Inscrite dans la prochaine loi de finances, la révision des bases locatives pourrait se traduire par un véritable envol des taxes locales. Une mesure qui menace davantage les petits commerces des centres-villes déjà fragilisés que les grandes surfaces de la périphérie.
C'est une mesure qui ne tombe pas à
pic. C'est une disposition technique, aussi, qui, faute d'un amendement
lui faisant barrage dans la prochaine loi de finances rectificative,
passera complètement inaperçue. Elle aura pourtant un impact lourd sur
tous les commerces de centre-ville et donc, par ricochet, sur tous les
consommateurs. De quoi s'agit-il ? De la révision des valeurs locatives.
Mais encore ? En France, la valeur locative cadastrale est le « loyer annuel théorique que pourrait produire un immeuble bâti ou non bâti, s'il était loué dans des conditions normales ».
Elle est utilisée pour calculer les taxes perçues par les collectivités
territoriales : taxe d'habitation (pour les particuliers), contribution
économique territoriale (ancienne « taxe professionnelle »), taxe
foncière sur les propriétés bâties ou non bâties et la taxe d'enlèvement
des ordures. Chaque année, en janvier ou février, l'Etat transmet aux
collectivités territoriales le total des bases prévu pour chacune des
quatre taxes afin que chaque collectivité puisse décider des taux
d'imposition en fonction de ses besoins de financement.
Le
problème qui se pose aux commerçants - mais aussi à tout locataire de
bureaux et aux particuliers - est que cette valeur locative théorique va
être révisée en 2017, ce qui n'a pas été fait depuis... 1970. Certes,
chaque année, l'administration l'augmentait du niveau de l'inflation,
mais la révision en cours va faire grimper cette base d'imposition de
plusieurs marches. On imagine bien qu'à l'exception de quelques
centres-villes en voie de paupérisation, la valeur locative « de marché »
d'une surface commerciale est bien plus élevée aujourd'hui qu'il y a
presque cinquante ans.
Les
nouvelles valeurs locatives ne sont pas encore connues et
l'administration est avare en simulations. Ce qui nourrit l'inquiétude
des professionnels. « Nous voudrions une étude d'impact »,
indique, par exemple, Gontran Thüring, délégué général du Conseil
national des centres commerciaux. Les commerçants ont commencé à faire
leurs calculs. « Malgré les correctifs consentis par
l'administration pour étaler le choc, nous sommes à la veille d'une
explosion de la charge fiscale des commerces de centre-ville, de l'ordre
de 50 à 100 % selon les emplacements », affirment en choeur Claude
Boulle, président exécutif de l'Union du commerce de centre-ville, et
Christian Pimont, président de l'Alliance du commerce. Les deux hommes
représentent à la fois les grands magasins et les chaînes d'équipement
de la personne comme Zara, Minelli, André, Célio, Mango, Eram, etc. Au
total, plus de 27.000 points de vente.
Pour
comprendre l'impact financier pour les commerçants d'une hausse de 50 %
à 100 % des taxes locales, il faut savoir que celles-ci représentent
déjà pour la plupart des magasins environ 5 % de leur chiffre d'affaires.
A titre de comparaison, le poste loyer et charges équivaut à environ 10
% des ventes. C'est donc quelques pour cent de chiffre d'affaires qui
vont alourdir les coûts d'exploitation et amputer d'autant la marge. La
hausse des valeurs locatives s'ajoute également à l'augmentation «
naturelle » des taxes locales provoquées par les dépenses des
collectivités et les désengagements de l'Etat. Selon le Medef, la
fiscalité locale a augmenté de 10 % entre 2011 et 2014 et les
entreprises constituent 40 % de son produit, lequel est désormais
supérieur à celui de l'impôt sur les sociétés (37 milliards contre 35).
L'affaire
est particulièrement sensible pour les enseignes du textile qui
subissent depuis plusieurs années une baisse de leur marché. Elle touche
également des magasins physiques qui subissent de plus en plus la
concurrence des cybermarchands : 39 % des ventes pour les produits
culturels, 21 % pour la high-tech, 17 % dans l'électroménager, 16 % dans
l'habillement. Des magasins virtuels qui n'acquittent des impôts locaux
que sur leurs rares entrepôts tout en employant 5 fois moins de
salariés...
Mais la révision des
valeurs locatives va aussi tourner au désavantage des petits commerçants
contre les grandes surfaces. En effet, et c'est l'argument des pouvoirs
publics pour faire avaler la pilule, le jeu aura des gagnants et des
perdants. Dans les centres-villes, les valeurs locatives vont augmenter.
Pas forcément en périphérie là où sont implantés les hypermarchés et
les grandes surfaces spécialisées. Les groupes de distribution comme
Carrefour, Casino ou Auchan possèdent les murs de leurs grandes surfaces
et ne s'imputent pas des loyers très élevés. Par ailleurs, la valeur de marché
de leurs loyers est d'autant moins forte que pour eux, ce marché
n'existe pas. Jamais on a vu un Auchan s'installer dans les murs d'un
Carrefour.
Les grandes surfaces
spécialisées comme la FNAC, Darty ou Zara bénéficient, elles, d'un
pouvoir de négociation réel vis-à-vis des propriétaires de centres
commerciaux qui ont besoin de « locomotives ».
Au
final, les petits commerçants seront les plus pénalisés, et
particulièrement ceux des centres-villes, là où, en outre, le
propriétaire des murs est souvent un particulier encore plus âpre au
gain qu'Unibail-Rodamco ou Klépierre. Cela ne peut qu'accroître la
désertification des rues commerçantes. De 2012 à 2015, la vacance des
locaux commerciaux en centre-ville est passée de 7,2 % à 9,5 %, avec des
pointes à 20 % dans les villes petites et moyennes. Une tendance que le
secrétariat d'Etat au Commerce, rattaché à Bercy, essaie d'enrayer...
Philippe Bertrand