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vendredi 9 décembre 2016

Quel prolétariat ? (Par Arthur Moeller van den Bruck)


Ascension III – Ferdinand Hodler
Ascension III – Ferdinand Hodler
Quel prolétariat ?

Par Arthur Moeller van den Bruck


(Extrait de l'ouvrage Le troisième Reich, Sorlot, 1981, pp. 204-208)


[…Après la première guerre mondiale en Allemagne, et après la révolution qui s'en suivit...]

Et tandis que les communistes se lamentaient sur le marxisme abaissé au rang d'une utopie, il y eut d'autres allemands, qui au lieu de déplorer la trahison d'une doctrine, déplorèrent la trahison d'une nation, qui s'était trahie elle-même. Ils ne firent aucune différence entre le peuple, le prolétariat et la démocratie. Ils virent seulement le méfait des masses. Un peuple n'avait-il pas ruiné son Empire au lieu de le défendre ? N'avait-il pas permis au prolétariat de commettre une action insensée, du genre de celles que les peuples regrettent plus tard quand ils redeviennent capables de réfléchir. La nation n'avait-elle pas rompu avec sa tradition, avec son passé, avec son destin, et n'avait-elle pas remplacé son désir de grandeur par la vilenie démocratique, cette mare de parvenus et de demi-intellectuels, où elle allait maintenant s'enliser lentement et misérablement ?

III

Devant une telle perspective, il arriva que, plus d'un Allemand eut spontanément l'idée de revenir vers Nietzsche qui, dans l'histoire spirituelle du dix-neuvième siècle, occupe le pôle opposé à celui de Marx. Il est hors de doute que Marx à l'origine du matérialisme de nos révolutionnaires démocrates, fut le premier à donner aux hommes qui pendant des milliers d'années avaient été habitués à défendre des idées et à vivre pour des idées, une pensée matérialiste, une conception matérialiste de l'histoire. Marx escroqua l'humanité en faisant passer la matière pour une idée. Mais il n'est pas d'action sans réaction. Quand Marx fut englouti dans la vague démocratique, l'idée aristocratique émergea. D'ailleurs, que restait-il à faire à un allemand sinon à se tenir aussi loin que possible de la standardisation des hommes et des idées, et de reconnaître la conscience et la personnalité ?

Nietzsche fut par excellence le lutteur contre tout ce qui est masse, et non organisation, hiérarchie, ordre. Il se sentait, à « l'époque du suffrage universelle, c'est-à-dire, à l'époque où chacun a le droit de juger tout et chacun », le restaurateur de la hiérarchie humaine. Il parla de la « terrible conséquence de l'égalité » et il dit : « Toute notre sociologie ne connaît pas d'autre instinct que celui du troupeau », c'est-à-dire celui « d'une somme de zéros, où chaque zéro a les mêmes droits que les autres, et où il est vertueux d'être un zéro ». Mais Nietzsche avait déjà pour des raisons biologiques, distingué le peuple du prolétariat et de la démocratie.

Il savait que la démocratie n'est que la manifestation de la mort d'une société, tandis qu'il voyait dans le prolétariat un problème bien plus profond ; problème qu'il liait avec celui du renouvellement de l'homme par en bas. Et quand il dit, parlant du peuple allemand, qu'il ne connaissait ni le passé ni le présent, mais seulement l'avenir, il donna, dans cet avenir, une place au prolétariat, et il reconnut que le socialisme – non pas le socialisme doctrinaire, mais celui qui exprime historiquement un mouvement des masses humaines dont les instincts sont encore conservés dans leur vigueur primitive – est un phénomène d'une importance capitale.

Avec Nietzsche, nous nous demandons si le socialisme a seulement un côté négatif, et s'il mène à un nivellement complet des valeurs humaines, c'est-à-dire à leur dévalorisation absolue, ou si, tout au contraire il peut fournir une base à la création de valeurs nouvelles ? Nietzsche n'en vit, d'abord, que le côté négatif. Par exemple, il expliqua le mouvement nihiliste (qui, selon lui comprenait aussi le socialisme) non par la condition sociale, ni par la dégénérescence physiologique, ni par la corruption personnelle, mais par un atavisme moraliste et un ascétisme chrétien, par la « volonté de nier la vie ». Mais d'autre part, le socialisme est une volonté d'affirmer la vie : son complexe le communisme veut créer une réalité pour le prolétariat, une réalité matérielle, car le prolétariat ignore encore la réalité spirituelle, - et il veut créer une vie réglée économiquement, car le prolétariat mène encore une vie purement animale. Pourtant le fond de cette doctrine ne vise pas à la dissolution, mais à l'accomplissement de la loi, et il veut parfaire l'État pour garantir cette loi. C'est à ce socialisme que pense Nietzsche dans ses remarques sur les « jugements de valeurs sociales » ; c'est le socialisme qu'il considère comme un phénomène historique de l'avenir ; bien entendu, Nietzsche a dépassé le matérialisme par ses conceptions individualistes.

L'histoire de toutes les révolutions, prouve que leur sens, c'est de préparer une nouvelle poussée de forces humaines et populaires.
Si le triomphe des plus forts signifie autre chose que l'élevage des médiocrités, il signifie que la classe ouvrière doit, dans la vie nationale, jouer non point le rôle d'une classe, mais d'une nouvelle couche de population qui, désormais, participe aux responsabilités nationales. L'existence d'un prolétariat qui occupe un rang inférieur et qui bien qu'il appartienne à la nation par sa langue et son histoire, n'est pas accueilli au sein de la nation, devient à la longue, intolérable. La masse tombe rapidement à un niveau tel que non seulement elle ne prend pas soin d'elle-même, mais qu'il faut encore prendre soin d'elle. Pourtant, des individus s'élèvent dans cette masse, et ils élèvent la masse avec eux. Ces individus représentent la masse et ils apportent de nouvelles forces à la nation. Ces forces, en tant qu'elles sont des forces prolétariennes, sont d'abord matérielles et maladroites, mais elles finissent par s'adapter à la vie de la nation, et ainsi elles deviennent spirituelles. Voilà ce que Nietzsche pensait du prolétariat. Il pensa aux devoirs qui résultaient de ses droits. Il pensait à la dignité – à cette dignité qui manquent tant aux hommes de l'époque démocratique. - Il disait : « Les ouvriers doivent avoir la mentalité des soldats. Soldes, gages – oui ; mais pas de salaires ! » Et quand une autre fois, il s'écrie : « Il ne faut pas qu'il existe de rapport entre le gain et le rendement ! » En tant qu'aristocrate, il donne au communisme un sens plus sublime, et il prévoit un avenir « où il n'y aura plus de biens suprêmes et de bonheurs qui ne soient communs à tous les cœurs ».

Nietzsche remplace donc l'égalité par l'égalité des droits sur un plan supérieur, qui nous concilie avec l'égalité. Il exige que le prolétariat fasse, lui aussi, partie du monde des valeurs duquel jusqu'à présent il demeure exclu. Il demande que le prolétariat produise des valeurs. Il exige même que dans la création de ces valeurs le prolétariat rivalise avec la bourgeoisie.

« Les ouvriers », dit-il, « doivent, un jour, vivre comme des bourgeois, mais au-dessus d'eux, se distinguant par son absence de besoin, alors vivra la caste supérieure, plus pauvre et plus simple, mais maîtresse du pouvoir ».

La révolution allemande donna ce pouvoir au prolétariat, mais elle le lui reprit aussitôt pour le transmettre à la démocratie. Le prolétariat veut conquérir le pouvoir. Mais il ne le conquerra que s'il comprend qu'il ne dépend point de la richesse matérielle, mais d'une participation spirituelle, non de la possession, mais du droit moral, non de la prétention, mais de la capacité.

Le problème du prolétariat n'est pas celui de son existence extérieure, mais celui de son ascension intérieure.