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vendredi 2 décembre 2016

Valeurs locatives : la hausse qui menace le petit commerce

Inscrite dans la prochaine loi de finances, la révision des bases locatives pourrait se traduire par un véritable envol des taxes locales. Une mesure qui menace davantage les petits commerces des centres-villes déjà fragilisés que les grandes surfaces de la périphérie.

C'est une mesure qui ne tombe pas à pic. C'est une disposition technique, aussi, qui, faute d'un amendement lui faisant barrage dans la prochaine loi de finances rectificative, passera complètement inaperçue. Elle aura pourtant un impact lourd sur tous les commerces de centre-ville et donc, par ricochet, sur tous les consommateurs. De quoi s'agit-il ? De la révision des valeurs locatives. Mais encore ? En France, la valeur locative cadastrale est le « loyer annuel théorique que pourrait produire un immeuble bâti ou non bâti, s'il était loué dans des conditions normales ». Elle est utilisée pour calculer les taxes perçues par les collectivités territoriales : taxe d'habitation (pour les particuliers), contribution économique territoriale (ancienne « taxe professionnelle »), taxe foncière sur les propriétés bâties ou non bâties et la taxe d'enlèvement des ordures. Chaque année, en janvier ou février, l'Etat transmet aux collectivités territoriales le total des bases prévu pour chacune des quatre taxes afin que chaque collectivité puisse décider des taux d'imposition en fonction de ses besoins de financement.

Le problème qui se pose aux commerçants - mais aussi à tout locataire de bureaux et aux particuliers - est que cette valeur locative théorique va être révisée en 2017, ce qui n'a pas été fait depuis... 1970. Certes, chaque année, l'administration l'augmentait du niveau de l'inflation, mais la révision en cours va faire grimper cette base d'imposition de plusieurs marches. On imagine bien qu'à l'exception de quelques centres-villes en voie de paupérisation, la valeur locative « de marché » d'une surface commerciale est bien plus élevée aujourd'hui qu'il y a presque cinquante ans.

Les nouvelles valeurs locatives ne sont pas encore connues et l'administration est avare en simulations. Ce qui nourrit l'inquiétude des professionnels. « Nous voudrions une étude d'impact », indique, par exemple, Gontran Thüring, délégué général du ­Conseil national des centres commerciaux. Les commerçants ont commencé à faire leurs calculs. « Malgré les correctifs consentis par l'administration pour étaler le choc, nous sommes à la veille d'une explosion de la charge fiscale des commerces de centre-ville, de l'ordre de 50 à 100 % selon les emplacements », affirment en choeur Claude Boulle, président exécutif de l'Union du commerce de centre-ville, et Christian Pimont, président de l'Alliance du commerce. Les deux hommes représentent à la fois les grands magasins et les chaînes d'équipement de la personne comme Zara, Minelli, André, Célio, Mango, Eram, etc. Au total, plus de 27.000 points de vente.
Pour comprendre l'impact financier pour les commerçants d'une hausse de 50 % à 100 % des taxes locales, il faut savoir que celles-ci représentent déjà pour la plupart des magasins environ 5 % de leur chiffre d'affaires. A titre de comparaison, le poste loyer et charges équivaut à environ 10 % des ventes. C'est donc quelques pour cent de chiffre d'affaires qui vont alourdir les coûts d'exploitation et amputer d'autant la marge. La hausse des valeurs locatives s'ajoute également à l'augmentation « naturelle » des taxes locales provoquées par les dépenses des collectivités et les désengagements de l'Etat. Selon le Medef, la fiscalité locale a augmenté de 10 % entre 2011 et 2014 et les entreprises constituent 40 % de son produit, lequel est désormais supérieur à celui de l'impôt sur les sociétés (37 milliards contre 35).

L'affaire est particulièrement sensible pour les enseignes du textile qui subissent depuis plusieurs années une baisse de leur marché. Elle touche également des magasins physiques qui subissent de plus en plus la concurrence des cybermarchands : 39 % des ventes pour les produits culturels, 21 % pour la high-tech, 17 % dans l'électroménager, 16 % dans l'habillement. Des magasins virtuels qui n'acquittent des impôts locaux que sur leurs rares entrepôts tout en employant 5 fois moins de salariés...

Mais la révision des valeurs locatives va aussi tourner au désavantage des petits commerçants contre les grandes surfaces. En effet, et c'est l'argument des pouvoirs publics pour faire avaler la pilule, le jeu aura des gagnants et des perdants. Dans les centres-villes, les valeurs locatives vont augmenter. Pas forcément en périphérie là où sont implantés les hypermarchés et les grandes surfaces spécialisées. Les groupes de distribution comme Carrefour, Casino ou Auchan possèdent les murs de leurs grandes surfaces et ne s'imputent pas des loyers très élevés. Par ailleurs, la valeur de marché de leurs loyers est d'autant moins forte que pour eux, ce marché n'existe pas. Jamais on a vu un Auchan s'installer dans les murs d'un Carrefour.

Les grandes surfaces spécialisées comme la FNAC, Darty ou Zara bénéficient, elles, d'un pouvoir de négociation réel vis-à-vis des propriétaires de centres commerciaux qui ont besoin de « locomotives ».

Au final, les petits commerçants seront les plus pénalisés, et particulièrement ceux des centres-villes, là où, en outre, le propriétaire des murs est souvent un particulier encore plus âpre au gain qu'Unibail-Rodamco ou Klépierre. Cela ne peut qu'accroître la désertification des rues commerçantes. De 2012 à 2015, la vacance des locaux commerciaux en centre-ville est passée de 7,2 % à 9,5 %, avec des pointes à 20 % dans les villes petites et moyennes. Une tendance que le secrétariat d'Etat au Commerce, rattaché à Bercy, essaie d'enrayer...

Philippe Bertrand
 
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