existence d'un prolétariat qui occupe un rang inférieur et
qui bien qu'il appartienne à la nation par sa langue et son histoire,
n'est pas accueilli au sein de la nation, devient à la longue,
intolérable. La masse tombe rapidement à un niveau tel que non seulement
elle ne prend pas soin d'elle-même, mais qu'il faut encore prendre soin
d'elle. Pourtant, des individus s'élèvent dans cette masse, et ils
élèvent la masse avec eux. Ces individus représentent la masse et ils
apportent de nouvelles forces à la nation. Ces forces, en tant qu'elles
sont des forces prolétariennes, sont d'abord matérielles et maladroites,
mais elles finissent par s'adapter à la vie de la nation, et ainsi
elles deviennent spirituelles. Voilà ce que Nietzsche pensait du
prolétariat. Il pensa aux devoirs qui résultaient de ses droits. Il
pensait à la dignité – à cette dignité qui manquent tant aux hommes de
l'époque démocratique. - Il disait : « Les ouvriers doivent avoir la
mentalité des soldats. Soldes, gages – oui ; mais pas de salaires ! » Et
quand une autre fois, il s'écrie : « Il ne faut pas qu'il existe de
rapport entre le gain et le rendement ! » En tant qu'aristocrate, il
donne au communisme un sens plus sublime, et il prévoit un avenir « où
il n'y aura plus de biens suprêmes et de bonheurs qui ne soient communs à
tous les cœurs ».
Nietzsche
remplace donc l'égalité par l'égalité des droits sur un plan supérieur,
qui nous concilie avec l'égalité. Il exige que le prolétariat fasse,
lui aussi, partie du monde des valeurs duquel jusqu'à présent il demeure
exclu. Il demande que le prolétariat produise des valeurs. Il exige
même que dans la création de ces valeurs le prolétariat rivalise avec la
bourgeoisie.
« Les
ouvriers », dit-il, « doivent, un jour, vivre comme des bourgeois, mais
au-dessus d'eux, se distinguant par son absence de besoin, alors vivra
la caste supérieure, plus pauvre et plus simple, mais maîtresse du
pouvoir ».
La
révolution allemande donna ce pouvoir au prolétariat, mais elle le lui
reprit aussitôt pour le transmettre à la démocratie. Le prolétariat veut
conquérir le pouvoir. Mais il ne le conquerra que s'il comprend qu'il
ne dépend point de la richesse matérielle, mais d'une participation
spirituelle, non de la possession, mais du droit moral, non de la
prétention, mais de la capacité.
Le problème du prolétariat n'est pas celui de son existence extérieure, mais celui de son ascension intérieure.
